La publication de ce livre/projet, c’est la participation des Éditions du Souffle, après moult livres-diagnostics, à la construction d’alternatives (qu’elles soient politiques, culturelles, sociales, artistiques...) et au relais des nouvelles émergences qui foisonnent à Bruxelles.
« Les gens plus forts que le lieu » [1]
Empowerment : « Il s’agit d’une des ambitions du projet : être susceptible d’être évalué par les appétits qu’il suscite, les manières par lesquelles il peut littéralement entrer, prolonger, amplifier, intensifier des intérêts variés, bref les manières par lesquelles il participe du déploiement de pouvoirs d’agir (empowerment). Il ne s’agit pas d’une version fade de la participation – inviter à utiliser un lieu parmi d’autres comme surface disponible ou attendre que d’autres ‘s’en servent’ – mais de saisir la rencontre avec le lieu selon son appétit, c’est-à-dire selon le type d’appétit engagé. » David Jamar (lire « Prises de contact »)
Parce qu’un des points d’ancrage de « Réouverture des Halles de Schaerbeek », c’est la vitalité des quartiers bruxellois, plus particulièrement ceux du nord pour ce qui nous concerne, et qu’ils n’existent pas ou tellement peu dans les institutions culturelles bruxelloises. La ville est loin d’être aussi vide que les salles de spectacles et c’est dans le sens d’une réappropriation des lieux de cultures qu’il s’agit de souffler.
Les Halles de Schaerbeek, tout d’abord, parce qu’il faut se rappeler qu’au début, le projet des Halles était celui d’une place publique vivante et indisciplinée. 41 ans et de grosses rénovations ont rendu ce lieu bien hermétique et en ont restreint les usages. Le bureau d’architecture V+ sur notre invitation a opéré, calculé et estimé une « dé-rénovation » radicale des Halles afin de les rendre plus ouvertes, en enlevant des portes, des murs, des cloisons. Cette « dé-rénovation » organisée « collectivement » transforme les Halles, en démultiplie les usages et les rend plus polyvalentes et plus en prise avec leur territoire.
La grande halle peut renouer avec son usage premier en abritant un grand marché mais également accueillir des spectacles en journée. La petite halle devient la cafétéria dans laquelle il s’agit de mettre à l’honneur la cuisine des mères du quartier, véritable patrimoine qui n’a pas encore de lieu de transmission. La petite halle pourrait également redevenir un haut-lieu du théâtre jeune public. L’entresol qui s’y prête parfaitement garderait les usages actuels, soit des concerts et des présentations nocturnes. La maison mitoyenne qui sert actuellement de bureau devient le siège de groupes de travail qui s’articulent en pôles et abordent chacun des questions urgentes que nous avons identifiées.
Pôle Arts et Narrations. Un pôle pour questionner le décalage entre le niveau d’excellence technique des artistes contemporains toutes disciplines confondues et le peu de nouveautés dans le domaine ; pour retisser des liens entre art et lutte sociale, et en inventer de nouvelles formes.
Pôle Colonial et Post-colonial. Pôle majeur tant l’urgence en la matière est grande.
Il s’agit ici d’entamer un chantier sans précédant, constituer une archive des mouvements et musiques urbaines et des questions coloniales et post-coloniales.
Pôle Stratégies digitales. L’informatique a aujourd’hui une place primordiale dans nos vies et ses effets sont innombrables à tous points de vue. Le travail à mettre en œuvre est très large que ce soit pour penser les questions de libertés et de contrôle, les nouvelles formes de subjectivités liées aux jeux vidéos ou encore la place et les effets des réseaux sociaux.
Pôle Écologies et Résistances. Penser les luttes écologiques différemment en les reconnectant à des enjeux sociaux. Il s’agit de « mettre en commun des cultures d’opposition et d’alternative, de réaliser un vaste programme de transmission de l’histoire des luttes ».
Par la coexistence de ces groupes n’ayant ni les mêmes priorités ni le même calendrier [2], ce projet entend réunir des luttes sur un territoire commun, sans mise en concurrence ni adhésion à priori. On peut penser que des alliances ponctuelles et éphémères pourraient voir le jour grâce à cet agencement mais ce n’est pas une finalité en soi. Il est urgent de prendre conscience que les individus, les communautés et les institutions, qui se croisent – voire qui s’entrechoquent – dans notre capitale, vivent dans des espaces-temps décalés, et que la raison d’être d’opérateurs culturels tels que Les Halles de Schaerbeek repose sur l’invention de territoires créateurs d’équilibre entre les personnes [3].
Le projet de Réouverture des Halles de Schaerbeek existe aujourd’hui dans un livre qui contient trois textes, des dessins du projet ainsi que les plans détaillés de la dérénovation mais également dans sa prolongation numérique www.editionsdusouffle.be/ books/ 111/ reouverture-des- qui a pour objectif de rassembler contributions et commandes pouvant nourrir la réflexion et la mise en œuvre de la dérénovation des Halles.
Céline Serrad
Éditions du Souffle
[1] « Le lieu existe plus fort que le spectacle et les gens plus fort que le lieu », Jo Dekmine, Projet d’animation dans les Halles de Schaerbeek, 1972.
[2] Voir Houria Bouteldja, « De l’importance stratégique des discordances temporelles – Universalisme gay, homoracialisme et ’mariage pour tous’ ». http://indigenes-republique.fr/ category/ houria-bouteldja/page/6/.
[3] « Manifeste pour une culture des possibles », interview de Marianne Van Leeuw Koplewicz par Lamia Mechbal, Bruxelles, 2014. http://ouverturedeshalles.be/2014/11/20/manifeste-pour-une-culture-des-possibles-entretien/.