Inter-Environnement Bruxelles
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Toutes les eaux de ruisseaux vont à la mer

On peut sans doute tirer plusieurs fils pour remonter le cours de l’histoire qui a amené à l’existence des États Généraux de l’Eau à Bruxelles (EGEB), mais il en est un qui probablement nous fera plus sûrement comprendre le sens de ce qu’ils veulent apporter. C’est le fil d’une histoire très vivante et pleine de rebondissements, une histoire d’habitants confrontés à des situations très concrètes d’inondations et de bassin d’orage...

Il était une fois une petite rivière invisible qui avait toutefois la mauvaise idée de se rappeler aux bons souvenirs de cette ville en débordant de son lit de béton : le Maelbeek. Longtemps des études ont été menées pour imaginer comment limiter son courroux. La solution proposée fut celle du bassin d’orage, une grande cuve de 33 000 m3 qui sert à retenir les eaux qui dévalent trop rapidement les pentes de la vallée. Depuis 1978, on a longtemps discuté de savoir où placer ce bassin d’orage. Sous les étangs, sous la place Flagey, ailleurs. Ce fut sous la place Flagey pour finir. Mais tel un serpent de mer, ce dossier apparaissait puis disparaissait. D’une certaine manière, on finissait par ne plus y croire, jusqu’au jour où, fin décembre 2002, le chantier devint imminent.

Le vide technique

Il restait un petit groupe de personnes [1] qui ne cessait d’alerter leurs voisins quant au montage peu démocratique du dossier. On se souviendra de la pratique du saucissonnage du dossier qui en était le fait majeur et amena à octroyer un permis d’urbanisme à un objet tronqué de nombre de ses éléments, tel ce « vide technique » qui par miracle se transforma en parking une fois ledit permis octroyé. Il paraissait clair pour certains habitants que trop de questions se posaient. Cet embryon actif donna naissance à un double mouvement.

Le premier s’incarna dans le Comité Flagey/Brasserie, disparu aujourd’hui, qui remit en question la construction du bassin d’orage essentiellement sur la base du montage peu transparent du dossier et d’études d’impacts sur l’environnement insuffisants. Des craintes légitimes existaient face au gigantesque chantier qui s’annonçait vraiment cette fois. Ce mouvement s’opposa au bassin d’orage. Il fut stigmatisé par les autorités de la commune d’Ixelles qui voyaient dans ce mouvement un manque de solidarité avec les populations moins nanties de la rue Gray qui subissaient les assauts de la rivière parfois ennemie. L’alternative était infernale : pour être solidaire avec les habitants qui subissaient les inondations, il fallait accepter un dossier mal ficelé qui pouvait occasionner des risques pour les biens des riverains du futur chantier.

Un autre courant d’action, moins visible dans un premier temps, ne pu admettre cette impasse conceptuelle. Il s’attacha à mener une recherche sur les alternatives au bassin d’orage pour diminuer les risques d’inondation. Très vite il a été découvert que les dispositifs tels que les bassins d’orage en zone urbaine n’avaient plus cours dans des pays comme l’Allemagne ou la Hollande. Bien que les deux approches se mêlaient, notre histoire suivra le fil de ce deuxième courant qui se retrouve être à la source des États généraux de l’Eau à Bruxelles.

Infiltrer, évaporer, ralentir

Les principes d’une approche écologique étaient simples et pour des non-experts, directement compréhensibles. Dans de nombreux cas, les inondations urbaines sont dues à l’imperméabilisation des sols toujours plus importantes [2]. Avalées par les égouts, sans rien pour les freiner lors des gros orages, les eaux ruissellent abondamment le long des pentes pour aller s’accumuler là où les goulots s’étranglent... La vallée du Maelbeek, parfois encaissée, est un bel exemple de cette situation où lors de gros orages le débit des eaux arrivant est plus important que celui des eaux sortantes.
On nous expliqua alors fort logiquement que pour remédier à cela, il faut diminuer les eaux d’écoulement. Dès lors, il ne faut pas traiter les inondations là où l’eau s’accumule [3], mais là où elle tombe — c’est-à-dire sur tout le bassin versant [4] — en infiltrant l’eau, en permettant qu’elle s’évapore, en ralentissant de multiples manières son écoulement. Les dispositifs et les techniques qui le permettent sont nombreux. Les images de villes qui avaient ailleurs tenté l’expérience montraient tout le profit que l’on pouvait tirer de ces pratiques. Il ne s’agissait pas seulement de désimperméabiliser les sols, mais de penser une ville qui renouait avec l’eau, ses cycles de vie et la nature. Il s’agissait de penser autrement la ville dans une solidarité de bassin versant.

L’on voyait directement la portée d’une telle approche qui ne laisse plus l’ingénieur seul pour trouver des solutions. A une solution technique centralisée et demandant de gros moyens financiers, on pouvait substituer une approche que l’on peut qualifier de participative où chacun est convié à penser son environnement, à penser la ville. A l’invitation du collectif Parcours citoyen, une première Assemblée des gens du Maelbeek de plus de cent personnes fut réunie lors d’une soirée de rencontre intitulée Eaux amies ou rivières ennemies [5]. Lors de ce moment d’éducation populaire, Riccardo Petrella, entre autres, nous y apprenait déjà — tel un visionnaire — que le dispositif des bassins d’orage à Bruxelles et surtout celui de la Station d’épuration Nord en chantier devaient être vu comme un coin de la privatisation de la gestion de l’eau.

Eau Zone à investir

Mais notre double mouvement fut bloqué net. Les accords de majorité avaient scellé dans le béton armé la construction du bassin d’orage. Ils ne pouvaient plus être défaits et à cette époque, même Inter-Environnement Bruxelles avait dissuadé le mouvement des habitants de se mobiliser. Tout est joué était-il dit. S’il y eut un frein, le mouvement ne s’arrêta pas pour autant et plus tard, il obtint même la reconnaissance de divers acteurs, dont la Municipalité de Lille qui avait pu voir dans le mouvement d’habitants une source d’inspiration pour elle-même. Des professeurs de l’ISA La Cambre ont également proposé diverses rencontres avec les étudiants pour étudier ce phénomène qui avait tant bouleversé la vie du quartier. A travers ces rencontres, il apparaissait clair que la démarche devait être poursuivie : il fallait comprendre que de tels outils centralisés s’usent, qu’il était nécessaire de penser à de futures mesures compensatoires, mais surtout, que c’était un regard sur la ville qui était en jeu.

Les bases pour une relance du mouvement étaient en place et c’est lors du Festival Habiter que la Plateforme Eau Water Zone est née, plus précisément lors d’une nouvelle soirée de rencontre intitulée Eau Zone à investir [6]. Elle mis en place l’Appel à idées citoyen Open Source. Imaginons ensemble une ville où l’eau serait une amie [7]. Un processus de plusieurs mois avec des ateliers de travail, des conférences et surtout une exposition finale de tous les travaux. Des dizaines d’idées ont émergé, comme le désormais fameux Super Désasphaltico (un super Amigo), né autour d’une bonne bière. Il lui a été associé Asphaltor (le méchant) puis Ixelligator (le gentil dragon), autant de personnages hauts en couleurs qui firent partie de la Zinneke Parade 2008. Mais surtout trois idées forces sont sorties des ateliers qui continuent de creuser leur lit et forment ensemble Maelbeek dans tous ses Etats (MTSE). Maelbeek Mon Amour, est un projet artistique de grande envergure qui rappelle le tracé du Maelbeek disparu en proposant de placer 150 plaques d’égout créatives tout au long des 7,2 km de son cours. Le contrat des nouvelles rivières urbaines [8] est une manière de travailler collectivement à rendre l’eau plus visible dans la ville [9] et enfin les quartiers-pilotes sur la gestion de l’eau.

Lors de l’hiver 2009-2010, MTSE devenait toujours plus une réalité lorsque la question de l’eau fit la Une de l’actualité en Région de Bruxelles-Capitale. Aquiris, l’entreprise gestionnaire de la Station d’épuration Nord, arrêtait unilatéralement le fonctionnement de la station en renvoyant les eaux usées directement dans les égouts. On se rappelle le tollé. Ce qui était incriminé par Aquiris, c’était la qualité des eaux arrivant à la station : trop chargées en sable. Sans entrer dans les détails, on ne pouvait pas manquer de lire dans la déclaration de ce conflit au sein de ce PPP l’installation d’un rapport de force entre le privé et le public. STEP Nord était à Bruxelles, ce que le bassin d’orage était au bassin versant du Maelbeek : un sommet de la concentration technique nécessitant un grand apport financier. Dans ce conflit, il n’était pas sûr que le public en sorte renforcé, il ne serait pas sûr qu’un jour l’eau ne devienne pas un bien marchand. Nous étions confrontés à une nouvelle alternative infernale : l’eau ne pourrait être épurée et atteindre des normes écologiques acceptables que si le « capitalisme mondialisé » entrait dans la place.

La Région de Bruxelles à inscrit dans son Ordonnance cadre que l’eau « fait partie du patrimoine commun de l’humanité et de la Région de Bruxelles-Capitale. (…) Le cycle de l’eau est géré de façon globale et intégrée par le secteur public, dans le cadre d’un développement durable. Les services de l’eau sont d’intérêt général ». L’eau se devait donc de rester un bien commun, mais le dispositif pourrait se lézarder. Pour l’en empêcher, 
il apparaît qu’une alliance entre le public et le
 citoyen se devait d’être renforcée. Pour réfléchir
 à cette question, un appel était lancé pour créer
 des États Généraux de l’Eau à Bruxelles [10] par la 
Plateforme Eau Water Zone. La Ministre de l’environnement a entendu l’appel et a proposé que nous
 mettions en place ces États Généraux de l’Eau de 
manière contemporaine à l’enquête publique sur
 le plan de gestion, en 2011. Nous souhaitions les proposer pour 2013, histoire de bien se préparer.
 Mais après une longue discussion avec l’Institut
 Européen de Recherche sur la Politique de l’Eau
 (IERPE), nous étions convenu qu’il pouvait être 
intéressant de profiter de l’enquête publique sur
 le Plan Gestion de l’Eau [11], ce canal ouvert, pour
 contribuer à la politique de l’eau. Aujourd’hui nous 
y sommes. Les EGEB qui vivent une vie souterraine
 depuis plusieurs mois vont sourdre publiquement à
 partir de fin avril, en commençant par une masse
 critique. Tous les petits ruisseaux vont à la mer !


Dominique Nalpas
Parcours Citoyen


[1Nombre d’habitants se souviendront de feu Jean Meeûs qui fut l’un des derniers à alerter l’opinion de la médiocrité du projet soutenu par quelques membres de Parcours citoyen Ixelles.

[2A Bruxelles, la surface des sols imperméabilisés a doublé en 20 ans. Dans un pays comme la France, ces surfaces ont doublé en 10 ans.

[3La place Flagey fait 1 hectare.

[4Le bassin versant fait 900 hectares.

[5Le 1er février 2002 à l’ISA La Cambre.

[6Le 20 septembre 2006 à l’ISA La Cambre.

[7Le processus dura plusieurs mois de fin 2007 à juin 2008.

[8Voir article de Valérie Mahaut dans ce numéro spécial p.53.

[9Ce concept a été proposé par Valérie Mahaut (ingénieur-architecte d’Architecture et Climat) dans le cours d’Open Source. Elle en a fait une thèse de doctorat (UCL).

[10Lire le texte en page 21 qui a été publié une première fois dans le BEM n°233 de mars 2010.

[11Voir articles p.4 et 6 dans ce numéro.

Voix d’eau