Luna cigale : t’aurais pas vu la nuit ?
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12 juillet 2023
« Excusez-moi madame, t’aurais pas vu la nuit ? Dites madame, tu danses encore, toi ? Tu succombes avec moi ? T’aurais pas vu les karaokés où l’on crache ses poumons en se prenant pour une diva ? Ce soir-là je suis comme une star et j’aime tant les chansons d’amour je voudrais mourir sur la scène du bar de la Louve ! »
La diva du bar de la Louve tous les samedis sur le parvis du singe ! Elle t’aime ou elle t’insulte. « C’est moi que je suis la Joconde. Elle chante la Anne Sylvestre. Je souris, regarde ! Pour me voir on fait la ronde. Dites madame, tu te souviens, c’est moi, la vagabonde ! » Je suis tornade. Tsunami. Princesse Luna Cigale. Stromae, je te le chante !
« Alors on danse ! Tam tam tam tam ! » (elle danse sur la table du bar du Louvre)
Je te chante tout. J’ai le mic et tout. Je suis vague, déferlement, rose des vents, inondation, fortes en flamme. Un chant d’esclave ! Un vrai juke-box du temps !
Dites madame t’aurais pas vu les étoiles ?
« Si on les allume les étoiles il disait Vladimir, c’est qu’elles sont à quelqu’un nécessaires ? C’est qu’au-dessus des toits il faut que brille au moins une étoile »
Et moi je suis le rêve Kawasaki.
Et les étoiles, bien sûr, ça danse pas dans les voix de garage !
Ça connaît Hiroshima, Auschwitz, Nagasaki.
Ça fugue alors dans sa tête. Ça parle toute seule, ça connaît
toutes les couleurs de la rue et des hommes.
Ça danse dans les bars, et les boîtes de nuit. C’est la clef de l’amour.
Ça se soulève, ça renverse tout, la table, les hommes, le temps !
C’est de la mauvaise herbe. Des bribes de mémoires éclatées.
Ça éclate de rires débarcadères, un RDV manqué avec vous !
Dites madame t’as pas un euro ?
Tu donnes ton soutien-gorge ?
Dites madame ta peur c’est ton nom ?
Dites madame pourquoi tu cours ?
Derrière quoi, tu disparais, pourquoi tu danses plus ?
Tu cours, tu cours, tu risques de tomber.
T’es toute petite…
Moi je chante avec les babouchkas, et quand je chante je deviens énorme comme une matriochka, ça s’emboîte et ça se déboîte, je me recroqueville parfois toute petite. Mais j’aiguise mes armes. J’invoque la poupée de Baba Yaga… Croc poulet.
La plus petite des matriochkas, qui souffle à l’autre : « Hé cache toi ! » Croc poulet.
Tu vois les nuits de Moscou qui ont disparu ? Et les chiens errants cherchant les femmes à mordre... ils aboient fort.
Croc poulet.
Dites madame t’es furie ou quoi ? Ta peur c’est ton nom.
Je chante des mélodies slaves mais le RDV a disparu.
Le faubourg qui n’est pas Harlem.
J’ai travaillé en usine, virée, j’ai travaillée dans l’art, virée.
J’ai travaillé dans l’associatif, virée.
Dites madame pourquoi y a des ronds par terre où je dois me terrer pour manger une soupe dégueulasse. Je viens d’un conte de princesse moi. J’ai des oiseaux de feu dans le ventre.
Ça chante !
Je joue au Bolchoï dans ma tête. Mais ils nous coupent la tête avec leurs guerres, croc poulet.
Pourquoi tu cours, ta peur c’est ton nom ?
Ma peur quand elle vient, quand elle devient mon nom, je l’entoure d’immondices pour que les prédateurs ne me voient pas, qu’ils ne m’approchent pas.
Je me cache sous la merde.
Et je chante des vieux blues… ou des contes de l’Est.
Mais je suis une diva, planquée dans les ordures ?
Je suis la Joconde qui sourira sous les bombes !!!
T’as disparu, dites madame, je suis seule sur la place.
Avec mes cordes vocales.
J’ai sorti un couteau quand un homme m’a…
J’ai dit moi je connais la guerre.
Dites madame pourquoi t’es partie ? Dis madame pourquoi
tu m’as laissée seule ?
Y avait plus personne, j’étais seule, y avait la foule puis
plus personne, la peur c’est leur nom.
Il m’a pissé dessus, il m’a poursuivie, il était dingue,
sa peur c’est son nom.
Il a vécu la guerre. Il a vécu comme moi les bombes.
Ses mots étaient des déflagrations.
La police est venue elle m’a arrêtée, m’a insultée et puis elle
m’a relâchée. En disant : sale putain.
Police de proximité, disent-ils.
Mais la rue a disparu, les gens, les places aussi.
Dites madame tu me donnes ton soutien-gorge ?
Pourquoi y a des ronds par terre,
Dites madame, connasse ! Réponds !!!!
Dis, pourquoi je disparais dans un rond, toute petite ?
Dans un rond tracé à la craie pour marquer la distance…
La peur c’est leur nom. Plus personne ne touche ma main.
Plus personne n’écoute ma voix.
Dites madame, c’est qui Burnout ? Ils sont où, j’ai des questions ?
Y a plus que les ronds par terre.
Paraît madame que je dois manger la soupe dedans.
Mais y a pas assez de ronds pour tout le monde… et puis la
soupe est glacée.
Dites madame la colère n’a pas le sens des distances…
Je sais le nom des fascistes,
je sais le nom de ma colère,
je sais le nom de ma peur,
je sais le nom de mes rêves,
je sais le nom de l’amour,
je sais le non de la vengeance,
je sais le nom de la guerre…
Je sais le nom de toutes ces soupes dégueulasses !
Elle se bat pour un trou avec d’autres, je sais le nom de ceux qui veulent me faire taire ! Et puis je les vois ceux et celles qui sont prêt·es à brandir leurs assassins pour me traquer.
Tu veux la mettre dans un trou, madame ?
Je suis dans le trou. J’habite dans un trou !!!
Et dans les trous, parfois les gens s’entre-déchirent, la peur c’est leur nom.
La diva a disparu… Si tu tournes la manivelle je chante.
Celle qui chantait dans les karaokés du bar de la Louve.
Elle ouvre une boîte à musique et elle danse, t’as pas une
clope, dites madame tu me donnes ton soutien-gorge :
« J’veux qu’on rie j’veux qu’on danse j’veux qu’on s’amuse comme des fous
je veux qu’on rie j’veux qu’on danse, je veux qu’on s’amuse comme des fous
quand c’est qu’on me mettra dans le trou. »
(elle chante à pleins poumons Jacques Brel)
Là… t’as vu madame, le trou…
Moi j’en ai vu des trous dans la rue, y en a plein,
Trou entouré d’un cercle.
Cercle entouré d’un trou.
Avec une soupe dans le meilleur des cas.
C’est dur de vivre ou de mourir dans un trou.
La soupe est froide.
Mais tu peux pas dépasser le trou, tu dois y rester dans le trou.
Surtout pas dépasser.
Garder tes distances. Mais moi je sais pas rester dans un trou.
Dites madame j’ai besoin d’un peu de vin et des fleurs, je chante aussi Fréhel, je suis anachronique totale, je veux qu’on rie.
Y a quelqu’un ? Je suis toute seule… Dites madame t’es tombée dans le trou ?
Bruxelles ma belle. Ma Terre culturelle.
Où je suis exilé·e.
Loin du sud, loin de chez moi.
Pays de Charleroi.
Bruxelles ma belle que t’est-il arrivé ?
Où est cette ville qui ne dort pas ?
Et qui toujours se boit.
Où sont tes passant·es endormi·es dans l’aube absinthe, grise ?
Tes bars et tes troquets pourris ?
Où sont tes festivals ? Tes soirées de gala ?
Tes théâtres remplis, où sont tes cinémas ?
Tes Bruxellois bourrés de principes-otés ?
Tes Bruxelloises aux mille couleurs ? Sourire accroché au cœur.
Tes 36 langues et tes pavés sous les fleurs. Ta pluie d’avril, mélodie de bonheur, ta pluie d’été, et de tous les mois qui lave nos âmes de bourgeois. Où est-elle, ta pluie salvatrice ? Qui te pardonne quand tu t’en câlisses et que t’envoies tout fout’ le camp : le roi, la loi, l’gouvernement.
J’avais trouvé New York en toi. Mais il me semble que sur les toits les violons ne chantent plus. Et Bruxelles, d’interdire continue. C’est la ruée sur tes avenues. Ça fait la file pour du tissu. Pour consommer, vivons. Mais pour un verre, une terrasse, il ne faut plus que l’on s’embrasse. Fini les bisous sur la bouche. Fini les baises. Fini d’aimer.
C’est pour notre sécurité.
Coup de coude, clin d’œil. Derrière des lunettes embuées. Nous sommes dans la visière d’un plan de to-ta-li-ta-rité. Tu l’sens monter le plein régime ? Tu l’sens venir le paroxysme ? L’acmé du coup de sparadrap. Qu’on ne t’enlève qu’une seule fois. Qui arrache les poils et puis la peau et la vertu. Tu la sens venir la mauvaise idée de marcher au pas. L’interdiction de circuler l’esprit ouvert.
L’air c’est dangereux, quand ça ne gonfle pas les bons enjeux, et que ça s’essouffle dans les voiles de la banque nationale. Tu le sens le petit vent de la grande arnaque. Qui donne à tout le monde le trac pour n’pas penser pendant ce temps-là, qu’iels sont trop à mourir là-bas. De l’autre côté où ça se voit pas, qu’on meurt de faim, de guerre, de froid.
Tu l’oublies ce p’tit détail-là ?
T’as l’impression qu’on te dicte quoi faire. Qu’on se fait prendre pour des gros fions, parce qu’on peut plus se faire pochtron. Attends un peu qu’elle passe en douce, la petite loi qui va tout changer. Et faire de Bruxelles une cambrousse à rebrousser. Attends qu’ils taillent à la machette, dans nos semailles, dans nos retraites.
Attends bien que ça soit fini. Cette doucereuse euthanasie. Regarde-là bien ta liberté, que tu laisses lentement s’échapper. Observe Bruxelles une dernière fois. Avant qu’on passe en dystopique. On te l’a bien dit autrefois. D’Orwell à Philip K. Dick. Qu’il en faut peu, de mauvaise foi, pour rendre la vie démo-critique. Alors Bruxelles, réveille-toi. Reprends les armes, sors dans les rues. Et ne laisse pas un mélodrame clouer le bec à ta cohue !
Bruxelles un jour, j’ai cru en toi et tu m’es revenue comme la Mathilde à son Brel. Comme à la fin d’un opéra. Quand tu faisais du peuple belge un mythique peuple de Gaulois. Quand sur l’Impériale, tu avais le cœur dans les étoiles. Ne pends plus ton canal. Mon plat pays a mal. S’il faut le réveiller. Recommence à rêver. Que le vent est au sud, que le vent est au blé, que tout peut encore changer !
Bruxelles relève-toi. Il n’est qu’ici que mon cœur bat. Un peu plus fort et chaque jour que je me tords, sonnent les tambours. Bruxelles ma belle, il n’y a qu’à toi en qui j’ai déposé mon âme, une nuit sous la pluie, sur le pavé de tes charmes. Peu m’importe si j’ai froid, je ne veux plus m’en cacher. Il y a trop de cache-misère, pour se rajouter des œillères. Je ne veux plus qu’on endoctrine. Mon âme, mon corps, ni même ma ville.
Bruxelles redeviens indocile !
À nous la nuit !
À nous d’inventer l’art de demain !
Et s’il faut mourir !
Alors autant le vivre !
Le dernier instant !
Autant l’être intensément !
Puisque de toute façon un jour...
Il ne restera plus rien !
Ni feu, ni amour !
À peine le souvenir...
De ta main dans ma main.