Samy Hadji – Octobre 2015
En août 2015, la place Saint-Lazare s’est vue décerner le titre peu glorieux de « place la plus laide de Belgique » par les internautes du Standaard. Une situation à laquelle les autorités communales de Saint-Josse veulent remédier en aménageant une toute nouvelle place publique au pied des futures « Sylver Towers » et surtout en réaménageant une série de connexions avec les quartiers commerçants adjacents que sont la rue Neuve et la rue du Brabant. Analyse d’un programme et de ses conséquences.
Petite enclave située dans le quartier de Brabant (côté commune de Saint-Josse) entre les territoires de Bruxelles-Ville et de Schaerbeek, la place Saint-Lazare, adossée à la sortie de la jonction Nord-Midi, souffre de son isolement et de sa vocation essentiellement circulatoire. Mais aujourd’hui, la Commune voit également sa situation géographique comme un atout sur lequel s’appuyer dans l’espoir de donner un nouveau visage aux lieux. Elle entend par ailleurs profiter de la construction des « Sylver Towers » et des employés de bureau qui iront avec pour opérer ce re-lifting. Une transformation qui ne sera certainement pas sans conséquences sur les habitants et les commerces de ce quartier populaire.
À la croisée des chemins
Situé à la jonction entre le boulevard Saint-Lazare et la rue de Brabant, la place Saint-Lazare est aujourd’hui réduite à un important axe de circulation Nord-Sud permettant de rejoindre d’un côté la gare Centrale et le centre-ville par le boulevard Pacheco et de l’autre côté de la gare du Nord ainsi que les rues de Brabant et d’Aerschot. En plus de cet axe nord-sud, les lieux sont traversés par trois autres voiries passant sous les voies de chemin de fer et permettant la jonction avec la place Rogier et la petite ceinture.
Autant dire que les lieux sont actuellement peu accueillants et plutôt bruyants, mais la Commune de Saint-Josse entend convertir cette portion de territoire « vide » en profitant justement de cette situation géographique. Prise en tenaille entre les deux zones de chalands les plus fréquentées de Bruxelles que sont la rue Neuve et la rue de Brabant, la place sera bientôt réaménagée pour que les gens s’y arrêtent, voire pour qu’ils y viennent. C’est du moins la volonté de la Commune qui, en dehors du réaménagement de la place elle-même, a planifié le réaménagement des connexions afin de les rendre plus agréables et plus « sûres ».
Pour opérer cette « connexion » entre la rue de Brabant et la rue Neuve, la Commune mise sur l’utilisation d’un pavement au sol similaire à celui de la place Rogier, ceci afin de créer une continuité visuelle qui sera accentuée par l’installation de luminaires adaptés. Sous le regard bienveillant des caméras de surveillance toutes neuves, les piétons pourront dès lors circuler en toute quiétude sous les feux des lampadaires. Une attention particulière sera d’ailleurs réservée aux modes doux, afin de favoriser les aller et venue entre ces différents lieux.
Mais ce que la Commune oublie de dire, c’est que malgré leur proximité géographique, la rue Neuve et la rue de Brabant n’ont pas grand-chose en commun. L’une, vouée à la consommation de masse, concentre les grandes enseignes et les chaînes de distributions internationales tandis que l’autre, tournée vers les quartiers populaires aux alentours, déploie une offre importante de petits commerces de détail. Ces deux espaces, à la fois proches mais différents, n’offrent donc pas les mêmes produits, mais surtout ils n’attirent pas le même public.
Dans l’autre sens, sur l’axe Nord/Sud, toute la vallée vers le boulevard Pacheco sera plantée de Séquoias de Chine, tandis que la couverture de la petite ceinture pour créer une connexion directe entre le Jardin Botanique et l’ancienne Cité Administrative de l’État, telle que prévu dans le schéma directeur Botanique [1], n’est manifestement pas tout à fait mise aux oubliettes et viendrait compléter le programme.
Un parvis à destination des tours ?
Le réaménagement projeté sur la place elle-même concerne une zone assez étendue et vise à transformer le lieu en une esplanade partant du square Victoria Régina pour se terminer au coin de la rue de Brabant et de la rue d’Aerschot. Il s’agira en somme d’un véritable parvis au pied des futures Silver Towers. La place Saint-Lazare bénéficiera des mêmes pavés en brique de couleur brune toujours dans cette idée de créer une continuité visuelle avec les autres zones connexes.
Les voies de circulation routière y seront réduites de sorte à créer un espace plus accueillant. L’ensemble de la circulation a été repensée pour que la mobilité douce soit mise à l’honneur et ainsi permettre un déplacement plus libre des piétons et des cyclistes. Le réaménagement prend d’ailleurs en compte les contraintes imposées par le passage de l’ICR 01 (Itinéraire Cyclable Régional numéro 01) [2]. Par contre, compte tenu de l’important dénivelé de cette vallée, l’aménagement prévu n’a pas pu être optimalisé pour les personnes à mobilité réduite qui se verront contraintes de slalomer de part et d’autre de la place.
Mais encore une fois, on est en droit de se demander qui seront les bénéficiaires de tous ces investissements publics ? Les bandes de circulation automobiles seront réduites à une voie certes et cela participera grandement à l’amélioration globale du cadre, mais lorsque l’on examine les choses de plus près, on se rend vite compte que tout est fait pour les futurs employés de bureau et les gens de passage et peu à destination des habitants.
Et de fait, les boucles de circulation ont été envisagées non pas pour rendre l’accès des riverains à leur quartier plus aisé, mais surtout pour faciliter l’accès des usagers des tours de bureaux. Plusieurs dizaines de places de parking riverains ont été supprimées en surface pour être déplacées vers le parking payant souterrain de la place Rogier. Un parking dont on peut parier que les habitants du quartier ne feront pas usage. Et pour ce qui est des stationnements pour vélos, ils sont prévus uniquement aux pieds des tours, c’est-à-dire à l’opposé des habitations du quartier. Pour finir, si l’on élargit les trottoirs, on se rend compte que ce sera in fine pour y installer de l’horeca et lorsque l’on voit quels sont les exploitants qui se montrent intéressés par le projet, on comprend vite que ce qu’on va nous servir, c’est une série de cafés plus ou moins « branchés » à destination des employés de bureaux ou d’autres gens de passage.
Un vecteur de transformation plus large des quartiers ?
Les ambitions de la Commune sur la place Saint-Lazare sont donc claires : amener un nouveau public plus nanti. Mais cette volonté de transformation dépasse en réalité le seul périmètre de la place. Non seulement, on l’a vu, l’ensemble des axes qui y mènent sont concernés, mais plus largement encore, c’est tout le bas de Saint-Josse qui est visé. Or, si cette commune est bien la plus pauvres de la région bruxelloise et même de Belgique, le quartier Saint-Lazare est lui un des plus pauvres de la commune. Sur un territoire d’un kilomètre carré, on y rencontre la population résidente la plus dense, la plus jeune, la plus métissée et disposant du revenu par habitant le plus faible de la région.
Ce réaménagement de la place Saint-Lazare n’est en réalité qu’une étape dans le réaménagement global du quartier avec son corollaire, l’éviction probable de ses habitants les plus pauvres. Le tout, dans un premier temps au bénéfice des usagers qui y transitent quotidiennement. Ceux-là sont aujourd’hui essentiellement des fonctionnaires et des employés de bureaux et bientôt sans doute les clients des futurs établissements de la place et de ses alentours.
Mais l’impact risque d’être plus important encore sur le quartier. Qu’adviendra-t-il des commerces de la rue du Brabant ? Et qu’adviendra-t-il des travailleuses du sexe de la rue d’Aerschot ? Pour ne parler que de ces dernières, le Conseil communal a récemment adopté un nouveau règlement de police relatif à la prostitution en vitrine ainsi qu’un règlement communal d’urbanisme portant sur les lieux de prostitution en vitrine, qui s’inspire du modèle anversois. Dans ce nouveau texte, on trouve notamment l’interdiction d’exploiter des salons en vitrine et des carrées entre 23h et 7h, ainsi que le dimanche. Ces mesures augmentent le risque que le tapinage en rue soit beaucoup plus présent et constitue un facteur de précarité supplémentaire pour toute une série de travailleuses du sexe. Mais Saint-Josse n’est pas la seule à vouloir prendre cette voie. La commune de Schaerbeek a également modifié ses règlements en la matière, ce qui a d’ailleurs provoqué un départ d’une partie des prostituées vers Yser sur le territoire de Bruxelles-centre. Par ailleurs, le nouveau siège de Polbru va venir s’installer au croisement de la rue des Plantes et de la rue de la Prairie. La commune ambitionne, à terme, d’y créer un piétonnier de la prostitution semblable à celui d’Anvers. De toute évidence, il y a là aussi une volonté claire de la part des deux communes d’améliorer le cadre et de cantonner les nuisances de certaines activités à des périmètres bien précis. Sans doute pour ne pas entraver la transformation des zones adjacentes.
Conclusion
Ce réaménagement concerne de près ou de loin tous les usagers du quartier et remet en question toutes les habitudes, fonctionnements et les déplacements au quotidien. Mais, ce sont essentiellement les habitants qui risquent d’être profondément touchés par ces modifications. En effet, ce projet qui est présenté comme durable et aurait pour finalité la réappropriation des quartiers par les habitants, s’avère en réalité un nouvel aménagement à l’attention principale des personnes de passages et des nouveaux venus. La crainte que cela conduise à une éviction de la population la plus précaire est tout à fait fondée.
Quant aux déplacements, IEB avait déploré en commission de concertation, entre autres, que la mobilité ne soit pas pensée davantage vers et pour le quartier, plutôt qu’en vue de garantir l’accessibilité des tours de bureau existantes et à venir (tour IBM, Silver Towers, etc.), des hôtels et des parkings (Rogier, Pachéco, City 2, etc.). IEB avait par ailleurs regretté que les projets culturels (départ des Ateliers Klaus, de la TAG Gallery, etc.) soient abandonnés au profit de l’Horeca, mais comme trop souvent, rien n’y a fait, nos remarques et craintes étant rejetées en bloc.