Inter-Environnement Bruxelles
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Un père retourne à l’école

À l’école 1 située dans le Vieux Molenbeek, rue des Quatre-Vents, 71, simple parent au départ, Aziz Mouaouia a été à l’initiative de l’association des parents d’élèves et en est devenu le président. Il témoigne de ses combats pour sauvegarder des financements et des activités pour cette école communale et jette un regard sur la réalité de l’enseignement francophone au niveau local.

© Élise Debouny - 2021

Ce témoignage relate l’envers du décor des écoles dites « difficiles ». Nous avons choisi de lui donner la parole pour faire remonter un regard peu relayé…

J’habite dans ce qu’on appelle le Vieux Molenbeek historique. Tout a commencé l’année où on a eu un taux d’échec pour les CEB assez élevé à l’école 1. C’était une période de transition, la directrice était sur le départ et la nouvelle majorité communale allait s’installer. J’avais de gros points d’interrogations sur l’enseignement francophone qui n’est plus ce qu’il était quand j’étais petit. J’ai donc commencé à creuser et je me suis rendu compte que malheureusement les enfants souffrent d’inégalités. On a des enfants qui sont dans un milieu très défavorisé tant au niveau culturel qu’au niveau social et économique. Avant, les garderies étaient gratuites, maintenant elles sont payantes. C’est pareil pour l’école de devoirs. Au niveau financier c’est très difficile, surtout avec le taux de chômage élevé dans le quartier.

Par exemple, on a actuellement dans l’école des nouveaux arrivants, des gens qui arrivent d’Espagne, d’Italie et qui s’installent ici en Belgique. On a aussi des gens qui arrivent de Syrie et dont les enfants sont scolarisés dans nos écoles alors qu’il n’y a pas de politique d’accueil pour ces gens-là ni pour leurs enfants. Ceux-ci accumulent dès lors du retard. On a des profs qui se donnent à fond et d’autres qui se donnent moins, et on ne peut rien y faire. Le retard des élèves augmente d’année en année et les diminutions de budgets n’arrangent pas les choses. Ce qui a eu entre autres pour conséquence une diminution des classes passerelles.

Le combat commence par le logement. Il arrive que les enfants ne puissent pas faire leurs devoirs parce qu’ils vivent dans un deux-pièces. Le milieu social joue aussi. Vous avez des parents qui sont analphabètes. Dernièrement, pour des raisons budgétaires, la commune a pris la décision de supprimer l’« étude dirigée » qui est une sorte d’école de devoirs au sein de l’école. On a dû mobiliser des partis politiques de l’opposition et les médias. On a réussi à avoir un article dans « La Capitale » et la commune a fini par décider de prolonger l’activité jusqu’en janvier.

Chaque fois que je frappais à une porte, on me disait qu’il faudrait se constituer en association de parents d’élèves. Mais faire une association de parents à Uccle ou à Ixelles est beaucoup plus facile que de le faire à Molenbeek, où les gens ont « d’autres chats à fouetter ». C’est aussi une question de culture. On a eu de la chance avec la nouvelle directrice qui nous a aidés avec la mise à disposition du matériel nécessaire. Il y a beaucoup de parents qui viennent, 90% de mamans. Les femmes s’occupent beaucoup plus des enfants que les papas qui souvent travaillent avec des horaires de plus en plus flexibles. L’éducation reste essentiellement un combat de mamans, elles veulent donner un plus à l’éducation et à la scolarisation mais évidemment leurs moyens sont limités.

Notre premier combat, l’année passée, concernait le poste d’un professeur qu’on voulait nous enlever. La commune prétendait qu’elle n’avait plus de budget et que ce prof serait transféré à l’école 13. On nous renvoyait vers la Communauté française, qui a décidé de subsidier 9 professeurs et pas 10, bien qu’à partir de janvier on avait des nouveaux inscrits. La commune a refusé de financer la prof pendant trois mois alors qu’elle était excellente. Tout le monde a pleuré pour elle, tant les mamans que les élèves car elle s’investissait à fond. Le pouvoir politique ne fait rien pour encourager l’enseignement, bien au contraire il ne pense que budget alors qu’on connaît les difficultés sociales de Molenbeek.

Nous nous sommes également battus pendant trois ans pour des toilettes parce qu’il n’y en avait pas assez dans l’école. Cette année, on a défendu les sorties à la piscine. Comme les bus coûtaient trop chers, la commune les avaient supprimés. On a réussi à maintenir une séance de piscine toutes les trois semaines, contre une toutes les deux semaines avant. Pourtant, l’épanouissement sportif est important, sachant que tout le monde n’a pas accès aux activités sportives. Le sport est souvent inaccessible pour les budgets des parents ou alors il n’y a pas assez de places…

Sachant que ces enfants sont dans la plus grande difficulté on s’attendait à ce que la commune les aide davantage. C’est encore pire ! Le fédéral injecte 400 millions d’euros (Plan Canal) juste pour la répression et pas pour le soutien à l’éducation. Or, c’est dans l’éducation qu’on doit investir, dans le vivre ensemble, ne pas laisser les gens se refermer sur eux-mêmes dans leurs communautés.

Les méthodes pédagogiques ne sont plus adaptées. L’école d’hier n’est plus l’école d’aujourd’hui. Suite à ma participation à plusieurs réunions sur le Pacte d’excellence, je crains qu’il ne réponde pas à la réalité que nous déplorons, aux besoins directs. Les élèves décrochent dès la deuxième secondaire parce qu’ils arrivent déjà avec du retard et n’arrivent plus à suivre. Il y a des listes d’attentes pour les écoles de devoirs, alors qu’en principe on ne devrait pas en avoir besoin si on avait un bon enseignement… En Flandre, il n’y a plus de devoirs en dehors de l’école, les enfants font du sport, des loisirs, ils font d’autres choses… Il faudrait un travail d’analyse des problèmes de l’école en profondeur pour pouvoir y répondre adéquatement.

De plus, pour que l’école joue son rôle dans un quartier comme le Vieux Molenbeek, il faudrait lui donner les moyens pour avoir une direction qui est consciente et positive, des profs en suffisance et le matériel nécessaire. Aujourd’hui, ce n’est pas le cas. L’année passée, même le cours d’informatique a été supprimé pour raison budgétaire encore une fois. On a à nouveau dû interpeller la commune pour qu’elle remette le cours d’initiation à l’informatique.

Je vois des parents qui sont soucieux et qui se sacrifient pour que leurs enfants aient un meilleur avenir. Malheureusement, l’école d’aujourd’hui ne répond pas à ce besoin et ne forme pas leurs enfants à affronter l’avenir. Comment voulez-vous que ces enfants occupent leurs temps par des moyens intelligents au lieu de rester au coin de la rue ? Ensuite, c’est des petites bandes, puis les premiers casses, la délinquance, un dossier judiciaire qui vous exclut du marché de l’emploi. On sait où ça peut finir...

Mon prochain combat sera de monter une école de devoirs dans mon école. C’est assez compliqué comme démarche. J’avais comme idée de créer un coaching, tant avec les parents qu’avec les enfants. C’est un double travail à mener et les deux sont indispensables.

Aziz Mouaouia

L’école sous pression