L’orientation majeure des politiques régionales de ces dix dernières années met l’accent sur le développement hautement technologique, s’adressant à des travailleurs hautement qualifiés, les services de pointe et les fonctions internationales de la ville, prenant comme point de départ le très peu démocratique Plan de Développement International (PDI) de 2007. À tel point qu’un changement radical d’orientation économique semble difficilement concevable aujourd’hui. Les volontés de réduire l’empreinte environnementale, de diminuer la congestion automobile ou de gagner en indépendance par rapport à des productions externes à la ville, en accueillant plus d’entreprises d’activités productives en ville, semblent rester des voeux pieux dès lors qu’aucune mesure forte n’est là pour restaurer l’équilibre entre les forces économiques exogènes largement dominantes et les forces endogènes malmenées.
Ce modèle contemporain n’est pas suffisamment régulé, produisant un accroissement de la dualisation sociale et une économie de l’international peu redistributive. [1] Face à ce constat, IEB cherche a promouvoir un équilibre régional qui mettrait davantage l’accent sur l’économie endogène. C’est dans cette préoccupation politique qu’IEB inscrit sa démarche autour de la place des activités productives en Région bruxelloise. Leur évolution depuis la Deuxième Guerre mondiale n’est ni un état de fait figé ni une dynamique « naturelle ». IEB inscrit sa réflexion dans le cadre de la revendication d’un « droit à la ville » suivant les travaux du sociologue français Henri Lefèbvre. En ce sens, s’interroger sur la place des activités productives en ville ce n’est pas abonder vers une idéologie productiviste et consumériste où les besoins sont définis selon ce qui est nécessaire à la société capitaliste, à l’image d’une ville qui se développe selon les exigences de l’industrie, comme au xix e siècle. Il s’agit bien de promouvoir un débat public et politique sur les besoins et les apports des activités productives au-delà d’un mythe abstrait du retour à l’industrie ou d’une croyance dans l’avènement de la smart city. Pragmatiquement, nous plaçons le curseur à partir de l’existant pour identifier les besoins premiers sous l’angle d’un progrès social et environnemental, plutôt qu’en fonctionnant sur des critères abstraits de métabolisme urbain hors sol. Bruxelles a des spécificités et peut se prévaloir de disposer encore d’une industrie surtout de proximité bordant un canal industriel, d’un tissu dense de PME ou encore d’être un carrefour de main-d’oeuvre diversifiée.
La réalité aujourd’hui est que nombre de PME actives parfois depuis des décennies ont cédé lentement à la pression des logements induite par le PRAS. Le coût du foncier, l’impossibilité de s’agrandir, la congestion automobile, les plaintes des riverains, autant d’éléments qui ont poussé les PME à s’implanter hors des frontières régionales. Si la planification dure à l’égard des entreprises n’est pas souhaitable et ne fonctionne pas, ce n’est pas pour autant qu’il faille laisser se développer une politique actuelle d’aménagement du territoire chevillée à la spéculation immobilière chassant littéralement les entreprises en les mettant en concurrence avec des fonctions économiques plus fortes (logements privés, centres commerciaux, hôtels, etc.), lesquelles répondent peu aux besoins des habitants et sont dotées d’un pouvoir redistributif faible des richesses produites.
Il s’agirait au contraire d’identifier les secteurs économiques offrant des services directs à la ville et à ses habitants (construction, alimentation, recyclage, textile, réparation mécanique et électronique, logistique…) ainsi que d’avoir égard à la valeur ajoutée sociale et environnementale offerte par ce type d’activités et de les soutenir pour qu’elles soient économiquement viables notamment par leur inscription dans un système d’économie sociale.
Enfin, qu’il s’agisse des activités productives ou de toute autre fonction faible susceptible de répondre aux besoins des Bruxellois, il apparaît urgent que nos décideurs se dotent des outils de maîtrise foncière dignes de ce nom : amélioration du droit de préemption, création d’un système de captation des plus-values, encadrement des loyers… plutôt que de changer les affectations du sol à l’aveuglette dans un contexte de maîtrise foncière totalement absente en livrant le territoire à une approche essentiellement spéculative et provoquant des mécanismes de gentrification tant de personnes que d’entreprises.
[1] Gilles Van Hamme, La croissance économique sans le progrès social : l’état des lieux à Bruxelles, Brussels Studies, 2011.