2000 : Le fédéral se sépare de sa Cité administrative

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17 juillet 2024 • Olivier Fourneau

Au début des années deux-mille, le gouvernement Verhofstadt I engage une politique budgétaire qui va transformer le visage d’une partie de Bruxelles. Afin de dégager des marges budgétaires, l’État s’engage dans une vaste opération de « Sale and lease back ». Le principe : revendre les actifs immobiliers de la collectivité pour les relouer ensuite, après rénovation. L’objectif affiché est d’assainir l’endettement de la nation. De manière plus insidieuse, il s’agit aussi de présenter l’État comme un acteur incapable de réaliser les travaux nécessaires (désamiantage). Septante-huit sites sont mis à la vente, mais la Cité administrative reste le plus emblématique d’entre eux.

Conçue dans les années cinquante, la Cité devait devenir le siège de toutes les administrations de la Belgique unitaire : des Colonies en passant par l’Éducation Nationale. Ce projet, gigantesque, regroupait tous les fonctionnaires au sein de 7 km de couloirs, des 340,000 m² de bureaux et de 1800 places de parkings. C’est aussi une utopie et un symbole que l’État met à la vente : l’ancien siège de son pouvoir. Pour le privé, c’est une affaire en or. Breevast rachète la Tour des Finances 276,5 millions d’euros, l’État s’engage en contrepartie à reprendre le bâtiment en location pour trente ans [1]. Le reste de la Cité administrative est bradé puisqu’elle n’est pas n’est relouée à terme. Estimée à 70 millions d’euros, elle est finalement vendue 27,1 millions d’euros au même promoteur.

Si pour des raisons doctrinales, l’État a fait de très mauvaises affaires, reste toujours à trouver un cadre pour adapter la Cité administrative, pur produit du fonctionnalisme, à son temps. Conçue pour être une usine efficace, d’un point de vue urbain, c’est en réalité un espace sans vie hors des heures de bureau et un mur infranchissable pour les riverains. En 1973 déjà, l’ARAU avait proposé un contre-projet permettant une perméabilité à la mobilité douce, des équipements collectifs et des logements sur le site. Une proposition rejetée à l’époque. Mais avec le changement de propriétaire, les pouvoirs communaux et régionaux, dans leurs plans stratégiques et réglementaires respectifs, consacreront ces principes : retour du logement sur le site, installation d’équipements collectifs, construction d’un escalier assurant le passage à tous. Bref, l’objectif est bien de ramener de la vie sur ce bout de territoire.

Puisque les autorités locales n’ont pas jugé bon d’acquérir un terrain au rabais, elles vont utiliser des règlements pour inciter, voire contraindre, le promoteur. C’est ainsi que la Région, à travers son Schéma Directeur, rentre alors dans un processus de concertation contre-nature pour inciter les propriétaires à choisir des options conformes à l’intérêt général. Le Schéma Directeur est adopté en 2006, il ouvre enfin la voie à un Plan Particulier d’Affectation du Sol (PPAS) qui ne sera publié que bien trop tard.

Or, en l’absence de ce prescrit, le promoteur n’est soumis à aucune contrainte. À cette époque, les bureaux sont encore la fonction rentable. C’est pourquoi Immobel et Breevast introduisent une demande de permis pour rénover les bâtiments sur les deux tiers de la superficie de la Cité. Ils décident alors d’ignorer les orientations stratégiques du Schéma Directeur et, loin de permettre le retour des habitants sur le site, proposent d’augmenter le total de la surface du bureau de 6000m². Nous sommes alors en 2009 et ça fait déjà cinq ans que les derniers fonctionnaires ont quitté les lieux. La Ville de Bruxelles a peur de voir émerger durablement une friche au centre-ville. Elle décide donc d’accorder le permis d’urbanisme.

Mais l’histoire ne s’arrête malheureusement pas là. En effet, la Ville est contrainte par arrêté du gouvernement de rédiger un PPAS affectant 35 % de la superficie totale de la zone au logement. En ayant augmenté précédemment la surface dédiée au bureau, il ne subsistait dès lors plus beaucoup d’autres solutions : pour bâtir 45 000 mètres carrés de logements sur un hectare et demi, il fallait nécessairement construire en hauteur. Le PPAS rédigé en 2012 autorisera donc trois tours de logements, une école et des commerces. En lieu et place d’un texte qui contraigne les promoteurs à adapter le site aux contingences urbaines, on a obtenu un texte qui octroie des droits aux entreprises aux dépens de l’intérêt général. Car entre temps, le marché s’est retourné et dès 2013, Immobel annonce qu’il réoriente ses activités sur le marché résidentiel.

Face à cette situation, IEB et le comité « Notre Dame aux Neiges » se sont mobilisés lors des deux enquêtes publiques pour demander un projet conforme à l’intérêt général : plus de logements sociaux, densité moins importante, suppression d’une tour afin préserver afin de préserver la vue sur la ville depuis la Colonne du Congrès . Toutes ces revendications se sont heurtées au PPAS. Les habitants et les associations étaient appelés à remettre un avis alors qu’un cadre réglementaire sur mesure autorisait le projet. Nous avons donc été contraints d’introduire un recours contre le permis au Conseil d’État. Ce dernier, dans son arrêt du 9 décembre 2022, annulera le permis d’urbanisme et constatera une illégalité dans le PPAS [2].

Tout permis fondé sur ce texte s’exposerait donc à une annulation. Plus de vingt ans après la vente du site, nous ne savons toujours pas aujourd’hui quel avenir lui sera réservé.


[1M.Hubert, « La Cité administrative de l’État – Schémas directeurs et action publique à Bruxelles », Les Cahiers de La Cambre n°8, p. 38 , 2009.

[2La Région avait explicitement demandé à la commune de préserver une servitude de vue depuis l’esplanade de la Cité adminsitrative dans son arrêté du 29 juin2007. Cependant, le PPAS prévoit deux tours sur son pourtour qui ne permettent pas « la valorisation de cet espace public d’observation du panorama de Bruxelles ».