En Belgique, des voix se font entendre pour instaurer une consigne des bouteilles en plastique et des cannettes, notamment parce que le système a prouvé son efficacité à diminuer les déchets qui traînent en rue. La Flandre étudie la question, mais opterait, sous la pression des organisations patronales, pour un modèle numérique. Analyse-minute d’une fausse bonne idée, et surtout, d’un risque, encore, d’accroître les inégalités sociales et de faire peser le système sur les consommateur·trice·s plutôt que sur les entreprises productrices.
Aujourd’hui, seules quelques bouteilles en verre « réutilisables » sont consignées en Belgique. C’est le cas notamment des casiers et vidanges de certaines marques de bières. Le système n’est jamais que l’expression résiduelle d’une pratique plus ancienne où, par exemple, les bouteilles de lait se déposaient et se ramassaient en porte à porte [1].
Les Pays-Bas ont, quant à eux, depuis plusieurs années, étendu la consigne aux grandes puis, aux petites bouteilles en plastique. Huit autres pays européens ont embrayé, ou, sont sur le point de le faire. En pratique, les bouteilles peuvent être rapportées au magasin qui les rembourse directement. Selon les pays, les contenants et les produits, la consigne s’élève de 10 cents à 30 cents en moyenne.
L’intérêt écologique d’une consigne est indéniable. Elle incite les gens à ramener leurs bouteilles dans un point de collecte plutôt que de les jeter… à la poubelle ou trop souvent à côté. Et ce n’est pas rien : cannettes et bouteilles jonchent les trottoirs, les parcs, les égouts et finissent souvent leur course dans les champs ou les rivières. Les plastiques et les cannettes percent les estomacs, étranglent les intestins des animaux qui les avalent par mégarde. Les nano ou microplastiques se muent en radeaux à bactéries et virus, en éponges à polluants organiques persistants (ex. pesticides…). Prosit !
Par ailleurs, la consigne intéresse également le secteur du recyclage, car elle facilite l’organisation de filières de tri homogène. Les points de collecte assurent, en somme, un pré-tri, orienté soit vers la réutilisation soit vers la transformation (recyclage) de matières bien ordonnancées. Le recyclage étant organisé de manière industrielle, cette sélection préalable intéresse donc vivement les entreprises du secteur, d’autant plus qu’elles n’ont pas à rémunérer de main-d’œuvre. Par contre, pour les commerçants, c’est une charge de travail supplémentaire. Aux Pays-Bas, les points de collecte se situent notamment dans les points de vente, plus ou moins à l’image de notre système pour certaines bouteilles en verre. Or, les petits commerces n’ont pas forcément l’espace pour stocker ces « déchets » devenus ressources. Pour répondre à ce problème, la Roumanie envisage donc de ne rendre le retour au magasin obligatoire que dans les commerces de plus de 100 m².
Toujours aux Pays-Bas, pour les consommateurs, l’apport demeure volontaire ou à tout le moins peu contrôlé. Certes, le coût d’achat des canettes, bouteilles de soda ou de jus augmente, mais le remboursement est direct. Certaines personnes arrondissent leurs fins de mois en récupérant ce que d’autres peinent à rapporter. Un peu à l’image de ceux et celles qui récupèrent la ferraille aujourd’hui ou jadis le papier et autres matières, comme le relatait notre analyse, parue dans le Bruxelles en mouvements n°317 (avril 2022) « Recycleurs des rues ».
Vu qu’ici, intérêts économiques et écologiques se rejoignent, l’instauration d’un système de consigne, conseillée, mais non contraignante par une directive européenne, pourrait bien voir le jour en Belgique. Mais, comment ?
Insufflée par l’Europe, la décision sur la mise en place d’une consigne relève à la fois de l’État fédéral et des Régions… donc d’une chaîne de décision complexe. La Flandre avance plus rapidement que la Wallonie et Bruxelles. Une des options préconisée par les organisations patronales inquiète beaucoup l’ONG Recycling Netwerk, animatrice de l’Alliance pour la consigne, dont Inter-environnement Bruxelles est désormais membre. En effet, le gouvernement flamand a très récemment décidé d’instaurer un système de consigne pour 2025, mais en prêtant l’oreille aux organisations patronales qui, elles, préfèrent une consigne numérique au modèle classique.
Contrairement à la consigne classique, les consommateur·trice·s ne devraient plus ramener leurs emballages au magasin, mais, avec un double scan, sur le produit, puis sur le sac bleu « PMC… », les jetteraient « comme avant » à la maison. Donc, avec votre téléphone portable, vous scannez votre cannette, vous scannez votre sac et le coût de la consigne vous est remboursé sur votre compte.
Magnifique : depuis votre cuisine, vous travaillez, encore un peu plus, pour une industrie qui peine à diminuer sa production d’emballage et pour l’industrie du recyclage, qui a grandement besoin de matière première bien triée. Certes, vous êtes responsable de vos achats et donc vos déchets. Mais ici encore, on vise le consommateur final plutôt que sur l’industrie agroalimentaire, dont les marges bénéficiaires se portent très bien.
Fantastique : ce modèle implique de posséder un scan, et, donc, plus que probablement, un smartphone. Or, des voix qui s’élèvent pour rompre la dépendance croissante des humains envers ces solutions d’apparence simples, mais excessivement complexes pour une part non négligeable de la population. La numérisation des actes précédemment simples et accessibles à tous et toutes est source de discrimination. De plus, certaines personnes refusent de posséder un smartphone et ce choix doit être respecté. Enfin, ce système nécessite de disposer d’un compte en banque, ce qui n’est pas le cas de toutes les personnes qui vivent en Belgique.
Et dans la rue ? La consigne numérique impose l’installation – et l’achat – des très onéreuses « poubelles intelligentes », seules capables d’être scannées. Nous avions déjà fortement critiqué le choix de la Ville de Bruxelles de les placer, à l’époque dans le centre-ville.
La consigne numérique intéresse notamment la grande distribution, car en déléguant le tri à ses client.es, elle ne devra rien gérer.. Voici des années qu’elle rechigne à installer des conteneurs où on pourrait jeter les emballages cartons superflus… [2]
En conclusion, la consigne n’est qu’un moyen, parmi d’autres, pour limiter la production de déchets… Or, les millions de tonnes d’emballages ne diminueront réellement qu’à travers une restriction drastique de la production d’emballages individuels ou d’objets jetables, à la production et à la vente très rentables pour les entreprises ( des canettes, berlingots, aux rasoirs, les doubles emballage ( carton/plastique), ….
Le système de consigne des bouteilles devra rester accessible à tous et toutes ; pour ce faire, il faudra ouvrir des points de collectes physiques un peu partout dans la ville. Tous et toutes, indépendamment de sa situation face au numérique, sa condition sociale ou de citoyenneté devra pouvoir y avoir accès. Dans le cas contraire, les 10, 20 ou 30 centimes supplémentaires à avancer pour acheter ces produits pèseront fortement sur les budgets des ménages les plus précarisés.
[1] Par ailleurs, quelques pratiques, qui demeurent encore marginales, proposent des emballages « retournables » pour de la nourriture à emporter. Une offre qui risque d’augmenter dans les prochaines années, à la faveur de l’interdiction prochaine des emballages non industriels, préconisée par l’Union européenne. Actuellement, ces vidanges sont chères (en moyenne 1,5 euros la vidange).
[2] Pour aller plus loin, n’hésitez pas à lire la comparaison entre le système de consigne classique de l’ONG Recycling Netwerk : recyclingnetwerk.org