Depuis sa création, IEB revendique de réduire l’emprise des infrastructures routières et le nombre de voitures en circulation, et ce notamment dans l’objectif d’augmenter l’espace disponible pour d’autres modes de transport et d’autres usages.
Good Move, le plan régional de mobilité en vigueur depuis 2020, propose de réduire la place de la voiture en ville à travers la réduction du stationnement, l’aménagement de pistes cyclables et la création de « mailles apaisées », à savoir des quartiers où le trafic de transit est dissuadé et redirigé vers les axes importants du réseau routier. S’il est encore impossible d’évaluer l’effet global de Good Move sur la mobilité bruxelloise et l’emprise de l’automobile, force est de constater que les plans régionaux précédents (Iris et Iris II) n’ont pas atteint tous leurs objectifs et que les distances parcourues en voiture à Bruxelles sont en constante augmentation. Comment comprendre cette situation ? Quels sont les facteurs qui expliquent cette difficulté à réduire drastiquement la place (et ainsi les effets) de la voiture en ville ?
Pour répondre à ces questions, nous avons sollicité deux spécialistes des transports de l’ULB, Pierre Lanoy et Mathieu Strale. La contribution du premier aide à comprendre comment se nouent les différentes formes de dépendance à l’automobile, qui varient selon les territoires et les catégories sociales considérées. On apprend notamment que la dépendance à la voiture est à la fois objective, c’est-à-dire liée, entre autres, à l’équipement du territoire en infrastructures, et subjective, c’est-à-dire liée aux représentations des individus en ce qui concerne leur mobilité.
À ces deux formes de dépendance s’ajoute une dépendance historique, liée aux politiques publiques qui ont longtemps favorisé le règne de l’automobile. Création d’autoroutes urbaines, soutien à la propriété en dehors des centres urbains, mise en place du système des voitures-salaires (les voitures de société) : autant de décisions qui déterminent encore aujourd’hui la prépondérance de la voiture, comme nous le rappelle Mathieu Strale.
C’est dans ce cadre complexe que s’inscrivent les enjeux soulevés par les politiques de réduction de l’emprise automobile et de ses effets, comme la Zone de basses émissions ou Good Move. Parmi ces enjeux, pensons aux inégalités sociales que ces politiques sont susceptibles de générer ou d’augmenter. Si l’option est celle d’augmenter le coût de la mobilité (en augmentant le prix du stationnement, en contraignant les individus à changer de véhicule), ces mesures toucheront plus fortement les classes populaires que les classes intermédiaires et supérieures, d’autant plus que celles-ci sont fortement équipées en voitures de société, lesquelles reposent sur une exonération fiscale de près de 2 milliards d’euros.
Dans le même temps, les classes populaires, relativement moins motorisées à Bruxelles, sont plus fortement touchées que les autres par les effets néfastes de l’automobile, comme le bruit ou la pollution. Dès lors, comment réduire la place de la voiture et ses effets sur la ville tout en tenant en compte de ces dimensions sociales ? Plusieurs pistes sont esquissées dans la vidéo, dont la gratuité des transports publics accompagnée de la suppression des voitures de société.
Selon IEB, c’est au prisme de la justice environnementale que doivent être envisagées les mesures de restriction de l’automobile, c’est-à-dire en adoptant une lecture des enjeux environnementaux à même de placer la justice sociale au centre des politiques environnementales.
À défaut – et d’autant plus dans un contexte d’inflation et d’explosion des factures – le risque est grand que ces mesures soient considérées comme injustes par les classes populaires, et que celles-ci voient dans les politiques environnementales une contrainte coûteuse plutôt qu’un moyen pour améliorer les conditions de vie.