Atterrir

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29 août 2017

Témoignages.

« Autour du canal, je sais qu’il y a des choses qui sont mises en place. Je sais pas qui exactement, mais je sais qu’ils ont racheté ici… Ils veulent en fait enlever tout le commerce des voitures. Il y a la rue Heyvaert, ils rachètent en fait les garages et tout ça. Donc il y en a déjà pas mal qui ont été rachetés, mais il y en a d’autres qui veulent pas vendre. Donc je sais pas. Personnellement je pense que ça va se faire mais, je vais pas vous mentir, je suis pas pour. Parce que bon, ce qui se passe ici c’est qu’il y a ces histoires… C’est pas le fait qu’on retire le marchand de voiture que je suis contre. C’est qu’on retire pour mettre des logements de luxe qui seront pour les riches et non pas pour les personnes qui sont dans le besoin. On est beaucoup en manque d’appartements ici à Bruxelles et ce qu’ils font, c’est plus pour les personnes qui ont les moyens, ils veulent ramener les personnes qui sont à l’extérieur, qui ont les moyens. Mais ici à Bruxelles il y a beaucoup de personnes qui sont dans le besoin de logements et c’est eux qui restent sans logements. Donc le fait, c’est bien qu’ils rachètent et qu’ils veulent retirer le commerce de voitures et tout ça, parce que c’est vrai que c’est dérangeant, c’est vrai que c’est salissant, il y a beaucoup de choses. Ils pourront faire ça ailleurs, il y a d’autres endroits. Mais ça aurait été bien qu’ils offrent des logements pour des personnes qui sont dans le besoin, ici à Bruxelles. Ils ont ouvert les portes à beaucoup de personnes extérieures, que ce soit les Irakiens, enfin voilà tous ceux qui viennent, mais ils leur offrent pas de logement. La vie est devenue super chère. Il n’y a pas de logements. Il y a des appartements vous seriez étonnés, il y a des gens qui vivent à 10 dans un tout petit flat ou des trucs comme ça. Je trouve pas ça logique. Bruxelles c’est devenu… Je sais qu’à Paris c’est comme ça aussi, mais ici je crois que ça a dépassé Paris maintenant. Sur les prix, sur le manque de… »

Femme belge d’origine marocaine
vivant avec ses 4 enfants dans le quartier
depuis 2 ans

Heyvaert constitue depuis des décennies une porte d’entrée de ville pour les primo-arrivants. Certains arrivent à Heyvaert par hasard. La proximité de la gare internationale du Midi joue ici un rôle indéniable.

« Je suis arrivé comme tout le monde, c’était en 2006, j’ai commencé à m’intégrer comme tout le monde, quand je suis arrivé je suis passé un peu partout. Je suis passé en Italie, j’ai fait quelques jours là-bas puis chez un ami à Paris puis je suis descendu à la gare du Midi. Je ne connaissais personne à Bruxelles et j’ai dit : ‘je vais aller comme ça et je vais m’installer là où on pourrait m’accepter’. Je ne connaissais rien du quartier, je suis venu comme ça. La première nuit, je l’ai passé ici, y a quelqu’un qui m’a hébergé chez lui. On a sympathisé, moi j’étais musulman et lui c’était un chrétien engagé. Il était engagé et c’est ça aussi le quartier. J’ai pris un risque, je n’étais pas sûr de rencontrer cette personne mais la vie elle-même elle est dangereuse. »

Ivoirien travaillant dans le commerce
de voitures d’occasion et vivant
depuis une petite dizaine
d’années dans le quartier

Beaucoup atterrissent à Heyvaert via le tissu social, des relations familiales, un réseau communautaire mais aussi en raison de la réputation d’un quartier où l’on a plus de chances de trouver une connaissance, un coup de main, un logement ou un travail.

« Le quartier, vous savez sociologiquement, est composé de populations immigrées et les Africains, ils se regroupent par rapport à là où il y a une forte présence de leur communauté d’origine, les Nigériens n’y dérogent pas, donc quand ils arrivent, ils vont là où ils sont sûrs de trouver un ami, une sœur qu’ils connaissent, ceux qui connaissent l’endroit qui vont vous aider ou vous héberger et finalement de l’hébergement d’une semaine, de l’hébergement de deux, trois ou huit jours, parfois ça devient quasi définitif. »

Nigérien de 45 ans installé à Heyvaert
depuis une dizaine d’années

Pour les primo-arrivants, les anciens migrants compatriotes jouent le rôle de guide et d’alliés de circonstance. Ces arrangements sociaux compensent le manque de ressources économiques des arrivants.

« Les anciens, les gens qui vous ont précédé dans le quartier, les gens qui maîtrisent tout le quartier, qui te guident, qui te conseillent sur les choses à faire et celles à ne pas faire. Les plus importants, ce sont les anciens… Je crois que tout arrivant est censé connaître ce quartier parce que c’est ici que tu vas voir tes compatriotes qui vont te guider. Même si tu n’as rien à faire, on te dit va sur la route, tu es obligé de venir voir tes compatriotes, pour faire des connaissances, tous les arrivants africains en Belgique doivent connaître ce quartier, c’est indispensable. »

Artiste nigérien de 40 ans arrivé
depuis quelques mois à Heyvaert

« Quand j’étais à Liège, je ne connaissais personne. Quand je me levais, c’était pour aller au travail et le soir si je sors du boulot c’est pour rentrer chez moi. Ici je peux dire qu’il y a un réseau avec les commerçants nigériens qui viennent de temps en temps et si j’ai besoin d’envoyer quelque chose comme les téléphones portables ou les PC, c’est eux que je vais voir, ils me les ramènent à la famille alors qu’à Liège je n’avais pas cette possibilité. »

Locataire

La présence du commerce de voitures aimante vers le quartier une large population subsaharienne.

« Je ne connaissais pas le quartier directement mais je faisais beaucoup de commandes de voitures depuis l’Italie. Je ne m’étais jamais déplacé, c’est des amis qui achetaient la voiture pour moi. J’avais des amis en Belgique, je leur envoyais de l’argent, ils m’achetaient une voiture et ils me la faisaient acheminer jusqu’à Dakar et c’est le jour où j’ai été dribblé, c’est le jour où des gens m’ont arnaqué que j’ai décidé de venir passer mes commandes moi-même. Quand je suis venu, j’ai apprécié le quartier, j’ai apprécié son ambiance et je suis resté. »

Travailleur dans le secteur des voitures

« Le quartier est une zone de voiture d’occasion. Ici, on est tous des nigériens, on vient dans l’association qui est domiciliée ici sur la rue Heyvaert. Moi, je suis dans la rue parallèle, j’habite à la rue de Liverpool. Je suis arrivé ici par hasard. Avant, j’étais à Liège où je travaillais et après la fin de mon contrat, je suis arrivé sur Bruxelles. »

Nigérien de 46 ans habitant Heyvaert
depuis quelques mois

Il n’est pas rare que ce qui devait être un quartier de transit devienne pour certains un quartier d’installation.

« Comment expliquez le quartier, c’est que quand vous venez d’arriver, vous devez vous joindre à quelqu’un qui connaît bien le quartier, on s’entend bien, il y a beaucoup d’évolution sur le plan de l’habitat, on a notre maison, je ne suis pas dans les logements sociaux. Le quartier a beaucoup changé, il y a 8 ans, on n’avait pas ce pavé, on n’avait pas les arbres qui poussent, en hiver, ils sont très beaux. Il y a les trottoirs, on est ici, le quartier a beaucoup évolué en bien, il est propre aujourd’hui. Il y a beaucoup d’ambiance. »

Commerçant camerounais vivant
depuis 10 ans dans le quartier