Densification « en » ou « à » Forest
https://www.ieb.be/23760
1er septembre 2015 • François Bellenger
Déambuler dans un mini-territoire, porter un regard sur les spécificités d’un fragment de quartier post-industriel. Rencontrer ses habitants face à des projets immobiliers faussement modernes.
Dans l’angle de l’avenue Van Volxem et du boulevard de la Deuxième Armée Britannique, une zone aux multiples facettes englobant les rues du Delta, des Tropiques, de Marguerite Bervoets et du Patinage.
In situ
La déambulation dans ce quartier de Forest révèle une végétation luxuriante et atypique sur des terrains en friche, irrigués par des sources naturelles. Ici et là des jardins ouvriers à la terre fertile se perpétuent depuis de longues décennies. Une butte artificielle marque une césure dans ce paysage traversé par la voie ferrée Bruxelles-Nivelles. Le ballet quotidien des ferrailleurs qui traînent péniblement leur chariot de mitraille croise celui des policiers enfourgonés dans leur commissariat. Les immenses hangars de l’usine Audi bloquent l’horizon avec pour ciel la vapeur d’eau de la centrale thermique. Un vestige de la seconde révolution industrielle habillé de ses briques rouges trône avant son fracas imminent : c’est l’usine Union, parsemée d’archives de notre mémoire collective.
Mue
Cette flânerie un brin romantique n’est plus. Les potagistes ont été expulsés de leur pays de cocagne devenu de petites décharges. Des machines cassent-creusent pour analyser la pollution du sol. Les urbex [1] visitent en photo l’usine ravagée. Les promoteurs plantent avec vigueur leur écusson sur leur lopin de terre. Des officinettes à renfort d’images 3D placardées sur leur vitrine prônent l’achat des futurs biens immobiliers.
Ce n’est pas un ou deux, mais une petite dizaine de promoteurs qui dépècent les terrains dits constructibles. Comment se positionner, parasiter cette conception de construire les villes qui densifie le tissu urbain à outrance, encouragée par les politiques publiques. L’architecte n’exerce plus, mais se moule dans le geste spéculatif. Calqué sur des modèles d’une modernité à bout de souffle. La conception du bâti dérive dans une médiocrité pensée à court terme sur le paradigme du construire-déconstruire.
Chaque promoteur érige sa résidence de standing privative et sécurisée avec des noms dont la volonté de charmer n’a d’égale que leur ridicule. Privé de toute dissertation, ces constructions redondent avec un archétype épuisé qu’on s’efforce de vendre à de nouveaux acquéreurs avides de venir « coloniser » la ville.
Mais des affiches jaillissent sur des fenêtres de maison et d’immeuble au slogan cinglant « Non au syndrome de Middelkerke », introduisant une invitation à se mobiliser face aux projets du promoteur Vanhaerents.
Témoignage
Un habitant du boulevard de la Deuxième Armée Britannique évoque sa frustration par rapport au projet qui s’impose en face de chez lui. Il avait commencé une pétition avec quelques-uns de ces voisins, mais ils ont été évincés de la commission de concertation, et le projet sur le site de l’usine Union est passé comme une lettre à la poste. Il porte le nom provoquant de ce qui n’est plus « Les jardins de l’Union ».
Un autre groupe d’habitants s’est constitué en comité de quartier [2] pour faire face au permis de construire octroyé par la commune au promoteur Vanhaerents. De réunions en commission de concertation et d’interpellation en rencontres non convaincantes avec le promoteur, le comité ne se débine pas et décide d’aller en recours au Conseil d’État.
Sans remettre en question l’acte de bâtir de cette résidence de standing, les habitants tentent de minimiser les dommages collatéraux et attaquent les hauteurs volumineuses ne respectant pas les normes urbanistiques du Règlement Régional d’Urbanisme. Ils se questionnent sur le devenir de leur quartier face à une telle densification, s’inquiètent des répercussions sur la mobilité et leurs espaces de collectivité qui s’amenuisent dangereusement.
Restant à pied d’œuvre, certains habitants du quartier se battent pour faire re-vivre des sources naturelles délaissées sous forme de rivière urbaine, au sein des États Généraux de l’Eau de Bruxelles (EGEB). Il s’agit ici d’affronter les problèmes récurrents d’inondation que connaît Forest, en portant le regard sur les ressources naturelles offertes plus que sur les outils technologiques. En avant-garde, le comité de quartier VanTroDel avait organisé des journées pour sensibiliser et entretenir ces sources.
État des choses
La lutte de ces habitants n’est pas une opposition frontale aux constructions, mais un barrage à une densification trop vorace. Les habitants partis au Conseil d’État, munis d’un avocat, attendent l’avis de l’auditeur et mettent à profit ce temps d’espoir pour tisser du lien social au sein de leur urbanité. La lutte les a relié et des moments de vie collective s’organisent.
Le projet de rivière urbaine creuse son lit et inonde tout le quartier pour toucher la commune et les autres comités de quartier interpellés par ce bon sens. Il va sans dire qu’on espère que ça ouvre des brèches pour que ce projet arrive à bonne source.
Les bassins versants et les rivières urbaines [3] peuvent être le lien entre tous ces projets refermés sur eux-mêmes, en laissant couler l’eau publique dans tous les projets privés. Faire circuler du public dans le privé pour reprendre pied, une utopie qui pourrait s’ancrer à Forest.
Cette situation, à l’échelle d’une zone spécifique dans un quartier, exprime l’évidence du rôle des habitants dans leur droit à la ville. Cependant, différentes formes participatives sont aujourd’hui mises en place par les politiques pour caresser dans le sens du poil les habitants. Souvent bernés, les comités de quartier tentent de préserver leur indépendance pour influer ou contrecarrer les processus de décision.
François Bellenger
[1] Exploration urbaine.
[2] Comité de quartier VanTroDel : https://comitedequartiervantrodel.wordpress.com.