Le logement social en Europe
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6 décembre 2023 • Aliocha Jousselin,
Hugo Périlleux
La carte ci-dessous présente le taux de logements publics locatifs pour les principales villes et pays de l’Union européenne [1] ainsi que du Royaume-Uni. Elle permet une comparaison, à l’échelle de l’Europe, de l’état du parc social locatif public avec une tentative de modélisation.
Selon Laurent Ghékière [2], Directeur des affaires européennes de l’Union Sociale pour l’habitat, il existe trois modèles de politique de logement social :
- le modèle universaliste, qui vise l’ensemble de la population, en complément de l’offre privée ;
- le modèle généraliste, qui vise les ménages qui ont des difficultés à se loger. Il y a un plafond de revenus qui est mis en place ;
- le modèle résiduel, qui vise seulement les ménages défavorisés et exclus du marché du logement.
En réalité, l’essentiel du logement public locatif peut être assimilé à du logement social bien que les loyers et conditions d’accès (essentiellement les plafonds de revenus) peuvent varier selon les pays. On observe de fortes disparités par aires géographiques qui s’expliquent par les contextes politiques et historiques différents ainsi que par l’ampleur des politiques sociales et des vagues de privatisation.
Méthodologie
La carte ci-dessus recense les villes de plus de 500 000 habitants ainsi que les capitales administratives même lorsque leur population est inférieure à ce nombre. Le taux de logement social indiqué est le nombre de logements sociaux locatifs publics pour 100 logements dans l’aire urbaine. Si le détail des chiffres concernant l’ensemble des communes et villes qui composent l’agglomération n’est pas disponible, nous avons alors comparé les données à l’échelle de la ville centre.
Nous ne représentons ici que les villes où nous avons eu accès aux données quand celles-ci sont disponibles en libre accès ou quand elles nous ont été partagées par les administrations concernées.
En Europe occidentale, on observe des situations contrastées. Ainsi, en Belgique le logement social a toujours eu une place résiduelle et est plutôt à destination des plus pauvres. De façon contrastée, en France et dans les villes allemandes, la proportion de logements sociaux est deux fois supérieure avec des taux allant de 15 à 20 %. Il en résulte que ces logements étaient, au moins initialement, également à destination de ménages des classes intermédiaires. Beaucoup de ces logements « dits sociaux » ne répondent, dans les faits, pas aux moyens des ménages les plus pauvres.
Les Pays-Bas, l’Autriche et les pays scandinaves (Finlande, Suède, Danemark) se démarquent, quant à eux, avec des taux assez élevés de logements publics locatifs. Ceci est le produit de politiques sociales-démocrates menant à un État-providence plus fort que dans le reste de l’Europe. Toutefois, ils vont aussi être sous l’influence des politiques néo-libérales et connaître une privatisation d’une partie de leur parc public à partir des années 80. L’objectif de mixité sociale va, par exemple, conduire la capitale finlandaise d’Helsinki à plafonner à 50 % par quartier le taux des logements sociaux. Par ailleurs, les politiques régulatrices des pays scandinaves doivent faire face aux plaintes de la Commission Européenne pour non-respect du droit à la concurrence et se voient remises en question. Dans des villes comme Rotterdam et Vienne, le taux de logements publics est d’environ 40 %. Bien qu’il existe des plafonds de revenus, on assiste à une diminution des contraintes pour accéder au logement public. Si bien que, alors que le logement public y possédait un caractère relativement généraliste, l’assouplissement des conditions d’accès peut conduire à une situation où l’offre publique est de moins en moins sociale.
Le Royaume-Uni a la particularité d’avoir connu des taux importants de logements sociaux mais d’avoir pratiqué, à partir des années 1980, des politiques de privatisation. Le programme right-to-buy (qui peut se traduire par « le droit d’acheter »), porté par Margaret Thatcher, consistait à autoriser les locataires de logements sociaux à devenir propriétaires en achetant le logement social qu’ils habitaient. Il en résulte aujourd’hui des taux assez faibles de logement public. Alors que le logement social possédait une place importante, il est aujourd’hui devenu relativement résiduel dans des grandes villes comme Londres ou Birmingham, Glasgow restant l’exception.
Les pays méditerranéens (Portugal, Espagne, Italie, Grèce) sont quant à eux caractérisés par une faible proportion de logements publics locatifs et un taux élevé de propriétaires occupants. Ainsi, l’Italie a un taux de propriétaires de 70 % avec une proportion de logements sociaux de seulement 4 %. Aucun budget n’est prévu pour rénover ou construire de nouveaux logements sociaux. À Athènes également, il n’y a pas de système de logement social, mais, en revanche, un taux de propriétaires très élevé. De façon générale, ces pays font face à la faiblesse des politiques sociales. En fin de compte, hormis quelques exceptions, le logement social y a toujours été cantonné à une position résiduelle. L’importance du marché privé devient particulièrement problématique en cas de crise de ce marché à l’instar de ce qu’a connu la péninsule ibérique au moment de la crise des subprimes en 2008 qui a ébranlé en profondeur le système bancaire et mis nombre d’habitants dans l’incapacité de rembourser leur emprunt. Il se fait qu’au cours des années qui ont précédé la crise, les sociétés d’emprunt hypothécaire avaient ciblé deux groupes sociaux particulier pour vendre leurs crédits : les migrant·es et les femmes. La PAH (Plataforma de Afectado·as por la Hipoteca – Plateforme des victimes du crédit hypothécaire) est née à Barcelone en février 2009 comme une réponse citoyenne à la situation des personnes qui ne pouvaient plus payer leur crédit hypothécaire et se sont vu réclamer par leur banque une dette très élevée, même après avoir perdu leur logement (A ce sujet, lire : Espagne : La PAH). Tant au Portugal et qu’en Espagne, il y a de fortes mobilisations pour le droit au logements qui devient un sujet politique de premier ordre.
Les pays, anciennement soviétiques, d’Europe de l’Est ont également connu des taux très élevés de logements publics locatifs. Avec la chute de l’URSS, le logement social public est perçu comme un système hérité de la période soviétique et reste marqué d’une image négative [3]. Il s’est ensuivi des vagues de privatisations importantes qui se ressentent encore plus dans les grandes villes comme Prague ou Varsovie. Dans certains de ces pays, le logement social ne possède plus qu’un caractère résiduel, quand il n’a pas complètement disparu comme c’est le cas à Bucarest où il n’y a plus que 0,1 % de logements publics. Si le secteur public est devenu faible suite à des stratégies de privatisations à marche forcée, le taux de propriétaires est très élevé : 89 % des ménages lituaniens sont propriétaires du logement qu’ils habitent, 84 % des ménages lettons et 96,4 % des ménages roumains. Dans certains cas, le rachat a mené à de fortes concentrations de la propriété dans les mains de grandes sociétés comme Vonovia et la Deustche Wohnen à Berlin qui, ensemble, possèdent près de 10 % des logements de la ville. Cette situation a conduit à un référendum historique, où 60% des Berlinois·es se sont prononcés en faveur de l’expropriation des grandes sociétés immobilières et de la socialisation des 240.000 logements concernés.
En conclusion, on observe de façon générale une dégradation – tantôt lente comme au Royaume-Uni, parfois plus rapide comme dans les pays de l’Est – de l’offre en logement public locatif liée à une privatisation progressive des parcs sociaux existants. Certaines villes parviennent à se démarquer de leur moyenne nationale faible, c’est le cas à Glasgow ou dans certaines villes allemandes, notamment Berlin, ce qui démontre les marges de manœuvre dont peuvent disposer les villes pour mettre en place une politique de logement social plus ambitieuse [4]. Quel que soit le taux de logements sociaux, la crise du logement abordable fait rage dans tous les pays et aucune des villes représentées ne dispose d’ un stock de logements à bas prix suffisant pour répondre au besoin de sa population. Il est donc primordial et nécessaire de continuer à se battre pour défendre la production de logements sociaux.
[1] Les données viennent de l’Union sociale pour l’habitat « Le logement social dans l’Union européenne », 2019. union-habitatbruxelles.eu ainsi que de l’Office for National Statistics pour le Royaume-Uni ons.gov.uk.
[2] L. GHÉKIÈRE, « Le développement du logement social dans l’Union européenne », Recherches et Prévisions, 94 : 21-34, 2008.
[3] « Le logement social dans l’Union européenne », 2019 [[union-habitat-bruxelles.eu.
[4] Voir à ce sujet : La fin de l’État-providence sabre le logement social : le cas de Rotterdam