La ville encore et toujours vouée à la voiture

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21 avril 2015 • Isabelle Pauthier

L'ARAU démontre que le nouveau plan de circulation pour le Pentagone menace les quartiers habités. Entre objectifs annoncés et contenu du plan, beaucoup de contradictions apparaissent.

La Ville de Bruxelles a présenté le mardi 24 novembre son nouveau plan de circulation. Notons que le plan lui-même, in extenso, n’est toujours pas public, ni les études qui le fondent. On peut se faire une idée des principes qui le gouvernent à partir d’un dossier de presse [1] du Pentagone. Les études mécanicistes qui fondent ce plan de circulation, dont l’appel d’offre a été lancé à l’été 2013, reposent sur des comptages du trafic aux principaux carrefours et des simulations dans le complaisant modèle régional. Aucune ville ne procède plus ainsi car cette démarche a pour effet (et pour objectif) de conforter un scénario tendanciel plutôt qu’un scenario volontariste, comme l’impose pourtant Iris II.

Les principes et réaménagements proposés incitent à un usage accru de la voiture :

  1. L’offre de stationnement en centre-ville serait augmentée d’au moins 2 000 places par la création de 4 nouveaux parkings publics (sans compter les extensions projetées du parking Poelaert et du Parking 58 : 847 places dans la « zone piétonne ») dont les effets d’aspiration du trafic sont démontrés.
  2. Un mini-ring (ou boucle de desserte, insiste la Ville) permettrait non seulement de desservir ces nouveaux parkings (ainsi que les nombreux autres déjà existants) mais permettrait aussi le maintien de fait d’une capacité de trafic de transit à travers le Pentagone.
  3. L’accessibilité de l’hyper-centre en bus serait diminuée, de nombreux terminus s’en éloignant. L’usager des transports en commun, obligé de continuer son trajet à pied ou de subir une correspondance, serait de facto désavantagé face à l’automobiliste qui pourrait lui continuer sa route sans entrave (il suffit de modifier sa carte mentale du Pentagone ou de suivre son GPS...). En outre, plusieurs bandes de bus seraient supprimées, ce qui ferait perdre l’avantage modal compétitif à des bus à nouveau englués par rapport à des transports en commun libérés du trafic.
  4. La vie et la sécurité des cyclistes ne vont pas s’améliorer sur les voiries sacrifiées au mini-ring.

Creuser de nouveaux parkings souterrains c’est entrer à reculons dans l’histoire

Toutes les villes cherchent désormais à limiter la pénétration automobile afin de limiter la congestion, le bruit et la pollution de l’air. Pas la Ville de Bruxelles, qui non content d’accueillir déjà 34 parkings publics dans et aux abords du Pentagone avec un total de près de 20 000 places, dont 6 à 8 000 libres, aspire à en creuser (ou faire creuser) de nouveaux [2] sous des prétextes inventifs (garer les camionnettes des marchands du Jeu de Balle ou des Plaisirs d’Hiver : à quel tarif ?). Bienvenue dans la ville durable !

Bruxelles a été couverte de parkings publics, construits dans la foulée des sixties, pour permettre aux Wallons, aux Flamands et aux Bruxellois de venir travailler et faire leurs courses en voiture dans la capitale depuis les quatre coins du pays. Pour des raisons idéologiques (il s’agit d’une demande de la composante MR-VLD de la majorité), la Ville entend en creuser de nouveaux. Matérialiste, la Ville croit qu’elle va gagner de l’argent via les taxes et redevances ! [3] Encore faut-il que des opérateurs répondent à l’appel d’offre sans mégoter sur les conditions. C’est oublier que les derniers parkings publics décidés (Flagey et Miroir) sont entièrement financés par les pouvoirs publics et qu’un certain nombre de parkings existants sont loin de faire le plein ! [4]

4 nouveaux parkings sont prévus, a annoncé l’échevine Els Ampe, le 7 novembre :

En augmentant l’offre de stationnement au cœur de la ville au lieu de la réduire, la Ville de Bruxelles refuse d’utiliser un levier, pourtant efficace, qui favoriserait le report modal de la voiture vers les transports en commun. Le projet de Plan Communal de Mobilité (PCM), élaboré sous la législature précédente (approuvé par le Collège avant l’été 2012 mais pas par le Conseil communal), avait pourtant souligné « (…) de grandes lacunes quant à l’utilisation de ’l’outil stationnement’ pour mieux gérer la mobilité sur le territoire régional et en particulier sur le territoire de la Ville de Bruxelles ». [5] Depuis 3 ans, qu’a fait la Ville dans ce domaine ?

Un hyper-centre hyper-accessible en voiture

Faute d’une réelle volonté politique de remettre en cause les vieux modèles, aussi bien à la Ville qu’à la Région, le plan reste orienté voitures, en particulier en termes d’infrastructures, de gestion des voiries en dehors des boulevards (voués à l’événementiel, à la marchandisation et à la déambulation) et de signalisation. Le fameux scénario tendanciel de dégradation du cadre de vie du Plan Iris I est assumé par laxisme. Tout automobiliste sera en effet invité, depuis la Petite Ceinture, à emprunter les rues habitées jusqu’au mini-ring et à traverser les quartiers habités pour se rendre dans les parkings souterrains, voire à continuer sa route à travers le Pentagone, comme l’a déjà démontré le BRAL.

Le vocabulaire du dossier de presse confirme cette analyse et rappelle cette priorité routière :

Une capacité de transit maintenue (voire renforcée)

La conséquence du plan de circulation sera de créer un appel d’air (vicié) pour les voitures et une nouvelle potentielle Petite Ceinture dans le Pentagone.

Une des volontés de la Ville de Bruxelles est de reporter le trafic de transit, qui emprunte actuellement les boulevards du centre, sur la Petite Ceinture. Certes, le nouveau plan de circulation et la piétonnisation d’une partie des boulevards du centre rendraient ce trafic de transit « rectiligne » impossible. Toutefois, le mini-ring, en permettant et en facilitant les traversées de part en part du Pentagone, depuis et vers toutes les directions, n’empêcherait aucunement le trafic de transit ! L’effet (pervers) de ce plan de circulation serait donc de voir le trafic de transit qui emprunte actuellement les boulevards du centre se reporter en partie sur le mini-ring...

La Petite Ceinture est saturée par des flux conséquents, comme l’a constaté le PCM : « Ce sont donc entre 250 et 350 000 véhicules qui empruntent chaque jour un tronçon de la Petite Ceinture, soit pour accéder au Pentagone (trajets ’en baïonnette’), soit pour la plupart de ces flux, pour le longer sans y avoir d’échange. » [6] Étant donné cette situation, qu’est-ce qui permet de penser, comme la Ville le fait, que le trafic de transit se reportera sur la Petite Ceinture (qui est saturée aux heures de pointe) et ne traversera pas le Pentagone via le mini-ring ?

La Plateforme Pentagone, qui associe les associations et les comités d’habitants du centre-ville a identifié un risque élevé d’effets négatifs sur l’habitat dans le Pentagone. Le mini-ring comporte en effet deux bandes à sens unique sur de nombreux tronçons (ce qui a pour effet avéré d’accélérer la vitesse et de ne laisser que peu de place aux cyclistes). Le plan Tekhné de 1962 n’est pas tout à fait mort (voir La genèse d’Interparking), nulle part n’est d’ailleurs mentionnée la vitesse maximale autorisée des véhicules. Conformément aux décisions partielles de 2005 (Notre-Dame-aux-Neiges), de 2006 (abords de la Grand-Place) et à la décision globale du 18 mai 2009, la Ville a décidé de mettre tout le Pentagone en zone 30, à l’exception des boulevards du centre et du boulevard de Dixmude, en attendant qu’ils soient réaménagés. Le PRAS implique aussi cette limitation. L’ARAU rappelle donc que la vitesse doit être limitée dans tout le Pentagone à 30 km/h.

Alternative : le nombre et la vitesse des véhicules doivent être limités partout dans la Région. Il est temps de mettre en œuvre Iris II. Le trafic de destination doit être maîtrisé dans le Pentagone. Il ne doit pas être possible de faire le tour complet du mini-ring, sinon il fonctionnera comme une Petite Ceinture supplémentaire. Il faut des boucles d’évacuation du trafic, comme prévu dans le PCM. Il ne peut y avoir de sens unique à deux bandes, maximum deux fois une bande.

Les transports en commun perdants

La Ville s’est assurée le concours de la Région (via Pascal Smet, Ministre en charge de la Mobilité à la Région mais aussi Conseiller communal dans la majorité à la Ville) et de la STIB. Elle a visiblement finalement trouvé un accord avec cette dernière sur la limitation de la circulation des bus dans le Pentagone. Il est possible qu’en termes d’exploitation, la STIB se réjouisse de voir se réduire les trajets de ses bus dans les rues étroites et encombrées du Pentagone. Mais quelles en sont les conséquences pour les usagers ? Certainement négatives.

La STIB accepterait de reculer les terminus des bus, de De Brouckère à la rue des Halles, (66, 71, 29) ou à Jacqmain ou Max (88, 47), d’un côté et de De Brouckère à la Gare centrale, (38, 65, 86) ou de la Bourse à la rue du Lombard (95), de l’autre, obligeant de nombreux usagers à de nouvelles ruptures de charge faute de liaisons continues et confortables avec l’hyper-centre. Les usagers venant de l’Ouest et allant vers l’Est devront traverser de la rue des Halles à la Gare centrale ou inversement. Après 100 mètres de marche par tous les temps, ils seront peut-être tentés par les profondeurs du métro puis par une petite marche jusqu’à la fort accueillante rue des Halles, qui accessoirement sera en chantier pendant deux ou trois petites années pour creuser un parking souterrain de 847 places sous le futur possible nouvel immeuble du centre administratif de la Ville de Bruxelles... connu de tous les Bruxellois sous le nom de « Parking 58 ».

De même, les usagers qui viennent du Nord et qui seraient animés de l’irrépressible ambition de se diriger vers le Sud, ou inversement, seraient interceptés à Jacqmain ou à 500 m de là... Le bus 46, dont la ligne a déjà été coupée en deux, à l’instar de beaucoup d’autres, créant de pénibles ruptures de charges, serait arrêté à Jacqmain... Concession du vice à la vertu : l’échevine accepte désormais que les bus de la STIB partagent la voirie avec « l’autre trafic » plutôt que de rouler à contre-sens. De là à décréter trois mois après que les bus gênent les voitures... La STIB accepterait de mêler les bus à la circulation rue du Fossé aux Loups et rue du Lombard, ce qui n’est pas un progrès dans la mesure où la circulation automobile n’en est pas dissuadée, au contraire, puisque ces rues serviraient de collecteurs au mini-ring. La création de ce contre-sens bus a permis de réduire les temps de parcours de façon considérable. Notons que tout le quart Sud-Ouest du Pentagone, le plus densément habité, resterait non desservi par les bus.

Un mini-train électrique

Le Bourgmestre a déclaré le 29 septembre que les discussions avec la STIB étaient « très difficiles » et qu’il ferait évaluer la possibilité de faire opérer une navette électrique dans le cadre d’un PPP (Partenariat Public-Privé). L’ARAU rappelle à toutes fins utiles que l’idée d’une navette était déjà avancée en 1998 : le fameux bus 8 (car une boucle en forme de 8 faisant le tour des parkings).

Le bus 8 n’a finalement pas été mis en œuvre, la Ville et la STIB ayant renoncé après quelques essais pour des raisons de coûts d’exploitation...

Le bus était englué dans le trafic automobile et les usagers allaient plus vite à pied ! Depuis, la Ville a annoncé qu’elle mettra en place un mini-train électrique gratuit, signe qu’elle a entendu la demande pour d’avantage de moyens de transport souples, silencieux et non polluants mais nullement qu’elle aura les moyens de l’exploiter... Signe peut-être d’une improvisation de dernière minute, les cartes ne mentionnent pas le trajet de ce mini-train qui passerait dans la zone piétonne. Le dossier de presse évoque la desserte de la Bourse et de la Grand-Place. On ignore également si ce serait un modèle « folklorique » type parc d’attraction ou station balnéaire comme le relevait fort justement le philosophe Thomas Gunzig sur les ondes matinales de la Première le 26 novembre [7]. Ce mini-train vise à répondre à une demande principalement touristique et des PMR. Il roulera peut-être à 5 km/h...

Cette forme de remords démontre combien la nécessité d’une navette souple de surface est nécessaire, en particulier pour les PMR, dans les rues étroites dans la zone piétonne. Quelles mesures la Ville prévoit-elle pour ne pas rééditer l’échec d’il y a 15 ans ?

C’est l’enterrement du tram qui a fait péricliter le commerce sur les boulevards du centre, c’est le tram qui les ferait revivre. Comeos, fédération qui représente le commerce et les services en Belgique, partage cette analyse, comme le déclarait récemment Dominique Michel, son administrateur délégué : « Chez Comeos, nous nous prononçons en faveur du tram en surface car il permet un contact visuel avec les commerces. » [8] Plan du réseau de la STIB : plusieurs lignes de bus verraient leurs terminus écartés de l’hyper-centre, obligeant ainsi les usagers qui voudraient s’y rendre à continuer leur trajet à pied ou à subir une correspondance.

Alternative : les Bruxellois ont besoin de lignes de bus traversantes. L’évaluation du plan tram-bus, qui a coupé de nombreuses lignes dans le Pentagone, a admis le caractère pénalisant des ruptures de charges. La STIB doit consentir à exploiter de plus petits véhicules avec une fréquence élevée sur des dessertes locales comme cela se fait dans les autres villes. Il faut substituer, sur les boulevards du centre, une navette de surface aux voitures. Il faut une alternative qualitative au nord-sud souterrain, par exemple, entre le Wiels et Tour et Taxis via les deux gares et pour les PMR et les petits trajets intra-Pentagone. Cette navette doit être identifiable à la sortie de la gare du Midi. [9]

Conclusion

L’ARAU attend que la Ville réaménage les boulevards du centre depuis 1998. Mais l’ARAU déplore la manière dont la Ville avance sur ce projet, sans concertation avec les principaux concernés (habitants et associations) et sans transparence. Le masterplan d’aménagement des espaces publics et le Plan de circulation ne sont pas publics alors qu’ils auront des incidences notables sur l’environnement. Ils doivent faire l’objet d’une enquête publique et pas d’une pseudo-participation.

La Ville, la STIB et la Région ont trouvé un compromis qui conforte le scénario tendanciel de dégradation du cadre de vie déjà mis en évidence par Iris I en 1998 car le plan de circulation présenté le 24 novembre donne la priorité à l’automobile sur les habitants et les usagers des transports en commun en augmentant l’offre de parkings souterrains alors qu’elle est déjà pléthorique, en créant un mini-ring doté sur certains tronçons de deux bandes à sens unique, ce qui favorise la vitesse des véhicules, donc le bruit et la dangerosité, en premier lieu pour les piétons et les cyclistes. L’ARAU craint que le trafic intense de la Petite Ceinture ne se reporte en partie sur le mini-ring qui permettrait de traverser le Pentagone. Ce mini-ring envisagé est extrêmement contreproductif car il ne ferait que déplacer la pression automobile et risque même de renforcer le trafic à destination et ses effets pervers sur l’habitat.

En 2009-2010, le Plan Communal de Mobilité a fait l’objet de nombreuses études, d’une enquête publique, de nombreuses brochures et de réunions publiques dans le centre et à Laeken. Ce qui fait déclarer à un expert bruxellois des questions de mobilité : « à l’époque on faisait des études mais la Ville n’assumait pas les plans. Aujourd’hui la Ville n’assume pas les études mais on appliquerait des plans ! »

L’ARAU estime qu’il faut revenir au concept de boucles d’évacuation du trafic proposé par le PCM, faute de quoi les quartiers habités seront parasités par le trafic. La vitesse doit être limitée à 30 km/h partout dans le Pentagone.

L’ARAU estime qu’il faut recréer une desserte de transports en commun de surface attractive sur les boulevards du centre comme alternative convaincante au trafic automobile et une desserte fine des quartiers. Le concept qui doit primer est celui du partage de l’espace public et pas celui de l’exclusive, qui est destructeur en urbanisme. La Ville veut un tout piéton dans la poche (en refusant les transports en commun mais en acceptant la traversée par les voitures : chercher l’erreur) versus un tout voiture autour avec le mini-ring, près de 25 000 places de parking (existantes et projetées) et le téléjalonnement. La Ville doit renoncer à ses projets totalement dépassés en matière d’urbanisme souterrain et de priorité automobile. L’ARAU rappelle les revendications de la Plateforme Pentagone, largement partagées (par le BRAL, IEB, le Comité de quartier Notre- Dame-Aux-Neiges, le Comité de défense des habitants de Bruxelles-Centre, le Comité Saint-Géry, etc.)

Les Bruxellois veulent moins de voitures, partout, tout le temps pour que les habitants subissent mois de bruit et moins de pollution de l’air. C’est le message du mouvement Pic Nic the street, qui a exigé un changement. Visiblement la Ville et la Région n’ont pas compris, malgré ce message, que la société avait changé et que la parenthèse du tout-à-la-voiture devait se refermer, conformément aux objectifs du plan Iris II.

Pour le Bourgmestre Yvan Mayeur, la voiture reste une évidence : « Les voitures sont là, cela ne sert à rien de dire le contraire. » [10] Rappelons que les ménages du Pentagone sont faiblement motorisés... ils n’ont pas à subir les nuisances créées par d’autres.


[2Lire à ce sujet l’analyse de l’ARAU du 8 mai 2014 : Parkings publics souterrains : les projets de la Ville de Bruxelles doivent être enterrés !

[3Voir le communiqué d’Els Ampe du 7 novembre 2014 : www.elsampe.be/fr/quatre-nouveaux-parkingssouterrains-au-sein-de-la-ville-de-bruxelles.

[4Parkings publics souterrains...

[5Plan communal de Mobilité de la Ville de Bruxelles. Phase 3 : projet de plan d’actions, 24 octobre 2011, p. 18.

[6Plan communal de Mobilité de la Ville de Bruxelles. Phase 1 : État des lieux et diagnostic, 30 avril 2010, p. 33.

[8« Ne pas créer une ville Disney » in Le Soir, vendredi 24 octobre 2014.

[9Lire l’analyse de l’ARAU du 29 novembre 2012 : L’ARAU insiste : il faut un tram sur les boulevards du centre.

[10Le Soir, 29-30 novembre 2014.