Ring Nord : la Flandre en roue libre
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22 février 2023 • Damien Delaunois
La Région flamande souhaite élargir le ring Nord (R0) dans la zone Jette-Wemmel et le dédoubler au niveau de Zaventem, ce qui pourrait à long terme engendrer sa saturation et des reports sur le réseau bruxellois. Alors que l’échec de plusieurs « mailles apaisées » pourrait alimenter une frilosité à réduire la place de la voiture en ville, quelle sera la position de la Région bruxelloise ?
Fin juillet 2022, la ministre flamande de la Mobilité (Lydia Peeters, Open-VLD) annonçait qu’une option de réaménagement avait été retenue quant au ring nord [1]. Une partie du tronçon concerné sera élargie entre l’échangeur R0/E40 (vers Ostende) et l’A12 (dite autoroute d’Anvers) et une autre, dans la zone de Zaventem, dédoublée juste avant l’échangeur R0/E40 (vers Liège). Alors qu’en juillet 2021 le gouvernement bruxellois s’était fendu d’un communiqué très critique envers les trois options d’aménagement en lice et la méthodologie retenue [2], il n’a cette fois pas réagi de manière collégiale.
Retour sur un projet quasi vingtenaire
Cet élargissement, certes partiel, n’est pas une surprise. D’une part, la décision formelle d’intervenir sur le R0, qui date d’un conseil des ministres tenu en 2013, évoque explicitement un élargissement. D’autre part, parmi les trois alternatives encore en lice avant l’annonce de la ministre, même l’option qualifiée de « light » prévoyait par endroit une bande de circulation supplémentaire.
Si l’objectif des travaux a été formalisé il y a une dizaine d’années, l’intention de réaménager le R0, elle, est plus ancienne. C’est en effet suite au départ de DHL de Zaventem, en 2004, qu’un plan visant à améliorer l’accessibilité de l’aéroport est élaboré. Un plan qui, de facto, implique des changements au niveau du R0 qui dessert Bruxelles-National. Pour cette zone, le choix a été fait de dédoubler le ring afin de scinder les flux locaux des flux de transit.
Bien que les discours officiels se focalisent sur le transport des personnes, la scission des flux au niveau de l’aéroport (et l’élargissement du côté de l’autoroute menant vers Gand et Ostende) répond évidemment au souhait de fluidifier le fret routier. Partie intégrante des réseaux transeuropéens de transport, le ring nord constitue un maillon essentiel au sein du « triangle Bruxelles-AnversGand [qui] structure l’activité logistique et de transport de marchandises en Belgique [3] ». L’élargissement du R0, censé améliorer la fluidité du trafic, répond ainsi à l’intention de soutenir la croissance des activités logistiques, qui pèsent pour près de 10 % dans le PIB flamand [4].
Une méthodologie qui pose question
Mais est-on bien certain qu’un élargissementdédoublement augmentera la fluidité des flux ? Augmenter l’espace dévolu à la circulation routière, on le sait, tend à engendrer des déplacements supplémentaires, qui constituent ce qu’on appelle le trafic induit. Une saturation du R0 n’est donc pas à exclure, ce qui pourrait entraîner des reports vers le réseau local avoisinant – alors que l’un des objectifs de Werken aan de Ring est précisément de réduire le trafic de transit dans les communes (flamandes) proches de l’autoroute et d’y améliorer la qualité de vie (leef baarheid) [5].
Selon De Werkvenootschap [6], la société de droit public à laquelle le gouvernement flamand a délégué le projet Werken aan de Ring, le réaménagement proposé ne devrait pas induire de flux supplémentaires – et ce bien qu’aucune modélisation ne semble avoir été réalisée [7]. Même si ça avait été le cas, l’effet d’induction n’aurait vraisemblablement pas pu être mis en lumière en raison d’un parti pris méthodologique : c’est un horizon à court terme (2030) qui a présidé aux modélisations, ce qui pose doublement question. Est-on bien certain que les travaux seront terminés à cette date ? Comme de nombreux projets d’infrastructure, la date du chantier à maintes fois été reportée, et il n’est pas exclu qu’il faille attendre 2024 et l’issue des prochaines élections pour aboutir à un accord interrégional [8]. Au-delà des dates du chantier, est-il pertinent d’établir des projections pour 2030 alors que les travaux projetés sont censés servir pendant plusieurs dizaines d’années ?
L’élargissement du R0 répond à l’intention de soutenir la croissance des activités logistiques, qui pèsent pour près de 10 % dans le PIB flamand.
En matière d’évolution du trafic, c’est également le scénario utilisé qui pose question, à savoir un scénario tendanciel (dit business as usual) qui n’intègre pas les objectifs flamands et bruxellois de réduction de la part modale de l’automobile. Ces objectifs constituaient pourtant le socle d’un autre scénario (dit ambitious modal split) dont la marginalisation a logiquement exclu certaines possibilités d’aménagement, comme la réduction du nombre de bandes de circulation. Plus généralement, traiter l’augmentation tendancielle du trafic comme un fait accompli tout en maintenant l’objectif d’augmenter la fluidité [9] n’avantage-til pas a priori les variantes prévoyant l’extension de l’infrastructure ? La logique induite par ces paramètres méthodologiques semble faire écho à celle de la FEBIAC : si le trafic sur le ring augmente suite à son élargissement, c’est bien que celui-ci était nécessaire [10].
À ces choix méthodologiques discutables s’ajoute également le caractère lacunaire des études relatives à la qualité de l’air.
Qualité de l’air, bruit, espaces naturels : circulez y’a rien à voir
À ces choix méthodologiques discutables s’ajoute également le caractère lacunaire des études relatives à la qualité de l’air, alors que le trafic sur et autour du ring dans son ensemble générait en 2013 près de 13 % de la pollution liée aux transports en Belgique [11]. Ces lacunes sont notamment dues aux sources utilisées : plutôt que de recourir à des données issues de stations de mesure officielles [12], les études se réfèrent aux résultats de la campagne Curieuzeneuzen récoltés par des habitants volontaires. En outre, rien ne semble indiquer dans quelle mesure les normes de bruit sont respectées au sein du périmètre d’étude. Enfin, sauf erreur, il n’existe aucun document qui explicite comment seront aménagés et gérés les espaces naturels, pendant et après le chantier. Où seront installées les zones de chantier ? Comment éviter que les travaux n’engendrent de nouvelles fragmentations, alors qu’une section du R0 vouée à l’élargissement se situe en lisière d’un espace Natura 2000 (le bois du Laerbeek) ?
Quels leviers pour la région bruxelloise ?
« Wij kunnen en zullen het doen » : c’est ce que le ministre bruxellois des Finances affirmait récemment au sujet de l’élargissement. Sa détermination fait écho à celle de Lydia Peeters, du même parti, et plus généralement à celle des gouvernements flamands depuis 2013. Ceux-ci ont en effet délégué de nombreuses prérogatives à De Werkvennootschap, peu sujet à la surveillance administrative et parlementaire, et ce afin d’assurer plus de « flexibilité » à la réalisation de gros projets d’infrastructure. Et, en 2018, c’est un « super-permis » qui est créé, regroupant cinq autorisations administratives dont le permis de construire. Quant à la Région bruxelloise, elle dispose de leviers pour défendre la position arrêtée dans le Plan régional de développement durable (PRDD) et reprise par l’accord de majorité actuel : « La Région est défavorable à un élargissement du ring, mais favorable à une optimalisation sous conditions. » D’une part, un tronçon du ring se trouvant en territoire bruxellois, une demande de permis devra être introduite, entraînant la réalisation d’une étude d’incidences ; d’autre part, le projet autoroutier ne peut affecter la zone Natura 2000 du Laerbeek à moins d’une modification du Plan régional d’affectation du sol (PRAS). Une telle modification est à l’étude, dont on sait qu’elle vise notamment à déclasser plusieurs grandes voiries d’accès en « boulevards urbains », et sa teneur devrait permettre de lever une partie du voile sur la stratégie de la Région bruxelloise quant à Werken aan de Ring.
Smart move, good move et le ring
Outre que de nombreux travaux prévus par Werken aan de Ring sont déjà réalisés ou en phase d’étude [13] et que des concertations et études inter-régionales ont déjà été menées, plusieurs éléments laissent penser que l’affrontement ne sera pas la voie privilégiée par la Région bruxelloise. Un, la stratégie du plan Good Move en matière de gestion de flux automobiles n’est en théorie pas contradictoire avec un élargissement du ring. C’est en effet un report des flux vers les grands axes qui y est préconisé pour réduire le trafic de transit au sein des quartiers, et les projections du plan régional de mobilité indiquent une augmentation de la charge automobile sur le ring. Deux, il n’est pas exclu que la Région bruxelloise voit dans Werken aan de Ring un moyen d’améliorer l’accessibilité de sites considérés dans le PRDD comme des « pôles de développement prioritaire » [14], dont le plateau du Heysel où est projeté NEO [15]. Trois, l’élargissement du ring pourrait être utilisé comme monnaie d’échange contre une mise en œuvre conjointe de la tarification kilométrique intelligente (Smart Move) et/ou pour l’extension de la zone de basses émissions au ring plaidée dans le PRDD.
Plusieurs éléments laissent penser que l’affrontement ne sera pas la voie privilégiée par la Région bruxelloise.
Lier l’élargissement du ring et Smart Move a d’ailleurs été explicitement proposé par Lydia Peeters et Sven Gatz comme cadre de négociation inter-régional. À ce jour, Groen propose de mettre en place Smart Move en Flandre et à Bruxelles en lieu et place d’un élargissement jugé contre-productif à long terme. Pour le chef du groupe PS au Parlement, « les deux dossiers n’ont pas à être liés », et « il n’est pas question pour nous de remettre sur la table le dossier “taxe kilométrique” » [16], des propos tenus mi-septembre 2022 alors que la fronde anti-Good Move gagnait du terrain.
C’est que les mobilisations contre les plans de circulation, pensés pour réduire le trafic de transit, devraient encore influencer la politique de mobilité du prochain gouvernement régional, et celle des communes directement concernées par l’élargissement projeté (Jette, Ville de Bruxelles). Or, à long terme, celui-ci pourrait justement engendrer des reports sur le réseau local, alors que la charge automobile ne devrait pas baisser sur d’importantes voiries directement connectées au ring nord, sinon augmenter. D’une part, le rétrécissement du R21 (pont Van Praet-Heysel), visant à reporter le trafic en amont vers les autoroutes comme le préconise Good Move, n’est pas acquis [17]. D’autre part, le trafic augmentera autour du Heysel si le projet NEO devait voir le jour, et il sera également affecté par la suppression, prévue par Werken aan de Ring, de l’accès au ring depuis l’avenue Houba de Strooper.
La mobilité dans les communes jouxtant le R0 devrait fortement évoluer à la faveur des aménagements programmés ou à l’étude. À défaut d’études d’impact, et a fortiori d’une analyse des effets cumulés de ces multiples projets, on peine cependant à cerner en détail l’évolution de la charge automobile – même si, les mêmes causes produisant les mêmes effets, c’est à terme vers une saturation qu’on semble s’orienter. Si l’on comprend que la Région flamande n’ait pas estimé nécessaire d’évaluer la création de déplacements supplémentaires et de probables reports de circulation, pourquoi les autorités bruxelloises, régionales ou communales, ne s’en chargent-elles pas elles-mêmes ?
Alors que le plan d’exécution spatiale (gewestelijke ruimtelijke uitvoeringsplan) relatif à l’élargissement devrait être élaboré prochainement, peut-être déjà avant les prochaines élections régionales, n’est-il pas temps d’objectiver les impacts de Werken aan de Ring sur la mobilité, mais aussi la pollution atmosphérique et les nuisances sonores ? Outre les leviers réglementaires dont disposent les autorités bruxelloises dans la négociation inter-régionale, de telles études constitueraient un levier politique dont les partisans d’une mobilité « apaisée » pourraient utilement se prévaloir.
L’élargissement du ring pourrait être utilisé comme monnaie d’échange contre une mise en œuvre conjointe de la tarification kilométrique intelligente (Smart Move).
[1] « Vlaamse Regering gaat voluit voor een future proof Ring rond Brussel », 29 juillet 2022.
[2] « La Région de Bruxelles-Capitale a rendu un avis sur le projet du réaménagement du ring Nord », communiqué publié le 22 juillet 2021 sur le site internet du ministre-président.
[3] M. STRALE, « L’évolution récente du transport de marchandises en Belgique », EchoGéo [en ligne], 2011.
[4] Le soutien direct ou indirect aux activités logistiques ne concerne pas que la Flandre, comme en témoigne l’évolution de Bierset. Lire P. TODESCO, « 2040 : Le béton s’écoule, l’argent coule, Liège s’écroule. Aliblabla et les 6008 camions », Médor, n°29, 2022.
[5] Ajoutons que les reports de trafic que pourrait connaître Jette suite à la fermeture de la sortie 9 (Wemmel) n’ont tout simplement pas été objectivés. Selon Sven Gatz, dont le parti est dans la majorité communale, « il est possible qu’il y ait plus de trafic chez nous à Jette ».
[6] Lire sur notre site : « Qui est De werkvennootschap ? », 30 juin 2021.
[7] « Met dit effect [creatie van nieuwe verplaatsingen] is bij de doorrekeningen voor de herinrichting van de R0-Noord geen rekening gahouden » (« La création de nouveaux déplacements n’a pas été prise en compte par les calculs relatifs au réaménagement du ring nord »). Lire p. 68 de l’annexe 13 à la scopingnota v2.
[8] Comme le conjecture Sven Gatz dans un article récent : « Gatz en Peeters stellen voor om rekeningrijden en Ringplannen te verbinden », Bruzz.be, 14 septembre 2022.
[9] Le centrage sur la fluidité et les gains de temps aboutit également à exclure la possibilité de réduire la vitesse sur le ring à 70 km/h, qui aurait pourtant été bénéfique du point de vue du bruit et de la pollution atmosphérique.
[10] « Ring de Bruxelles : plus de capacité pour un trafic multimodal plus fluide et plus sûr », mai 2013.
[11] « “L’extension du Ring sabote la politique climatique”, estime Greenpeace », Le Soir, 11 janvier 2013.
[12] Par exemple celles de la Cellule interrégionale de l’environnement.
[13] Pistes cyclables, passerelles cyclopiétonnes, échangeurs et bretelles d’accès au ring, par exemple.
[14] En particulier la Porte d’Ostende, campus VUB-Laerbeek, le site ex-OTAN, Reyers ou le campus UCL de Woluwe.
[15] Lire sur notre site : « NEO : les solutions au problème de mobilité n’existent pas ! », 15 février 2022.
[16] « Ahmed Laaouej étouffe les tentatives de relancer la taxe kilométrique : ”C’est totalevment irresponsable de la part d’Elke Van den Brandt“ », La Libre Belgique, 14 septembre 2022.
[17] « L’avenue Van Praet devra garder trois bandes : le projet pour transformer l’A12 en ”A douce“ doit être revu », DHnet.be, 8 décembre 2022.