Métro 3 : fiasco sur toute la ligne
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2 avril 2024 • Damien Delaunois
Explosion des coûts, blocage prolongé des chantiers, report de l’inauguration à 2034 « au plus tôt » : le métro 3 prend l’eau de toute part. Plus que jamais, il faut abandonner ce projet au profit de l’amélioration des lignes de tram, tant dans le tunnel de prémétro qu’à Schaerbeek et Evere.
Alors que le chantier sous le palais du Midi est bloqué depuis le printemps 2021, on apprenait le mois dernier que les travaux à la gare du Nord étaient eux aussi à l’arrêt, et ce depuis avril 2023. Il s’agit à cet endroit de construire un ouvrage souterrain de 150 mètres, destiné à raccorder le tunnel Nord-Midi à celui qui reliera la gare du Nord à la station Bordet.
« Imprévisibilité » ou imprévoyance ?
Comme pour le tunnel sous le palais du Midi, les techniques prévues dans le cahier des charges n’ont pas pu être mises en œuvre. L’ouvrage projeté doit être remonté en raison d’une nappe phréatique dite « perchée » qui malgré d’importants pompages n’a pas pu être suffisamment rabattue. Selon la porte-parole de Beliris, il s’agit d’une « circonstance imprévue que nous ne pouvions pas raisonnablement prévoir » [1] – une petite chanson déjà entendue au sujet des problèmes rencontrés sous le palais du Midi.
Pourtant, en avril 2023, Cédric Bossut (directeur de Beliris) semblait reconnaître devant la Commission mobilité que les tests préparatoires à ces travaux n’avaient pas été menés à bien : « [Les] essais ont buté sur des points rocheux, ils [les géologues et hydrologues] n’ont pas pu aller jusque dans le fond où […] on aurait pu identifier cette couche d’argile et l’ensemble des problèmes que nous rencontrons et du coup on n’a pas pu réaliser ces essais de manière complète [2]. » Pour ce faire, il aurait fallu demander de nouvelles coupures du trafic ferroviaire, présentées comme extrêmement contraignantes par le directeur de Beliris. Doit-on comprendre que le maître d’ouvrage aurait persévéré malgré l’incomplétude des tests préparatoires [3] ? Dans ce cas, invoquer l’imprévisibilité n’est pas incohérent : comment pourrait-on prévoir des circonstances que l’on n’a pas cherché à connaître ?
Comment pourrait-on prévoir des circonstances que l’on n’a pas cherché à connaître ?
Et le gros morceau doit encore venir
Nullement échaudé par les difficultés rencontrées pour construire 150 mètres de tunnel et malgré l’annonce, en mai 2023, de la possible suspension du tronçon vers Bordet [4], Beliris a introduit une deuxième demande de permis relative à l’extension vers Bordet. Extension qui repose sur la réalisation d’un ouvrage autrement plus important que celui projeté à la gare du Nord : un tunnel de 5 kilomètres, à réaliser selon une technique (le tunnelier) n’ayant pas fait ses preuves à Bruxelles. En amont de l’enquête publique, la Commission royale des monuments et sites (CRMS) [5] pointait des risques quant à la « stabilité des biens remarquables situés dans le périmètre du projet » dont l’hôtel communal de Schaerbeek. Même les consortiums ayant réagi à l’appel d’offres auraient émis des doutes au sujet de l’« efficacité de la méthode choisie pour certaines stations » [6]. Ce sera tout ? Non, car les questionnements ne se limitent pas au volet technique du tronçon nord, mais également à son financement. À ce jour, on ne sait pas comment la Région compte financer la partie la plus coûteuse du projet, bien que plusieurs pistes aient été évoquées par le ministre régional des Finances fin 2023 [7]. Premièrement, réduire le nombre de stations entre Nord et Bordet, solution qu’on devine aujourd’hui abandonnée vu que le permis demandé par Beliris prévoit toujours sept stations [8] ; deuxièmement, affecter au métro les recettes (floues) d’une taxe kilométrique intelligente (Smart Move), au frigo depuis plusieurs années faute d’accord politique ; enfin, « déconsolider la dette », c’est-à-dire financer l’extension via un partenariat public-privé (PPP) [9]. Ce sera très probablement au prochain gouvernement que reviendra le choix du montage financier.
Financer le métro, définancer le reste
Quelles que soient les modalités du financement, la réalisation du métro 3 aura des répercussions budgétaires très nuisibles pour les Bruxellois. Alors que l’extension vers Bordet, partie la plus coûteuse du projet, n’est même pas engagée, le gouvernement a fait un choix clair pour pouvoir maintenir les investissements dans le métro. C’est celui de l’austérité, dont le budget 2024 donne un avant-goût : réduction du budget des administrations, baisse des subsides aux associations et augmentation des prix du transport public, désormais indexés chaque année. Ces coupes budgétaires sont actées alors que les crédits affectés au métro, qui avoisinent en 2024 les 180 millions d’euros, devront augmenter fortement dans les prochaines années : rien que pour la période 2029-2031, ce sont en moyenne 768 millions [10] qui devront être débloqués annuellement. Nul besoin d’être expert en comptabilité publique : poursuivre la réalisation du métro 3 impliquera une forte dégradation des services publics, ce « patrimoine de ceux qui n’en ont pas ». Si, en théorie, investir dans le transport public répond à un enjeu de justice sociale, le métro 3 opère en pratique exactement l’inverse – sans oublier que sa réalisation affecte et affectera essentiellement des quartiers populaires : aujourd’hui Stalingrad, demain les quartiers de l’axe Nord-Bordet.
Sortir par le haut : le prémétro+
Des alternatives au métro 3 existent. La Plateforme Avanti, qui regroupe à ce jour près de vingt signataires dont IEB, l’ARAU, le Bral et Save Tram 55, a formulé en janvier 2023 une proposition d’amélioration du transport de surface dénommée Prémétro+. Ce plan propose de valoriser le tunnel de prémétro en y injectant un troisième tram (le 55, qui serait prolongé vers Uccle et Forest) et d’améliorer la performance du 55 dans le nord en exploitant la ligne avec des trams plus longs. D’autres mesures connexes, notamment la création d’une ligne supplémentaire sur la chaussée de Haecht, sont également étudiées.
Les avantages du Prémétro+, outre de répondre à la hausse potentielle de la fréquentation, sont notamment d’ordre financier : sa mise en œuvre réclame des investissements 80 à 85 % inférieurs à ceux du métro 3 – dont le coût a presque quintuplé depuis 2013 (passant d’un peu plus d’un milliard [11] à 4,7 milliards). Le Prémétro+ permet également de préserver le palais du Midi, que la STIB semble vouloir démolir sans attendre le verdict de la Cour constitutionnelle [12] relatif au recours introduit par IEB et l’ARAU [13].
Moins cher (libérant ainsi d’importants investissements pour d’autres politiques publiques, de mobilité ou non), plus rapide à mettre en œuvre et assurant une connexion directe aux espaces centraux de la Région, le Prémétro+ permettrait de sortir du bourbier dans lequel s’empêtre le métro 3. Le gouvernement régional, la STIB et Beliris apercevront-ils la lumière que lui brandit le secteur associatif au bout du tunnel ?
Poursuivre la réalisation du métro 3 impliquera une forte dégradation des services publics.
[1] « Le métro 3 s’enlise aussi à la gare du Nord », L’Écho, 03/02/24.
[2] Audition de Cédric Bossut, Commission mobilité du Parlement bruxellois, 18/4/23. Nous avons retranscrit l’audition depuis son enregistrement vidéo. youtube.com (à partir de 52:40).
[3] Une possible précipitation qui n’est pas sans rappeler la hâte avec laquelle furent délivrés les permis pour les travaux à Stalingrad.
[4] « Le métro Nord compromis par des offres trop élevées pour les travaux », L’Écho, 23/05/23.
[5] La CRMS avait également émis des craintes quant aux travaux sous le palais du Midi.
[6] « Métro 3 : l’efficacité de la congélation remise en question », L’Écho, 17/2/24.
[7] Pistes exposées lors d’une soirée-débat organisée par le Bral, « Le chantier du siècle », 14/11/23.
[8] Tant qu’on y est, pourquoi pas un métro express Bordet-Nord, sans arrêts intermédiaires ? Rappelons qu’avec ses sept stations, le métro 3 réduit déjà fortement l’accessibilité géographique qu’assure aujourd’hui le tram 55 et ses quatorze arrêts.
[9] Les PPP, par lesquels les pouvoirs publics peuvent déléguer le financement, la construction voire l’exploitation d’une infrastructure, permettent de « déconsolider » la dette, c’est-à-dire l’extraire de la comptabilité publique. Lire sur notre site : « La politique de mobilité bruxelloise à l’épreuve budgétaire », décembre 2019.
[10] « Bruxelles : tout le monde veut le métro Nord, personne ne sait comment le payer », Le Soir, 19/10/23.
[11] Chiffre issu du contrat de gestion de la STIB 2013-2017.
[12] « MIVB gaat verder met spoedprocedure voor afbraak Zuidpaleis, ondanks beroep », Bruzz, 28/02/24.
[13] Lire sur notre site : « Palais du Midi : recours contre l’ordonnance ”Fast-Track“ », 23/02/24.