1983 : Les abattoirs d’Anderlecht, la reprise !

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20 mars 2024 • Cataline Sénéchal

Dans les années quatre-vingt, le centre de Bruxelles se désindustrialise. Certaines entreprises déménagent en périphérie, d’autres font faillite. Les abattoirs d’Anderlecht auraient pu connaitre le même sort sans la reprise de l’infrastructure par une centaine de bouchers, grossistes, marchands de bestiaux, transformateurs de viande et entreprises du quartier de Cureghem. Il faut dire que nonante ans durant, l’abattoir communal était resté dans son jus du XIXe, en partie faute d’investissement de l’autorité publique, propriétaire. Les abatteurs y travaillaient encore dans des échaudoirs individuels, la viande se vendait sur des planches en bois sous la grande halle et, dans son marché aux bestiaux, se rencontraient pêle-mêle des animaux de toute la Belgique. A l’aube des années quatre-vingt, l’infrastructure contrevient aux normes sanitaires européennes et doit être modernisée ou… fermer. La commune d’Anderlecht opte pour la faillite.

Cependant, en 1983, les personnes et les entreprises qui en vivent se mobilisent, se constituent en société (Abatan, renommée depuis lors Abattoir), financent, reprennent, reconstruisent ce qui est encore aujourd’hui, un abattoir en fonction. Carlos Blancke nous en a fait le récit dans une interview 2016. Et le dernier au cœur d’une grande ville, qui plus est, une capitale. En parallèle, l’ARAU obtient le classement de l’emblématique halle du marché aux bestiaux, protégeant ainsi l’historicité du site. Dans des bâtiments tout neufs, ça abat, ça travaille, ça vend et la société gestionnaire entame le nouveau millénaire comme un zoning fermé en pleine ville.

Toutefois, le site entrouvre progressivement ses grilles. Dès la fin des années nonante, autour des murs de l’abattoir et de ses grossistes, s’agrègent les échoppes d’un grand marché généraliste et populaire… Elle accueille quelques poissonniers contraints de quitter Sainte-Catherine. C’est l’amorce de la diversification commerciale. Et depuis 2009, à côté de quelques échoppes de produits paysans, le jeudi soir, c’est bal, enfin, apéro urbain, sous la grande halle désormais vidée de son marché aux bestiaux bihebdomadaire. Et depuis 2018, lorsque des grossistes en viande mettent un terme à leur bail, elle ouvre désormais ses ateliers de découpe à des producteurs de miso, de soupe, d’herbes aromatiques, parfois à grand coup de communication d’innovations technologiques. Le toit de son Food Met (FEDER, 2015) accueille aussi une entreprise tendance où des poissons et des tomates poussent ensemble, ses caves gigantesques voient grossir des champignons japonais sur de la drêche de brasserie.

Plus encore, la majorité de la surface de la Manufakture Abattoir (FEDER, 2024), censée abriter un temps un futur abattoir 2.0, a été convertie en parking, faute de pouvoir financer une nouvelle infrastructure d’abattage. Comme la commune au siècle précédent, la société n’a pas entamé les modernisations suffisantes pour répondre aux normes sanitaires de plus en plus drastiques.

Et, si les subventions publiques ou le tiers investisseur arrivent bien, une piscine semi-ouverte surplombera dans un futur désiré par les pouvoirs publics la zone de déchets des lignes d’abattage. Enfin, des logements - probablement sociaux -s’érigeront sur l’espace libéré de sa condition de parking en front de canal. Aucun calendrier n’est encore annoncé.

Comme on peut le comprendre, ce grand site de 9,2 hectares occupe une situation stratégique dans le grand projet de rénovation urbaine de la Région bruxelloise, suscitant la créativité d’un escadron d’urbanistes, de promoteurs immobiliers et du pouvoir public. L’entreprise, même si elle demeure familiale, s’est ouverte petit à petit à un actionnariat financier, non directement concerné par le commerce ou la transformation de viande. Et, d’activité reine durant près de 140 ans sur un site, la viande devient petit à petit une activité mineure. C’est en partie en raison de cette intuition programmatique qu’IEB avait publié un article dans le Plouf en 2011 et un BEM en 2012. Et que les dénégations de la société ont débouché sur Forum Abattoir - un partenariat IEB, CRU et Abattoir qui, avec quelques pauses, a duré de 2013 à 2020. L’idée première était d’alimenter un grand débat public sur le devenir du site des abattoirs, en prêtant attention à ceux et celles qui sont rarement invités à y prendre part alors que ces personnes sont directement concernées, qu’elles soient riveraines, travailleuses, éleveuses, acheteuses ou simples passantes… Et vu la spécificité du lieu, le projet a porté aussi sur les conditions de vie et de mort des animaux d’élevage. Il s’agissait aussi de montrer l’importance pour Bruxelles de ce lieu chargé d’histoires, de récits multiples et qui, sans trop d’imagination, déjà, est un outil favorisant la consommation en circuit court de la viande. Il s’agit d’un outil bien particulier, car contrairement à de nombreux abattoirs belges, il n’est pas dédié à des élevages liés contractuellement à des entreprises agroalimentaires, mais aussi à des petits éleveurs voisins et de la boucherie de détail. En outre, l’abattoir et son marché sont pourvoyeurs de centaines d’emplois directs et indirects à préserver surtout dans une ville-région qui peine à fournir de l’emploi à ses habitant.es. Enfin, par sa taille et son caractère semi-industriel, l’expérience de ses ouvriers abatteurs, les animaux y étaient un peu mieux considérés que dans les méga-abattoirs industriels périphériques.

L’orientation événementielle du site, le projet de piscine semi-couverte qui surplomberait la zone déchet des lignes d’abattage et le complexe renouvellement du permis d’exploitation de l’abattoir, menacent directement le futur de l’infrastructure. Par ailleurs, cet abattoir pratique pour partie encore de l’abattage rituel... Cette pratique est menacée, avec, notamment des conséquences économiques, sociale et culturelles fortes. Si ces divers, scénarios se confirment, l’infrastructure ne soufflera certainement pas sa 137e bougie en 2027.

Donc, ceux et celles qui souhaitent observer des animaux conduits à l’abattoir doivent se presser. Poser un regard humain sur l’arrivée de animaux n’équivaut pas à une appétence à observer la souffrance animale, mais un souci d’exercer une responsabilité commune à relier un bout de steak à un animal qui a été élevé pour contenter l’appétit humain ! Doivent-ils être abattus derrière les grilles d’un zoning industriel ?

Envie d’en savoir plus ? Sur le site de Forum Abattoir - aujourd’hui à l’état d’archive, vous pourrez consulter les très nombreux articles consacrés aux abattoirs d’Anderlecht : une histoire d’humains, d’animaux et de quartier. La plupart proviennent des deux numéros de l’abattoir Illustré. N’hésitez pas également à consulter les nombreux articles consacrés au lieu, et plus largement au quartier, et publiés sur le site IEB.