Depuis le 13 mars 2020, malgré le confinement, Inter-Environnement Bruxelles a continué son travail. Bien sûr, avec résignation et amertume, nous avons dû reporter nos assemblées associatives, nos conférences, nos rassemblements et nos actions de terrain… Nous nous sommes inquiété·e·s pour nos proches, malades ou potentiellement malades. Et nous avons compté les morts.
Toutefois, avec plaisir, nous avons profité de Bruxelles qui, enfin libérée de sa surcharge automobile, devenait enfin respirable. Nous avons enfin pu entendre les oiseaux chanter. Nous avons eu le temps, enfin, d’observer les feuilles craquer leurs bourgeons. Mais nous savions que de nombreux habitants ne disposent pas d’une vue sur jardin ou d’espaces verts à proximité. Avec un plaisir non feint, nous avons vu stopper net la course à la surconsommation. Mais nous savions que cet arrêt marquait une coupe tout aussi nette dans les revenus de nombreux Bruxellois. Avec une certaine jouissance, nous avons reçu ce confinement comme un sabot qui coinçait enfin les engrenages d’une surcharge professionnelle, celle-là qui exige que nous soyons toujours et toujours plus productifs. Mais cette exigence à la suractivité, nous l’avons vu s’accélérer dans les hôpitaux, les maisons de repos, les accueils pour sans-abris, qui, déjà « avant » étaient en sous-effectif et sous-équipement chronique. Nous l’avons vu maintenue, voire s’amplifier dans les espaces privés où chacun a dû mener de front travail, soins à la famille, suivi scolaire, tâches ménagères, dans des espaces à la sécurité et au confort très variables et donc très inéquitables. Nous avons vu avec soulagement des réseaux de solidarités contributives se nouer, tout en se désolant car ceux-ci venaient pallier aux manquements de l’État : confection de masques, distribution de repas, soutien aux aînés, personnes isolées et personnes sans revenu, avec ou sans statuts. Nous avons vu les liens sociaux se maintenir grâce à une foule d’applications numériques tout en redoutant qu’elles s’installent durablement dans les échanges professionnels, dans le commerce, dans l’enseignement ou les méthodes de démocratie participative. Nous avons vu et lu des voix discordantes se déployer dans l’espace virtuel, s’afficher aux fenêtres et aux balcons mais nous nous inquiétons qu’il soit durablement interdit ou compliqué de se rassembler dans l’espace public, malgré le respect de la distanciation physique.
Donc, nous aurions pu avoir l’impression, délicieuse, que, d’un coup, tout s’était arrêté. Que tout s’était ralenti, adouci, apaisé. Mais, depuis notre lucidité et esprit critique, notre corps de métier, nous avons l’intuition que ce confinement ne fut ni un point d’arrêt, ni une suspension temporelle, mais bien un déploiement, une mise sous les projecteurs, une exacerbation des iniquités sociales et une occasion de rogner une démocratie déjà maigrement participative et contributive.
Et le déconfinement ? Au vu des dernières annonces gouvernementales, vous avez probablement trouvé ce BEM, au format un peu spécial, dans son point de dépôt habituel… une association, un centre culturel et qui sait, un cinéma ! Mais les articles qui le composent n’en parleront pas. En effet, ils ont été écrits entre fin mars et fin mai et égrainent quelques faits saillants de cette curieuse période, dont on ignore si elle se reproduira dans les mois à venir. Le virus est encore là et l’option gouvernementale semble être de vivre avec, même si le terme « d’immunité collective » n’est plus jamais prononcé.
Sur le déconfinement… nous aurions voulu demander à ceux et celles qui ont écrit ces articles ou qui les ont inspirés… À Rabia, par exemple… Comment vois-tu ton déconfinement, toi qui milites depuis des années pour obtenir ton essentielle régularisation sur le territoire, pour pouvoir enfin te sentir citoyen à part entière et bénéficier enfin des droits de ceux que tu dis « bien-nés » ? Comment voyez-vous votre déconfinement, vous, les commerçants de la rue de Stalingrad qui, en plus de subir le chantier de la station d’un hypothétique Métro 3, avez dû fermer vos restaurants des mois durant ? Comment voyez-vous le déconfinement, vous les habitants, isolés ou en comité de quartier, qui voyez poindre des demandes de permis d’urbanisme, des masterplans qui pourraient totalement modifier ou dégrader vos environnements, vos habitudes ? Comment voyez-vous le déconfinement, vous qui habitez dans des logements à peine bons à « dormir » où vous avez été confiné·es H24 avec votre famille, vos colocataires ? Comment voyez-vous le déconfinement, vous qui vous êtes endettés pour payer des loyers exorbitants devenus impayables depuis que vos salaires sont à moitié ou au trois quart impayés ? Et vous, artistes, intérimaires, travailleurs en titre service, travailleurs à la course ou à la pièce, à l’heure ou à la journée… Comment voyez-vous le déconfinement alors que la plupart de vos contrats ont été gelés ou suspendus ? Comment voyez-vous votre déconfinement, vous qui vous inquiétez d’un déploiement subit de la 5G light motivé essentiellement par des impératifs technico-économiques ? Comment voyez-vous le déconfinement, vous qui, depuis vos métiers de soignants, perceviez déjà bien avant nous, les soignés, la catastrophe commune d’un système de soin organisé en termes de gestion des flux de patients, de personnel, d’équipement et de stocks ? Et vous, parents et amis d’Adil, percuté par une voiture de police banalisée, comment voyez-vous le déconfinement depuis Cureghem, votre quartier ? Adil, tu n’étais qu’un gamin sur une mobylette. Et, de ton vivant, en plein confinement, sous ta fenêtre, tu voyais passer les gens des hauts quartiers qui s’adonnaient détendus à leur séance d’exercice autorisé en suivant le canal à bicyclette.
Et nous, à IEB, comment voyons-nous ce déconfinement ? Un peu comme vous, certainement, vaguement mais avec cette certitude : rien n’est joué. Les scientifiques ne s’accordent pas encore sur le fonctionnement de ce foutu virus… Nous manquons de recul pour savoir si cette période inédite sera l’occasion de remettre en question les mécanismes qui accentuent la crise sociale, urbaine et environnementale. Certes, nous manquons de recul mais nous ne manquons ni d’exigences ni d’expériences… Et nous avons fait l’expérience à travers notre chair et celle de nos proches, d’un environnement moins pollué, mais au demeurant littéralement mortifère, à l’atmosphère suspicieuse, aux pratiques arbitraires et réalités inégalitaires. Nous exigeons donc que l’expérience des personnes affectées puisse former la base d’une refonte globale des orientations politiques à venir. Nous exigeons une société plus juste, plus équitable, une démocratie véritablement contributive, une société où justice environnementale, justice sociale et le droit à la ville coexistent réellement et non seulement ébauchés par de bonnes intentions.
Chargée de mission