En 2007, le GIEC recevait le prix Nobel pour ses travaux sur le réchauffement climatique. Depuis lors, la réflexion sur la densification de la ville, qui réduirait l’empreinte écologique des logements et des bureaux a alimenté l’excitation des promoteurs de l’urbanisme des tours.
Un engouement qui se matérialise depuis peu par des demandes très concrètes de permis d’urbanisme, ou par des appels à concours visant à ériger l’une ou l’autre tour sur le territoire bruxellois : trois tours à l’entrée de la rue de la Loi, une tour de 30 étages sur le site de Tour et Taxis, la Tour Premium de 40 étages du promoteur Atenor, une tour de 32 étages annoncée à la place Sainctelette.
Le concept de la tour prête à controverse ? Il est donc grand temps d’objectiver le débat ! Où est l’étude qui évalue l’impact économique à long terme de la construction en hauteur ? Où est l’étude qui fait le bilan écologique de la construction et de l’usage d’une tour de 40 étages ? Quelle durée de vie peut-on espérer pour une tour de 140 mètres de haut (on détruit déjà les premières tours de la Défense à Paris, devenues obsolètes...) ? Quelle est la performance énergétique réelle d’un appartement situé au 32e étage ?
Dans son livre « La folie des hauteurs » [1], Thierry Paquot démonte fort à propos les trois arguments martelés par les « pro-tours », sans jamais les développer, remarque-t-il d’emblée. Densité, mixité sociale et écologie seraient les trois mamelles de la tour...
Selon l’architecte Françoise-Hélène Jourda, densité ne rime pas forcément avec hauteur : « La densité efficace n’a rien à voir avec la hauteur, des tours très hautes devront être éloignées les unes des autres pour obtenir un bon éclairage naturel » [2]. De plus, la notion de densité est toute relative, elle dépend fortement du territoire sur lequel on la calcule. Thierry Paquot ne dit pas autre chose en faisant remarquer que la densité de l’urbaniste (le p/s, rapport surface de plancher/surface de terrain) n’a pas grand chose à voir avec la densité de population (nombre d’habitants/surface de terrain).
La tour, dans sa déclinaison « moderne » (la tour polyfonctionnelle) favoriserait la mixité sociale ? A ce jour, aucune des propositions faites pour Bruxelles ne propose d’autre mixité que celle qui consiste à implanter dans des quartiers populaires des tours ghettos qui ne sont accessibles qu’aux habitants les plus riches. Car la tour coûte cher à construire, le rapport d’incidence du projet de Tour et Taxis évalue ce surcoût à 36%. La tour coûte cher à l’usage également : les charges croissent de manière vertigineuse avec la hauteur du bâtiment.
La tour, enfin, serait écologique ! En réalité, la tour présente une surface de contact avec l’air extérieur très défavorable, elle est nettement plus consommatrice en matériaux qu’un immeuble compact, augmentant l’énergie grise du bâtiment. Les équipements nécessaires à son fonctionnement en hauteur (ascenseurs, pompes) sont très consommateurs d’énergie. Sans artifices (comme l’installation de panneaux solaires sur le toit), il est impossible d’atteindre le standard basse énergie (et encore moins le standard passif) avec une tour de 40 étages !
Pour l’heure, le « geste architectural fort » imaginé par l’architecte Jaspers pour le site de Tour et Taxis a été raboté de 50% par la commission de concertation de la Ville de Bruxelles. Ouf ! Gageons que cette décision soit de bon augure pour la suite des opérations !
Mathieu Sonck
[1] La folie des hauteurs, Thierry Paquot, Bourin Editeur, 2008.
[2] Environnement et Stratégie du 26 septembre 2007.