Oyez, oyez braves gens ! Le premier Vice-Président de la Commission européenne l’affirme : les citoyens ont bien raison de vouloir se passer de « règles qui ne suscitent que tracasseries multiples pour les petites entreprises ». Et de lancer un vibrant plaidoyer pour une meilleure régulation afin de libérer la créativité et, par extension, les projets courageux de prison, les « éco-quartiers » de bureaux, ou encore, de « rendre » les boulevards centraux aux citoyens (par ici les touristes, les voitures par-là, les habitants ailleurs et la spéculation au milieu).
La bouche en cœur et les boucles au vent, un de nos représentants de l’opposition au Conseil communal de la Ville de Bruxelles tentait récemment de nous convaincre que les difficultés rencontrées dans la mise en œuvre d’un fameux piétonnier n’étaient liées, au fond, qu’à un « problème de communication ». Gloups !!! Les petits commerçants et indépendants qui ont vu fondre de plus de 30% leur chiffre d’affaire, depuis juin 2015, les nombreux habitants qui subissent les conséquences incontrôlées du report du trafic, les manifestants priés de ne plus manifester entre Bastille et Nation, euh, entre Nord et Midi ou sur les marches de la Bourse, en ont avalé leur carte d’électeur de travers.
Il est vrai que dans cette affaire, les ambitions courageuses de certains rejoignent, avant la lettre, la volonté de se passer des tracasseries inutiles agitées par un machin-président européen depuis la capitale paradoxale d’une Europe qui ne sait plus où elle va. Alors qu’il s’agit d’un espace public majeur du centre de Bruxelles qui est aussi emblématique de la vitalité démocratique de tous les Belges, la méthode que nous avons mis plus de 40 ans à élaborer afin de réfléchir la ville de manière partagée, n’est plus considérée par ceux-là mêmes que nous avons chargés de l’appliquer : le monde à l’envers, quoi !
« Ce qu’il est intéressant à constater, c’est qu’on rend le centre-ville de nouveau attractif. » Mais pour qui ? Notre maïeur préféré précise que des investisseurs (qu’il ne nommera pas, négociations informelles obligent) sont venus le trouver en lui disant « qu’ils voulaient s’inscrire dans notre stratégie car ils la trouvaient porteuse » [1]. Tiens donc ! Et le journaliste de faire apparaitre qu’Atenor, Besix et consorts peuvent se permettre de prendre des risques et peut-être même sur le dos des petits commerçants.
Nous y voilà – ce moment où la vessie émerge à la place de la lanterne – quand les conciliabules d’une élite apparaissent derrière les politiques ambitieuses, quand la méthode démocratique nous est présentée comme une tracasserie agaçante, la marchandisation de l’espace public, comme un cœur de ville rendu aux piknikeurs de rue et les abus de langage pour des « problèmes de communication ».
Que sommes-nous donc en train de devenir pour avaler, la bouche en cœur, de telles couleuvres ?
Hé bien ! Filles d’enfer, vos mains sont-elles prêtes ?
Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes ?
(...)
L’ingrate mieux que vous saura me déchirer ;
Et je lui porte enfin mon cœur à dévorer.
Racine, Andromaque
Qu’on se le dise !
[1] 1. Dans une récente émission, un prince du monde merveilleux de l’immobilier bruxellois déclare : « Le plus grand ennemi de la ville du futur est l’habitant d’aujourd’hui ».