Dans son bilan de huit mois de phase-test, la Ville de Bruxelles n’a pas lésiné sur les chiffres pour attester de la réussite, selon elle incontestable, de son piétonnier. Seulement voilà, en y regardant d’un peu plus près, on s’aperçoit rapidement que la rigueur des données présentées est loin d’être au rendez-vous.
En annonçant triomphalement que la fréquentation de piétons avait doublé depuis la mise en piétonnier des boulevards du centre, la Ville de Bruxelles disait s’être basée sur les chiffres d’Atrium.
Incroyable mais vrai !
Mais l’ARAU le relevait dès le lendemain [1], les chiffres en question ne reflétaient pas cette spectaculaire augmentation. Arnaud Texier, directeur d’Atrium confirme : « Avant la mise en place du piétonnier, les comptages étaient effectués sur chacun des trottoirs des boulevards et donnaient lieu à des chiffres séparés. Il fallait donc additionner ces chiffres pour les comparer aux derniers comptages. En additionnant les comptages des deux trottoirs, on constate une hausse, mais elle n’est pas aussi importante. » [2]
La Ville aurait donc purement et simplement « omis » de compter l’un des deux trottoirs ! Franchement… « On est la risée du monde », non ?
De quoi semer un peu plus le trouble sur le bilan résolument positif de la Ville de Bruxelles, alors que les deux autres raisons qu’elle avait de se féliciter de son projet étaient déjà sujettes à de sérieuses réserves.
Trafic en baisse dans les rues latérales ?
Que le trafic ait globalement diminué sur l’ensemble du Pentagone, personne n’en doute. Mais la Ville nie farouchement le report de circulation sur les rues latérales du Pentagone Ouest, affirmant même que les chiffres sont en baisse.
On le relevait récemment, avec l’exemple des rues Van Artevelde et Pletinckx, les chiffres ne disent pas tout : 10 véhicules à la minute lorsque le trafic est fluide n’ont pas le même impact, en terme de nuisances environnementales et sonores, que 10 véhicules roulant au pas, pare-chocs contre pare-chocs.
Comptages d’un habitant de la rue Léon Lepage
Mais sur les chiffres mêmes, on reste également perplexe. En septembre 2013, un habitant de la rue Léon Lepage avait réalisé des comptages pour l’asbl Pro Velo. Deux ans plus tard, il a refait ces mêmes comptages, dans les mêmes conditions (par beau temps, sans travaux à l’horizon ni sommet européen). Les résultats sont parlants :
Une situation qui se répète quasi quotidiennement.
Amélioration de la qualité de l’air ?
La Platform Pentagone le faisait remarquer dans son dernier communiqué de presse : le Pentagone n’est équipé que d’une seule station de mesure de la qualité de l’air, dépourvue, par ailleurs, de capteurs de particules fines [3].
Lors de l’émission #M du 1er mars 2016, sur BX1, Yvan Mayeur déclarait sans sourciller : Malheureusement, la Région n’a pas doté notre ville de suffisamment de capteurs pour savoir exactement quel est l’impact en terme environnemental de la circulation.
La Ville affirme pourtant que le piétonnier a eu un effet très positif sur la qualité de l’air à Bruxelles, y compris aux abords du piétonnier. Une affirmation aussi scientifique que de se réjouir de l’absence d’excès de vitesse sur une route non équipée de radars.
Pour les habitants, commerçants et usagers des petites rues et places, sacrifiées au nom du « plus grand piétonnier d’Europe », la pilule est dure à avaler. À moins qu’il ne s’agisse d’une couleuvre…
Mais face à cette communication qui frise la propagande, qui est encore dupe ? Qui peut encore croire que ce projet soit « une réussite » ?
Isabelle Marchal
habitante de la place du Nouveau Marché aux Grains
et membre de la Platform Pentagone
[1] « Non, le piétonnier n’attire pas plus de piétons », ARAU, 1er mars 2016 : www.arau.org.
[2] « Magasins vides, mendicité, incivilités, insécurité : les commerçants dressent aussi le bilan du piétonnier », La Dernière Heure, 2 mars 2016 : www.dhnet.be.
[3] www.irceline.be.