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Un abattoir : une histoire de ville, d’humains et d’animaux

Claire Scohier et Cataline Sénéchal – Septembre 2015

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Depuis 125 ans, on abat à Anderlecht et depuis 125 ans, Cureghem est un « quartier de viande ». La situation de l’Abattoir d’Anderlecht en pleine ville est, à l’heure actuelle, exceptionnelle. Depuis 30 ans, la plupart des abattoirs en ville ont fermé leurs portes ou ont dû déménager en périphérie, loin du regard des habitants. La présence de cet abattoir en ville illustre de nombreux enjeux qu’ils soient frappants, visibles ou plus discrets et délicats…

L’activité la plus voyante du site des abattoirs, c’est le commerce, avec cet énorme marché généraliste et populaire qui s’y installe du vendredi au dimanche et les nombreux bouchers et grossistes qu’il héberge toute la semaine. Aujourd’hui, les activités d’abattage sont un peu occultées par le dynamisme du marché généraliste. De nombreux clients, habitants ou visiteurs ignorent même la présence de l’abattoir.

C’est pour rendre visible cette existence et les enjeux qu’elle draine, questionner la place de l’abattoir en ville, que la société Abattoir, le Centre de Rénovation Urbaine d’Anderlecht (CRU) et IEB ont mis sur pied, en 2013, Forum Abattoir. En 2014 et 2015, Forum Abattoir a organisé des débats, des rencontres, des ateliers, des balades. Les participants ? Des professionnels des métiers de la viande, des architectes, des enfants, des habitants, des étudiants, des clients du marché...

La présente analyse est le réceptacle partiel de paroles récoltées par Forum Abattoir, une caisse de résonance des différentes questions et prises de position des usagers du site des abattoirs d’Anderlecht-Cureghem.

Abattre

Au milieu du site, derrière la grande halle et sous un chapelet d’ateliers de découpe, il y a l’abattoir, reconstruit en 1987 sur les fondations de l’ancienne structure inaugurée en 1890. Le bâtiment forme un long rectangle sur deux étages et, à première vue, pas facile de deviner ce qui se produit derrière ses parois de béton. Derrière ces murs aveugles, il y a aussi des hommes à qui nous avons délégué la mise à mort des animaux que nous consommons.

Cet abattoir fonctionne en régie et a toujours été exploité ainsi, même lorsqu’il appartenait à la Commune d’Anderlecht. La société anonyme Abattoir (ex-Abatan) entretient et met à disposition une infrastructure à des entreprises indépendantes contre loyer.

Aujourd’hui, l’abattoir comporte trois lignes d’abattage : la première pour les porcs, gérée par la société SEVA, la seconde pour les petits ruminants et la troisième pour les bovins, toutes deux exploitées par ABACO. C’est une entreprise de taille moyenne. On y abat, par semaine, environ 400 bovins et 3 500 porcs, alors que les abattoirs industriels ont en moyenne des cadences de 60 bovins à l’heure et de 350 porcs à l’heure.

À la louche, l’activité « viande » du site offre de l’emploi à plus de 300 personnes : abatteurs, découpeurs, grossistes, vendeurs en boucherie sur le marché... Le site accueille aussi deux ateliers plus particuliers et de plus en plus rares : Geeroms, qui traite les peaux avant leur envoi en tannerie, et Goffard qui nettoie et prépare les boyaux qui termineront dans les fabriques de charcuterie. Dans les autres abattoirs, ces morceaux ne sont pas traités sur place.

Depuis la création des abattoirs et la diminution des petits élevages domestiques, nous déléguons la mise à mort des animaux que nous consommons à des professionnels. Comment ces hommes – à Anderlecht, comme dans la plupart des abattoirs, il y a peu de femmes – perçoivent-ils leur métier ? Comment vivent-ils plus particulièrement l’acte de tuer ?

Pour eux, tuer, malgré les années de pratique, reste un acte grave : « Les bêtes, elles sentent. Des fois, il y en a qui pleurent. Surtout les chevaux. Tu sais, pleurer c’est normal... si on condamne un humain à mort... qu’est-ce que tu crois ? Il va aussi pleurer ! Si un animal pleure, c’est normal, il sait qu’il va mourir... Mais, les moutons... ça va. Un mouton, il sent qu’il va mourir, mais il ne bouge pas. Je prononce les phrases du Coran, et il se calme, c’est incroyable, il ne bouge plus. Le rituel veut que quand on coupe une bête, il faut pas la faire souffrir. Le Coran, il dit ça. Si elle souffre, c’est pas correct pour l’islam. »

Les ouvriers disent qu’il faut un caractère un peu spécial pour arriver à tuer : « Il y en a qui ont la décontraction pour le faire et d’autres qui ont des appréhensions. Moi, pendant toute une période, j’ai coupé des moutons. Mais je n’aime pas ça. Je préfère laisser ça à des gens qui n’ont pas d’appréhension. Moi, si je vois un cheval qui ‘tchoule’, je le touche pas. » Un caractère, mais aussi un savoir-faire : « Il faut trouver la bonne place. Sinon, la bête, elle tombe pas. Elle te regarde et elle a mal. Jean-Claude, quand il tire, il fait bien ça, il ne rate jamais. Je crois que ça fait 17-18 ans qu’il travaille ici. » Et certains refusent d’occuper ce poste : « Je suis Peul, et donc, je viens d’un peuple d’éleveurs. Regarde un peu notre histoire, et tu comprendras comment nous traitons le bétail ! Gamin, tu grandis avec, tu cours derrière les bêtes. Et, en Belgique, avec le CAF (Centre Anderlechtois de Formation), le premier jour de mon stage à l’abattoir, on a visité la chaîne. Quand j’ai vu comment ils tuaient une grande et belle bête comme ça ! Boum, boum... Je vous jure, j’en ai pas dormi de la nuit, j’en ai fait des cauchemars. Il a fallu que mon professeur me parle, me parle, me rassure. J’en aurais pleuré. Et voilà ! Je travaille sur la chaîne d’abattage depuis 15 ans maintenant. Mais je n’ai jamais tiré une bête. Si jamais Eddy, mon patron, me le demande, je partirai. »

Par ailleurs, le travail à l’abattoir est dangereux et les accidents sont nombreux. « Sur la chaîne, il n’y a pas de poste facile. Du début à la fin, c’est du travail pénible. On est comme des boxeurs sur un ring. C’est toujours courir, porter, transpirer, tirer, faire attention à ses doigts. Celui qui coupe les pattes d’un bœuf, il risque aussi à tout instant de se prendre un coup au visage » car « même si les bêtes sont mortes, les nerfs bougent encore » et « si une bête se décroche (du rail aérien), elle peut t’écraser à tout moment ».

En déléguant l’acte de tuer les animaux que nous consommons, nous faisons porter la responsabilité de la mort sur autrui. Être abatteur n’est pas une vocation. Mais comme dit Nordin : « Ce que j’aime ici, c’est la camaraderie. On est tous des gars de la rue. On a tous un passé différent. Certains ont même fait la guerre. Il y a des ex- délinquants qui ont trouvé leur voie, un travail et un sens à leur vie. Il y a aussi des anciens fermiers. Ici, c’est multi-social et multiculturel. C’est un cocktail explosif mais qui marche bien. On s’engueule, on s’insulte, on en rigole après comme des poissonniers et ça passe. Les années passent et on essaye de pas ramasser trop de coups, on calcule nos gestes, on calcule nos mouvements pour ne pas trop s’abîmer la santé. C’est le cours de la vie. »

L’abattage halal

À Anderlecht, ABACO – l’entreprise qui gère les lignes d’abattage pour les bovins, les moutons et les chèvres – a engagé un abatteur reconnu par les autorités musulmanes et acheté un box spécifique. ABACO pratique l’abattage rituel musulman, la dhabiha.

De la dhabiha, on retient surtout l’absence d’étourdissement et la prière qui accompagne le geste de l’abatteur. Or, selon les personnes rencontrées, le rite devrait être bien plus complexe. Ainsi, l’animal vivant doit être visible et en parfaite santé. Il doit être suffisamment éloigné des autres pour éviter de le stresser : il ne doit ni voir, ni entendre, ni sentir la mort d’un de ses congénères. Il faut aussi attendre quelques minutes avant de transporter l’animal saigné pour s’assurer qu’il est bien inconscient. Ces préoccupations sont facilement applicables à la ferme ou dans de très petits abattoirs. Elles sont semblables à celle de l’abattage traditionnel du cochon dans nos campagnes. Dans les discussions avec les habitants, certains préfèrent une entreprise située à Lennik, spécialisée dans ce type d’abattage. Les consommateurs peuvent choisir leur bête parmi les moutons en pâture. Certains pourront même pratiquer la saignée au côté de l’abatteur.

Pour Youssef El Gourabha, grossiste en viande halal aux abattoirs, le rite du sacrifice permet aux consommateurs de relier l’animal vivant et la viande qu’ils ont dans leur assiette : « La plupart des consommateurs voient la viande comme une boite de coca. Un steak, c’est une barquette. Ils vont chez le boucher, ils achètent un steak, mais ils ne savent pas d’où il vient. Les musulmans abattent un animal pour la fête une fois par an mais aussi pour la naissance de chaque enfant. Cet abattage permet de comprendre d’où vient la viande. Ce n’est pas une question de religion, c’est une question de tradition. Ce n’est pas une histoire de chrétien ou de musulman. Des connaissances vivent à la campagne en Italie et tuent le cochon. C’est la société aujourd’hui qui va contre ça. Tout est simplifié. Et les grosses boîtes gagnent. »

Des années durant, le site des abattoirs a accueilli l’abattoir temporaire pour l’Aïd de la Commune d’Anderlecht. En 2014, les autorités ont préféré s’en passer. L’alternative ? Commander un mouton auprès de leurs services. Un flop ! Ils sont restés avec des animaux sur les bras. Pourquoi ? Les habitants n’avaient pas la possibilité de choisir le poids de leur mouton, de le voir vivant et de s’assurer de la date réelle de l’abattage.

En 2015, la Région a mis sur pied une formation pour les sacrificateurs des abattoirs temporaires. Cette formation a été mise en place en collaboration avec l’Exécutif des musulmans de Belgique (EMB) et sera dispensée par un vétérinaire d’Abattoir dans l’espoir d’éviter de causer des souffrances inutiles aux animaux.

L’Abattoir et les grossistes

Autour de l’Abattoir, rue Clemenceau, Ropsy-Chaudron, rue du Compas et du Bateau et quai de l’Industrie, une grosse dizaine de grossistes en viande sont installés dont chacun a sa spécificité : de l’agneau, du gibier, de la volaille halal, de la viande de chèvre. L’enceinte de l’Abattoir loge également une trentaine de grossistes qui occupent des créneaux particuliers. Les spécialistes en bœuf et veau culards voisinent les ateliers en porcs et la viande halal, certains s’aventurent même dans les viandes maturées. Ils s’adressent avant tout aux boucheries et aux restaurateurs, mais des particuliers peuvent également s’approvisionner chez certains grossistes et trouver, par exemple, des tendons qui entrent dans certaines préparations – pièces non rentabilisées en boucherie traditionnelle.

Il y a tous les prix et toutes les qualités et il est bien difficile d’établir un profil des grossistes aux Abattoirs... même si la PME familiale domine. Prenons l’exemple de Floru Beef. Créée dans les années septante, l’entreprise est tenue par Emile Floru, 82 ans, qui se déplace encore dans plusieurs fermes et marchés pour choisir les bêtes, par Stefan Floru, son fils qui assure surtout les livraisons et Fanny Floru, sa belle-fille qui se charge du contact avec les clients, de faire tourner l’atelier, des livraisons et des tâches administratives. Leurs journées commencent tôt, leur grosse poignée de découpeurs s’active souvent dès minuit. Depuis peu, cet atelier propose à ses clients bouchers des pièces de viande prédécoupées alors qu’avant, ils ne la vendaient qu’en demi-carcasses.

Situés à côté, les établissements des frères Verhaeren se concentrent sur le veau dit « culard ». Leur père était marchand de bestiaux en Flandre. Il y a sept ans, les deux frères ont choisi de s’installer aux abattoirs d’Anderlecht car « c’est situé au centre de la Belgique. Ayant des clients autant en Flandre qu’en Wallonie, depuis Anderlecht, nous pouvons facilement rayonner dans toute la Belgique » et que les installations de l’abattoir leur conviennent : « l’abattage et la découpe fonctionnent en continu dans un même bâtiment. Pas besoin de sortir et transporter en camion les carcasses entre l’abattoir et l’atelier de découpe ! »

Claire Bekaert dirige Amnimeat dans le créneau du porc. Pour elle, la diversité et le nombre de grossistes sont intéressants car ils commercent entre eux. « S’il me manque autant de kilo de telle viande, je peux me fournir auprès des autres. » Par ailleurs, elle estime qu’un abattoir en ville facilite aussi la vie de ses ouvriers : facilité d’accès pour y habiter et comme leur tâche est parfois interrompue pendant plusieurs heures, ils peuvent rentrer chez eux et revenir dès que le travail recommence.

L’Abattoir et les boucheries

Anderlecht compte le plus grand nombre de boucheries de détail de la Région bruxelloise et la plupart sont installées aux alentours des abattoirs. L’offre de produits des boucheries a évolué avec Cureghem qui, depuis toujours, accueille une communauté immigrante : aujourd’hui, une dizaine de boucheries marocaines, africaines, libanaises, roumaines, polonaises et, bien sûr, belges se côtoient sur la rue Ropsy-Chaudron et ses environs. Les clients peuvent donc y trouver les salaisons et les pièces de viande qui correspondent à leurs habitudes alimentaires.

En plus des commerces fixes du quartier, la viande se vend au détail trois fois par semaine au Marché aux viandes situé jusqu’il y a peu dans un local industriel connecté à la structure de l’abattoir. Sur trois couloirs de comptoirs en verre et aluminium, une quarantaine de bouchers louaient un ou plusieurs étal à l’année, une seule journée ou trois jours selon leurs besoins.

Mais depuis la fin mai 2015, ce commerce de viande s’est installé dans la « nouvelle » halle alimentaire – le Foodmet – aux côtés d’échoppes de maraîchers. Du mobile, du modulable, on passe à un local fixe. Parmi les exploitants du Marché aux viandes, tous n’ont pas pu ou voulu courir le risque. D’une part, l’équipement des locaux commerciaux était totalement à la charge des exploitants. D’autre part, pour ceux qui louaient un emplacement une seule fois par semaine, s’installer « en fixe » trois ou quatre jours est un changement qu’ils n’ont pas osé tenter. L’itinérance, plus qu’un choix de vie, est pour beaucoup un choix économique, comme en témoigne un boucher ambulant : « Aujourd’hui, les quartiers changent beaucoup. Comme ambulant, on fait un marché, ça va pas, on va ailleurs. Par contre, avec un commerce fixe, faut faire tout sur place, tu investis beaucoup, dans l’atelier, etc. Et si ça va pas, tu perds tout. »

Le Foodmet a donc ouvert depuis quelques semaines et il ne désemplit pas. Derrière les 17 comptoirs-ateliers, la viande s’empile comme auparavant, les prix n’ont pas l’air d’avoir augmenté et la diversité des produits est toujours présente. Le tripier de l’abattoir a même tenté l’aventure. Certains clients sont un peu perdus et recherchent en vain leur ancien boucher... D’autres sont plutôt satisfaits des nouvelles installations, plus aérées, plus neuves, plus nettes...

Le métier de boucher

Aujourd’hui, les bouchers et les grossistes se plaignent souvent du manque de main-d’œuvre qualifiée. D’autres encore s’inquiètent de l’avenir de leur entreprise : la relève familiale, traditionnelle dans ce secteur vient à manquer.

Il est vrai que les conditions de travail sont difficiles... Les ouvriers bouchers travaillent souvent de nuit, dans le froid des frigos. Un couteau, ça se manie avec précision, au risque de couper ci-et-là un doigt, un tendon. Les dos souffrent sous la charge... Pourtant, les bouchers, les découpeurs et même les abatteurs parlent de leur métier avec passion. Pour autant qu’ils y soient bien préparés... « Quand tu commences à travailler une carcasse... tu dois suivre les muscles. Toutes les bêtes sont différentes, tous les muscles sont donc différents. Le travail change donc tout le temps. »

Le « manuel du boucher » compte plus de 500 pages réparties en trois gros chapitres, « Bétail et viande (achat et découpe) », « Charcuterie » et « Préparations culinaires ». En trois-quatre ans, les élèves connaîtront les caractéristiques d’une vache « type à viande », sauront que « les rognons de bœufs adultes sont impropres à la consommation », pourront distinguer une carcasse de mouton et de chèvre selon la couleur de la graisse, apprendront à découper les pièces en suivant l’ossature de l’animal, à préparer les pâtés de jambons, des salamis...

Ce programme prépare donc à un métier d’artisan. Or, à Bruxelles, depuis quelques années, il n’y a plus de section d’enseignement secondaire professionnel en boucherie. Elles auraient fermé faute d’élèves et à cause du coût exorbitant des investissements nécessaires à la mise aux normes AFSCA des ateliers de pratique. Donc, un jeune bruxellois de 15 ans qui veut « faire boucherie » n’aura d’autre alternative que l’enseignement en alternance (IFAPME) avec un contrat d’apprentissage. Dino Quedo, patron-boucher ambulant de 25 ans se souvient : « à l’INFAC, nous étions quinze. Les trois-quarts faisaient leur stage chez Renman. On était deux à trois chez un petit boucher. Moi, j’étais ici, pas loin, à la Boucherie Ma Campagne. »

Dès 18 ans, l’enseignement de promotion sociale devient accessible. Au CERIA, l’institut Roger Lambion l’organise en deux ans et demi avec deux stages en entreprise. La directrice, Mme Ceuppens précise que son école est « désormais l’unique filière en cours du soir de la Communauté française à organiser un cursus de boucherie ». Elle compte 48 inscrits dont, fait inédit, 10 filles qui « tout comme les garçons, trimballent les quarts de bête ». Sa section doit notamment sa survie à un campus où « tout s’emboîte » : « nos étudiants découpent la viande ou préparent les marinades pour les restaurants d’application de la section Restauration ». Elle s’est aussi engagée dans un « partenariat public-privé » avec Viangro qui avait remarqué un problème dans la pyramide d’âge de ses employés : « Tous les chefs de ligne et de production sont proches de la pension. Viangro a donc donné la possibilité à ses ouvriers de décrocher un diplôme pour occuper les postes vacants dans le futur. »

La formation s’organise en modules : « charcuterie », « gestion », etc. Les élèves peuvent les suivre « à la carte » mais pour ouvrir un commerce, ils devront en réussir la totalité. Après, libre à eux de rejoindre la boucherie familiale, de sillonner les marchés... ou de devenir « chefs de ligne » dans l’industrie alimentaire.

Et le quartier ?

L’abattoir illustre également la vie et le devenir d’un quartier, qui après avoir été des années durant un moteur de l’économie bruxelloise a amorcé dès les années 60 son déclin industriel. Toutefois, est-ce aujourd’hui un désert économique comme le laisse entendre certaines voix ? Quelles sont les perspectives de développement du quartier ? Attire-t-il les convoitises de promoteurs immobiliers ? Comment s’insère-t-il dans les plans régionaux du développement du canal ? Quels sont les projets de la société Abattoir ? Faut-il développer davantage de logement ? Comment placer les habitants au centre du débat sur l’avenir de leur quartier ?

L’abattoir se situe en bordure du canal, une zone qui attire la convoitise de nombreux projets et promoteurs immobiliers. L’enjeu, ici, n’est-il pas le maintien d’une activité productive, pourvoyeuse d’emplois dans une zone que certains voudraient petit à petit réservée à l’habitat ? Pour le CRU, « tout comme le commerce de voiture d’occasion, si l’abattoir est là, autant qu’il y reste. Il est important que la ville demeure un lieu de travail et de production. Il faut qu’elle garde ses bassins d’emplois. Ce sont eux qui maintiennent un lien historique avec le Cureghem d’hier et d’aujourd’hui : la production agroalimentaire avec Abattoir, le textile avec le Triangle et le commerce des voitures à Heyvaert. Ces activités doivent rester car elles protègent une autre fonction essentielle du quartier : sa dimension populaire et d’accueil. »

IEB craint une transformation du site en décalage avec les besoins locaux. La pression immobilière sur le territoire, la proximité du canal et de la gare internationale TGV font craindre des développements qui pourraient faire table rase de ce qui marche : un marché populaire, un des derniers abattoirs urbains d’Europe connecté à un marché aux viandes, des emplois peu qualifiés adaptés à la main-d’œuvre bruxelloise.

IEB se rend compte que les habitants et les usagers du marché sont peu informés de ces projets de transformation. C’est pourquoi nous sommes rentrés en contact avec l’Union des locataires d’Anderlecht (ULAC) et le CRU pour débattre de leur perception du site, des besoins auxquels il répond ou ceux auxquels il pourrait subvenir. IEB s’interroge aussi sur les besoins des marchands qui fréquentent le marché et ceux des travailleurs des abattoirs.

Dans les cartons, on parlait tout un temps de développer un centre de congrès ou d’une nouvelle halle alimentaire sur le modèle lyonnais destinée à attirer un nouveau public. Certains parlaient de vouloir « casser l’image du quartier des bonnes affaires ». Des projets de logements sont également évoqués. Comment un centre de congrès, un marché populaire attirant 100 000 personnes chaque week-end, un abattoir et des logements vont-ils pouvoir cohabiter sur ce site de 10 hectares ? Les nouveaux habitants qui vont subir les nuisances du marché et des abattoirs ne vont-ils pas à terme chasser ces activités qui sont pourtant un poumon économique du quartier ? La nouvelle attractivité supra-locale voulue ne risque-t-elle pas d’entraîner une hausse des valeurs foncières et des loyers chassant à terme les habitants actuels ?

Outre ces questions socio-économiques, on peut se questionner sur l’abattage comme une responsabilité collective : la présence d’un abattoir en ville est une opportunité quasi unique de nos jours. Elle peut constituer l’occasion de penser le sens de l’élevage et de l’abattage, la prise en charge collective de la mort de l’animal. Pour cela, la rénovation – ou la construction – d’un abattoir devrait s’assumer comme tel : dans sa signalisation, dans son aspect extérieur et son accessibilité. Il ne devrait pas se cacher derrière des parois de béton d’un bâtiment industriel générique... comme c’est le cas du l’abattoir actuel.

Les enjeux et les préoccupations d’Abattoir, des politiques et des habitants ne sont pas nécessairement identiques mais le dialogue mené depuis 2013 grâce à Forum Abattoir montre que toutes les parties prenantes ont intérêt à préserver une culture du débat pour améliorer le devenir du site en lien avec son quartier.

par Cataline Sénéchal

Chargée de mission

, Claire Scohier

Inter-Environnement Bruxelles