Comme toujours, s’il faut définir un droit, c’est parce que, d’abord, il a été confisqué par quelque domination. Il y a là comme un paradoxe du fonctionnement humain : c’est comme si la perte par la confiscation de ce qui devrait être a priori une nécessité vitale en soi (avant donc que ce ne soit un droit) – quelque chose qui soit quasi « de nature » comme par exemple la liberté, le fait de se loger ou de travailler, etc. – permettait, d’une part, de prendre conscience de cette nécessité vitale, de la dévoiler et donc de la nommer en tant que telle, tout en en faisant, d’autre part, un droit, c’est-à- dire défini dès lors contre toute volonté de confiscation. En serait-il de même pour le droit à la ville ? La ville est une nécessité de vie pour ceux qui y vivent, un lieu où l’on habite, où l’on crée du lien social, où l’on œuvre. Mais il apparaît aussi de plus en plus clair que l’on observe une confiscation de cette nécessité vitale. La ville deviendrait toujours plus source de profits individuels pour quelques-uns qui font de son patrimoine et de ses espaces, bref de ce bien commun, valeur d’échange, tout en ayant pour effet de confisquer la possibilité pour un grand nombre d’en éprouver pleinement la valeur d’usage, de l’habiter. Cet appel au droit à la ville serait donc une manière de signaler au monde la crainte de cette injustice. Sommes-nous d’accord sur un tel constat ? Le débat vaut la peine d’être mené. Une manière de le faire ne pourrait-il pas être de tenter l’exercice très collectif et ouvert à la ville, d’écrire une « charte du droit à la ville » qui affirmerait d’abord que cette dernière est une nécessité vitale ? Voilà sans doute, une belle expérimentation pour la ville entière, une belle manière de faire œuvre en commun. Dominique Nalpas |
Le droit à la ville doit être un droit inaliénable, pour chacun. Toutefois, l’appropriation de « sa » ville se confronte en permanence, non seulement à celles, légitimes, des autres habitants de la cité, mais également aux agissements politiques dont les desseins finaux restent souvent opaques. Le droit à la ville est un mouvement perpétuel auquel s’accrochent nombre de ses acteurs mais qui laisse sur le carreau le plus grand nombre, inconscients de la force potentielle de leur implication si celle-ci était seulement recherchée, sans arrière-pensées. Le droit à la ville pour tous restera sans doute un projet intéressant mais irréaliste. Malgré cela, donner les clés de la participation au plus grand nombre contribuera à mettre dans le creuset de la réflexion des nouvelles voix à prendre en considération. Et qui sait, avec l’aide de politiciens « vertueux », une chimère pourrait s’envoler ? Bernard Devillers |
Le « droit à la ville », au départ un concept d’Henri Lefebvre, est un droit d’accéder à ce qui existe déjà mais aussi un droit de changer la ville selon nos désirs et nos besoins. Les dépositaires d’un droit à la ville sont les citoyens électeurs, tout résident, les usagers qui vont et qui viennent mais aussi les personnes en situation de vulnérabilité, les SDF, les femmes souvent isolées, les personnes âgées, les enfants et les jeunes, les minorités ethniques, les immigrés, les déplacés, les réfugiés, les gens du voyage,… La question est donc le droit à la ville « pour tous » et la co-production d’un lieu de vie équitable et solidaire. Des espaces de participation ont été prévus dans des dispositifs de développement urbain mais sont des lieux que seulement certains activistes s’approprient. Les connaissances nécessaires ne sont pas équitablement distribuées. Les savoirs des groupes doivent être de forces égales pour qu’une réelle négociation puisse avoir lieu dans la co-production d’un lieu commun. Il faut donc favoriser l’apprentissage, le décodage de la ville dans toute sa complexité, le partage d’expériences par tous. Les syndicats avaient bien compris la nécessité de former les travailleurs à l’analyse de la société. A quand donc une université populaire de la cité ? Un syndicat des usagers de la ville ? Apprendre et comprendre demande du temps. Le temps n’est pas le même pour tous. Ce temps d’égalisation des savoirs n’est pas inclus dans les processus mis en place par le législateur et accentue donc cette « impuissance » du citoyen. Il faudrait reconnaître le temps nécessaire à la formation des habitants. Nicole Purnôde |
On veut rire sans doute. Qui a droit à la ville ? Faut-il parler de droit alors que forcé, contraint ou volontaire, on utilise la ville depuis toujours sans devoir, pour la plupart, démontrer ses droits d’y être. C’est quoi la ville ? La littérature surabonde pour y répondre. Mais les questions continuent de devoir être posées. C’est la place de l’homme qui n’est pas toujours privilégiée. La ville est un corps vivant qui s’étend, se change, prend des formes multiples, a des noyaux durs incompressibles, se réduit rarement sauf pour faits de guerres. Des strates se superposent, la ville se construit sur la ville, comme sur un immense cimetière de réalités humaines, de réalisations de la main de l’homme. La ville a perdu sa mémoire. C’est surtout le lieu d’un rapport de forces absolument inégal entre ceux qui en font usage, essayent d’y faire leur trou, d’y établir leurs réseaux de survie et d’amitiés, et ceux qui morcellent et marchandent la ville, font croire et démontrent que rien de la ville n’est acquis, que tout est dû, que tout doit s’acheter. La ville c’est un laboratoire exceptionnel de valeurs. Là explosent ou se noient les plus belles figures, les plus chaleureuses solidarités, les plus belles rencontres, les plus délicates tendresses. Guido Vanderhulst |