Changer la ville pour changer la vie ?

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15 juillet 2015

À l'heure de coucher ces lignes, 15 jours nous séparent de ce qui aurait pu être une véritable révolution des habitudes de déplacement dans et vers le centre de Bruxelles : la transformation du boulevard Anspach en vaste piétonnier [1].

Or la mise en application le 29 juin prochain du nouveau plan de circulation qui l’accompagne, inquiète et fâche comités riverains, associations, habitants, commerçants, travailleurs et usagers réunis au sein de la Plateforme Pentagone. D’une même voix, coulée dans une charte, ils demandent à la ville l’abandon du projet tel que présenté : « Oui à un centre-ville habitable ! Non à un piétonnier mal pensé. » [2]

Or, à l’heure actuelle, la majorité PS-MR-SP.A-Open-VLD à la Ville de Bruxelles ne semble pas vouloir changer d’un iota le compromis malheureux qu’elle a scellé. Et pour le vendre, elle dévoile les vraies intentions du projet : depuis des semaines, elle œuvre à la reconnaissance du Pentagone comme « zone touristique », lui assurant l’ouverture des magasins les dimanches, levant l’obligation du jour de repos hebdomadaire. Ainsi, sous la houlette du Mayeur socialiste, les droits des travailleurs sont soldés… avec la complicité d’Interparking, un des bailleurs de fonds de la campagne promotionnelle « I shop on Sundays » qui s’affiche partout.

Yvan Mayeur nous le promet, le « changement de paradigme » est à nos portes. Ce piétonnier, entouré de ses parkings et de son mini-ring, c’est « l’amélioration du cadre de vie, c’est s’inscrire dans les perspectives de réduction de la pollution atmosphérique, c’est améliorer la santé publique au cœur des villes, c’est réduire le bruit » [3]. Comment sincèrement croire que l’augmentation de la pression automobile, condition d’un accès direct au méga-piétonnier-marchand, sera bénéfique pour la santé ? Bientôt, sur une terrasse branchée, nous siroterons nonchalamment de pleines gorgées de particules fines ou très fines… Axe traversant le Pentagone du Nord au Sud, le boulevard Anspach, est ouvert à la circulation depuis 1871 suite à la vaste opération du voûtement de la Senne. On le sait, cette dernière avait comme but officiel l’embellissement et l’assainissement des quartiers denses où s’entassait essentiellement le menu peuple. L’opération visait aussi à renflouer les finances communales en stimulant le commerce dans le centre, en évitant l’exode de la classe possédante vers des quartiers plus aérés et en tablant sur quelques opérations spéculatives… A l’époque, le libéral Jules Anspach à la tête de la capitale, et Léopold II, s’affirmeront comme les défenseurs d’un urbanisme de prestige et les promoteurs de travaux de grande envergure.

Le « classement international » de Bruxelles leur importait autant qu’aujourd’hui. « Partout autour de nous les capitales et les villes font des progrès étonnants, notre pays ne peut pas se laisser distancer par ses voisins – la Belgique située au centre de l’Europe doit faire honneur à sa fonction » [4], déclare Léopold II en 1855.

Cent soixante ans ont passé et la posture semble inchangée, à peine revisitée. Désormais on parle d’une « nécessaire compétitivité » tant à l’échelle du pays qu’à l’échelle internationale, de « positionner Bruxelles » en tant que « destination city shopping », de « produits d’appel » pour les visiteurs potentiels de Bruxelles… Yvan Mayeur a lui aussi fait le pari d’améliorer l’assiette fiscale de la ville au mépris des habitants et commerçants.

Souhaitant « changer la ville pour changer la vie », le bourgmestre persiste paradoxalement à miser sur la voiture pour l’accès à la zone piétonne aux dépens du développement des transports en commun de surface. De son côté, la Région semble davantage intéressée par l’implantation des centres commerciaux (Docks Bruxsel, Uplace et Neo), que par celle du « plus grand piétonnier d’Europe ». La qualité de vie des Bruxellois est dès lors sacrifiée sur l’autel d’une sainte trinité : la revitalisation commerciale, l’attractivité touristique et la spéculation immobilière.


[1Lire à ce sujet le précédent BEM n°275, No parking, no mini ring, no bling bling, mars-avril 2015, qui décortique les déraisons du projet.

[3Un piétonnier pour changer la vie à Bruxelles, Le Soir, 3 juin 2015. Pierre Vassart s’entretient avec Yvan Mayeur.

[4Bruxelles, ville d’art et d’histoire. Les boulevards du centre, Région de Bruxelles-Capitale, Service des monuments et des sites, 1997.