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TREBEL rue Belliard - le PUL en dehors du PUL : les inconséquences d’un urbanisme de notables à l’obsolescence programmée

Mathieu Sonck et Marco Schmitt — 6 décembre 2012

Ce 4 décembre, la Commission de Concertation de la Ville de Bruxelles se réunit pour examiner la demande de permis pour le nouvel immeuble de bureau « Trebel » déposé par le promoteur immobilier ATENOR, très actif sur le territoire bruxellois avec des opérations immobilières éminemment controversées.

Encore un projet qui détruit le patrimoine

Le projet consiste en la démolition du siège de la banque BACOB qui a rejoint Dexia en 2001. Il a été vendu à plusieurs reprises pour aboutir dans le portefeuille du Groupe Atenor particulièrement actif dans le Quartier Léopold. L’immeuble de 18 258 m² a été construit au milieu des années 80 sur la rue Belliard et la rue de Trêves à proximité immédiate du chantier du Centre International de Congrès (actuellement Parlement européen) dont la BACOB a été l’un des 2 investisseurs de référence. Il a été vidé en 2005 et n’aura donc été occupé que 20 ans. Cet immeuble de prestige est certainement l’un des plus remarquables exemple architectural de la période postmoderne ; en rupture avec le style plus austère pratiqué par le Groep Planning précédemment, l’architecte Jan Tanghe a réalisé un bâtiment en prêtant une grande attention à l’histoire, la morphologie et la typologie du Quartier Léopold.

L’étude d’incidence ne peut d’ailleurs que constater cette situation : « Le bâtiment est considéré comme un témoin de qualité de l’architecture post-moderniste à Bruxelles, ayant développé de plus une approche innovante à l’époque du point de vue de sa conception énergétique ». Elle relève le souci du détail des architectes, « c’est ainsi que le mobilier, les luminaires, les boiseries ont été réalisés sur mesure et de manière unique ». A la lecture de ce document, on sent bien la gêne de l’auteur face à la disparition de ce patrimoine, c’est sans doute ce qui lui fait recommander une nouvelle visite de la DMS avant la destruction du bâtiment. Cependant, la notion de patrimoine ne peut plus se limiter à la qualité architecturale d’un immeuble, une démolition c’est surtout perdre irrémédiablement l’investissement énergétique qui a été nécessaire pour la réaliser.

Il est prévu de le remplacer par la construction d’un immeuble de bureaux de 32 325 m² avec 162 places de parking pour le compte du Parlement européen qui n’a décidément pas la reconnaissance du ventre. Son architecture résolument démonstrative est en rupture avec le caractère rectiligne d’un quartier que son prédécesseur avait pourtant observé avec plus d’attention. D’une certaine manière il impose dans le tracé régulier de la rue Belliard les ondulations insaisissables des façades du Parlement européen. De moins en moins Léopoldien et de plus en plus européen, ce projet poursuit le phénomène de distanciation qui caractérise l’ensemble des projets institutionnels et par conséquence déstructure la représentation que nous nous faisons collectivement d’un quartier historique et, chantier après chantier, nous en dépossède.

Encore un projet qui déroge à la réglementation bruxelloise

Voilà encore un projet largement dérogatoire au RRU qui traverse sans ombrage les barrières du service de l’urbanisme de la Ville de Bruxelles et qui ne semble plus avoir d’autres horizons que les caprices créatifs de quelques magnats de l’immobilier. Au-delà de la destruction d’un immeuble qui pourrait être réoccupé demain, il prévoit un doublement de la densité bâtie pour atteindre un rapport plancher/sol supérieur à 8 alors que la moyenne du quartier tourne autour de 4.

Ce projet est également en contradiction frontale avec le schéma directeur du quartier européen qui prévoit de préserver et de réimplanter du logement dans la zone [1]. Les rues de Toulouse et de Pascale sont pourtant les dernières rues de maisons traditionnelles du Quartier Léopold. Elles sont situées juste au nord et en contrebas du nouveau projet. On peut d’autant moins comprendre pourquoi nous devrions accepter une dégradation environnementale certaine (encombrement visuel, ombres portées, nuisances sonores, trafic induit…) là où il faudrait justement prendre appui sur un tissu existant pour redéployer le logement avec plus de succès. Il est remarquable que la rue Belliard est en général mieux connectée que la rue de la Loi aux quartiers avoisinants, elle se prête donc mieux à la diversification que le schéma directeur prône avec tant d’agitation.

Le rapport d’incidence fait constamment référence au Règlement Régional d’Urbanisme Zoné, qui non seulement n’a pas encore de statut juridique, non seulement a été recalé récemment pour sa non-conformité procédurale, mais qui en plus ne concerne que l’axe de la rue de la Loi et donc pas la zone concernée par ce projet. Après la tour Van Maerlant et le chapeau lumineux de l’Institut Eastman, voilà donc une nouvelle conséquence supplémentaire du PUL en dehors du PUL. Les garanties proclamées pour calmer la précipitation spéculative se fissurent déjà et les dominos tombent les uns après les autres. Et puisqu’il faut bien se défendre d’associations qui se défendent, la Région n’est pas en reste puisqu’elle s’est faite la promotrice acharnée d’un Plan Particulier d’Aménagement du Sol (PPAS) qui permettra de régulariser fort opportunément les dérogations pas seulement exigées par le projet TREBEL. Et voilà comment on tente de réaliser tout de suite sur la rue Belliard ce qui n’est prévu qu’un jour pour la rue de la Loi.

La coordination Europe n’a d’autre choix que de refuser catégoriquement de telles méthodes et un tel opportunisme. Il favorise les projets démesurés des plus puissants au détriment de tous les autres, il nous dépossède de ce pour quoi nous avons lutté pendant 40 ans, il donne à penser une connivence insupportable entre intérêts privés et pouvoirs publics, ils rendent incompréhensibles non seulement les politiques urbanistiques au niveau local mais aussi le projet européen si tant est qu’il s’agisse encore de rapprocher les citoyens de leurs institutions.

Encore un projet démesuré, taillé sur mesure pour le Parlement européen

Le projet TREBEL est taillé sur les mesures du Parlement européen qui cherche en urgence un bâtiment pour y loger les bureaux supplémentaires dont il a impérativement besoin à proximité immédiate de son siège actuel. Le terrain de l’ancienne BACOB est idéalement situé de l’autre coté de la rue Belliard, en face de la dalle du Parlement européen. Le nouveau projet prévoit la construction à terme d’une passerelle qui le reliera au parlement européen par dessus la voirie.

Alors que la vacance locative des bureaux situés dans le quartier européen n’a jamais été aussi importante et qu’il serait donc possible de répondre aux besoins des institutions européennes par la rénovation, il est frappant de constater le recours exclusif à la densification, au détournement systématique du droit commun et à une dégradation environnementale supplémentaire des habitants du Quartier Léopold là où ils sont encore présents. « Le quartier européen constitue le plus grand stock de bureaux de la RBC. Il affiche l’un des plus importants taux régionaux de vacance de bureaux » [2] et la raison en serait la mauvaise qualité. En toute logique, leur rénovation serait d’autant plus pertinente.

Sous la pression des enjeux internationaux voire d’un chantage exercé subrepticement, les pouvoirs publics bruxellois offrent sans résistance ce qu’il serait impossible d’accorder au commun des citoyens européens, ils autorisent une situation de concurrence déloyale, permettent à une entreprise privée de générer des profits démesurés et grèvent à terme des budgets publics en crise. Tout cela ne peut que dégrader un peu plus l’environnement du Quartier Léopold. Compte tenu du contexte économique qui est le nôtre aujourd’hui, cela ne peut que détériorer aussi l’idée que nous nous faisons encore de la capacité publique de gérer avec mesure les territoires auxquels nous appartenons.

Encore un projet qui détériore l’environnement

L’étude d’incidence évalue l’équilibre du projet d’un point de vue « bilan carbone » au bout de 20 ans d’occupation.

Cette évaluation est erronée. D’après nos calculs, basés sur les mêmes hypothèses (guide méthodologique de l’ADEME) que celles faites dans l’étude d’incidence, il faudrait plus de 150 ans pour compenser les 6 000 t CO2 qu’induisent la démolition du bâtiment existant et la construction du nouveau bâtiment.

Encore un chantier, toujours des chantiers

L’impact de chantiers de grande dimension est loin d’être négligeable sur la dégradation de l’environnement urbain du Quartier Léopold. Si le Projet Urbain Loi devait se réaliser, nous voilà repartis pour plusieurs dizaines d’années de nuisances supplémentaires alors que nous les avons déjà subies depuis 40 années. Plus que la qualité médiocre d’une grande partie des espaces publics, ce sont tous ces chantiers qui sont les plus lourds à supporter pour les riverains et les usagers. Il est dès lors assez vain de nous parler de la transformation de ces espaces publics si cela doit se faire au prix de 40 années de chantiers supplémentaires.

La traversée du Quartier Léopold en révolution permanente n’est pas chose facile pour le piéton ou pour le cycliste et même pour l’automobiliste. Il suffit de se promener au droit des chantiers van Maerlant ou Conseil européen pour se rendre compte de l’énorme impact négatif de ceux-ci sur l’espace public surtout s’il s’agit en plus d’un accès routier important vers ou depuis le centre ville. Comme il n’est bien évidemment pas question d’envahir ni la rue de Trêves (la seule artère traversante Nord-Sud du QL) et certainement pas la rue de Toulouse qui est encore habitée, il faudra changer les habitudes et ne plus faire peser sur l’espace public les installations des chantiers privés. A l’instar de ce qui avait été mis en place pour le chantier du Parlement européen entre l’AQL-SEL en 1988 (voir annexe), nous demandons que tout nouveau grand chantier dans le quartier Léopold soit l’objet d’un accord-cadre qui permette de mieux gérer leur conséquences sur l’environnement urbain ainsi que sur la qualité de vie des riverains et usagers (internaliser les coûts et les nuisances externes).

Encore un projet qui va nous coûter cher

A l’occasion de l’enquête publique sur le cahier des charges de l’étude d’incidence, nous avons découvert qu’il regorgeait de considérations économiques qui semblaient justifier l’ampleur du projet. Nous l’avons donc évalué le plus précisément possible de ce point de vue également. [3]

Pour rappel, il était réclamé que la lumière soit faite :

  • sur l’incidence foncière,
  • sur le prix à la rénovation,
  • sur le prix de l’éventuelle destruction du bâtiment existant
  • sur le prix de la construction du nouveau bâtiment
  • sur le prix de vente escompté
  • sur le coût de toutes les alternatives imposées par l’étude d’incidence.

Nous saluons, l’effort fait par l’auteur de l’étude pour nous donner, même assez partiellement, quelques éléments d’analyse. Le coût de construction du nouvel immeuble serait d’environ 53 millions d’euros. Il n’y a pas d’informations sur le prix du terrain. La valeur de revente du bâtiment n’est pas évaluée, alors qu’il est évident qu’ATENOR ne va pas garder l’immeuble en gestion. Les revenus locatifs sont par contre évalués, dans la fourchette basse de ce qui constitue le haut du marché, soit 197€/m²/an [4].

Ces chiffres permettent néanmoins d’évaluer grossièrement la marge brute du projet. On peut considérer que la valeur à la revente du bâtiment neuf est équivalente à 20 ans de revenus locatifs, soit environ 120 millions d’euros. La contribution du promoteur à la redistribution de la richesse pour la collectivité s’élève, selon l’étude d’incidence, à 125€/m² brut « dérogatoire », soit 1 750 000€. La part de la plus-value brute [5] (hors frais accessoires) captée par la Ville est donc de 3,5%. La coordination Europe invite la Ville à prendre la mesure de ce chiffre. La coordination Europe demande par ailleurs quel usage sera fait de cette bien maigre ‘dringuelle’.

L’étude d’incidence évalue par ailleurs le coût de rénovation du bâtiment existant, en reprenant à son compte l’évaluation faite par un précédent candidat promoteur à 5 à 6 millions d’euros hors TVA. Un chiffre contesté aussitôt, sans avancer le moindre argument objectif. Quand bien même ce chiffre serait sous-évalué, on constate que la rénovation est nettement moins coûteuse.

L’étude d’incidence exclut la construction de logements sous prétexte que ceux-ci ne seraient pas commercialement rentables. La coordination Europe rappelle que ces logements ne doivent pas forcément être « rentables », d’autant que la marge du projet est par ailleurs très confortable et que la demande en logements sociaux est suffisante que pour justifier la mixité du projet.

Pour finir, l’étude d’incidence exclut la réduction du nombre de parking sous prétexte d’une incidence non négligeable de cette alternative du point de vue de la rentabilité économique du projet. Cette influence est non chiffrée et donc irrecevable. Par ailleurs la récente l’étude de mobilité du quartier européen indique assez clairement, même dans le cas où les scénarios les plus optimistes seraient mis en oeuvre (réduction de 20% de la pression automobile du plan IRIS + mise en oeuvre du péage urbain, on peut toujours rêver) la grande difficulté à réduire la pression de l’automobile surtout dans la partie Sud du Quartier Léopold aux abords du Parlement européen. Nous rappelons également que le parking sous l’immeuble D3 du Parlement européen n’est pas entièrement occupé suite à un recours. Il avait été démontré que la circulation dans les rues avoisinantes, en particulier sur la rue Belliard, aurait été sinon entièrement saturée à la pointe du matin et surtout à la pointe du soir. Rien que sur l’aspect de la mobilité, le projet TREBEL nous semble bien éloigné des réalité d’un quartier entièrement saturé.

Conclusion : Quartier Léopold ou quartier européen, patrimoine ou obsolescence

Quand le Quartier s’appelle Léopold, alors la notion de patrimoine permet encore de caractériser un morceau de ville profondément inscrit dans les représentations collectives bruxelloises. Quand le même quartier n’est plus qu’européen, il semble se réduire à un ailleurs insaisissable, sans cesse obsolète, programmé pour qu’il ne puisse jamais être approprié. Il est d’ailleurs assez curieux qu’en dehors du territoire bruxellois, on ne parle pas de l’action de l’Europe, mais de “Bruxelles qui décide“ comme s’il fallait à tout prix projeter dans un autre part indéchiffrable ce dont nous ne sommes plus capables de nous saisir. Un Quartier Léopold qui devient européen pour ne plus être bruxellois et “Bruxelles qui décide“ pour nous laver les mains de ce que nous ne contrôlons plus, voilà donc le Far-West qu’on nous propose, qu’il s’agisse du développement d’un quartier “où les évolutions urbanistiques s’attachent à traduire au mieux les évolutions de notre société“ ou qu’il s’agisse des institutions que nous nous sommes données afin d’échapper à ce qui nous avait poussé à tant nous haïr. Le débat sur les mots n’est donc pas si vain, il recouvre des réalités paradoxales qui n’ont pas grand-chose à voir avec la nostalgie d’un passé révolu, mais bien avec un avenir qui incombe et qui n’est ni compris et encore moins partagé par un citoyen désorienté qu’il soit bruxellois ou européen.

Alors que la notion d’obsolescence semble être la nouvelle révélation qui permettrait de relancer la machine à spéculer sur le territoire bruxellois, par cette note nous nous sommes penchés sur la question du patrimoine qui n’est pas seulement à considérer pour l’ancrage historique qui nous permet de nous orienter encore, mais également en tant qu’investissement énergétique, celui que nous avons consenti en période d’opulence et que nous nous devons de traiter avec beaucoup plus d’attention lorsque nous sommes en crise.

Dans un quartier où l’on affuble un bâtiment remarquable situé dans un site classé d’une choucroute lumineuse de 3 étages et où l’on démolit un autre bâtiment remarquable qui n’a même pas été occupé 20 ans, on peut se demander si la question du bilan carbone ne serait pas devenue une bonne manière d’appréhender une réalité qui ne semble pas avoir été bien comprise par un secteur de l’immobilier aux appétits féroces et particulièrement dépensier.

Nous posons donc la question : oui ou non pouvons-nous nous permettre aujourd’hui de détruire sans mesure notre patrimoine en dépensant sans compter ce qui coutera de plus en plus cher ? Il ne s’agit pas seulement d’énergie ou de gros sous, mais aussi de ce qui nous attache encore à nos territoires.

Nous nous opposons donc à ce projet :

  • aux dérogations ni nécessaires, ni acceptables (un permis accordé dans ces conditions constituerait une jurisprudence inacceptable qu’il conviendrait de combattre par tout moyen légal) ;
  • qui exclut la rénovation d’un ou plusieurs bâtiments vides du quartier européen pour répondre aux besoins du parlement européen ;
  • qui implique une augmentation de la densité inutile (sauf au promoteur : 49 millions d’euros ou 92% de marge brute !) et inefficace d’un point de vue environnemental (plus de 150 ans avant un retour environnemental positif) ;

… et prions la commission de concertation de la Ville de Bruxelles de remettre un avis défavorable.


[1Étude d’incidence, p 3-11.2

[2Etude d’incidence, 2-11.21

[3Cahier des charges de l’étude d’incidence, p 29 : « il analysera les incidences sociales et économiques des améliorations proposées par ailleurs dans les autres domaines d’incidences. Il chiffrera grossièrement les recommandations formulées dans les autres domaines (en absolu et en temps de retour sur investissement). »

[4Notons à cet égard la contradiction d’un promoteur qui vente la haute qualité de son bâtiment, implanté dans la quartier le plus cher de Bruxelles...

[5Soit 120 millions – 53 millions = 67 millions d’euros, dont il aurait fallu déduire le prix payé par le promoteur pour acquérir le bâtiment de la BACOB mais ce chifre est gardé secret. Nous pouvons faire cet exercice et valoriser le bâtiment « BACOB » à 1000 euros/m², la marge serait donc de 49 millions d’euros.