Inter-Environnement Bruxelles
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Relancer, mais relancer quoi ?

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Les mesures de relance économique qu’appelle la crise sanitaire semblent emprunter aux vielles recettes.

© Olivier Spinewine & Jiacinto Branducci - 2020

On injecte des liquidités dans le secteur financier, on soutient les multinationales dont les industries extractives, on projette de construire ou d’agrandir des aéroports, on gonfle la capacité des ports industriels. Autant dire que l’avalanche d’appels à changer de cap portés par la « société civile » pendant le confinement n’a pas atteint les autorités publiques autant que leurs conseillers en relations publiques.

Cette reconduction du même concerne également l’aménagement du territoire en région bruxelloise, qui vise plutôt les attentes du secteur privé que les besoins de la population, notamment en termes de logement. Or, les programmes de relance élaborés suite à la crise de 2008, en abreuvant banques et fonds d’investissement de liquidités notamment réinvesties dans le marché du logement, témoignent qu’une telle orientation, parce qu’elle nourrit la hausse du foncier et de l’immobilier, effrite le droit à l’habitat des Bruxellois.

Le salut arrivera-t-il du secteur privé ?

Depuis quelques années, ce « développement » urbain se donne notamment à voir dans les Plans d’aménagement directeur (PAD). Instauré au motif de faciliter les projets immobiliers, le PAD constitue un dispositif dérogatoire au droit de l’urbanisme qui de surcroît marginalise la population. Quelle « participation » escompte-t-on quand sont soumis à enquête publique, parfois simultanément, des documents-fleuves largement établis en amont ? Comment s’étonner, dès lors, que la rafale de PAD essuyée par les Bruxellois ait provoqué une telle levée de boucliers ?

À la gare de l’Ouest, c’est notamment la faible attention portée par le PAD aux équipements collectifs et aux espaces verts qui a cristallisé le mécontentement des habitants et associations. Crèches, écoles, maisons de quartier, locaux communautaires : autant d’oubliés de ce programme immobilier en terrain populaire frappé par la précarité et la sur-occupation des logements. Certes, le PAD prévoit du logement public à 80 %, dont 20 % de logements sociaux. Mais l’essentiel étant du logement acquisitif subventionné qui après vingt ans pourra tomber dans l’escarcelle du marché, le caractère public du projet est somme toute bien relatif. Du reste, les habitants, dont les revenus sont bien inférieurs à la moyenne régionale, sont-ils en mesure de prétendre à un emprunt immobilier ?

Coulés dans un PAD ou non, les projets immobiliers pilotés ou soutenus par les pouvoirs publics sont justifiés au nom d’un « boom démographique » dont on attend toujours la détonation. C’est ainsi que le long du canal plusieurs quartiers sont voués à être densifiés... aussi denses soient-ils déjà. Molenbeek, par exemple, connaît une multiplication de projets immobiliers qui négligent, là aussi, les besoins en équipements, sans compter leurs effets cumulés en termes de mobilité. L’axe du canal s’offre ainsi comme le lieu privilégié d’un urbanisme par projet aveugle aux caractéristiques sociodémographiques des quartiers qu’il cible. Aveugle, donc, aux habitants déjà-là, déjà en souffrance, celles et ceux qu’on rêve de voir remplacés par des ménages « contributifs ».

Le champ « bruxellois » de la mobilité, lui aussi, emprunte également aux vieilles recettes, celles qui sentent le béton. « Bruxellois » avec guillemets, parce que si le « réaménagement » du ring nord est porté par une Région flamande soucieuse de renforcer ses poumons économiques (Zaventem et Anvers), il aura d’immanquables conséquences sur les Bruxellois qui n’ont pas la chance de résider là où le trafic automobile sera « apaisé ».

Que le lecteur fatigué des postures prescriptives se rassure : ce Bruxelles en mouvements donne la parole à celles et ceux qui s’engagent pour une autre ville, que ce soit à Uccle (Geleytsbeek), Forest (Wiels) ou Schaerbeek (Josaphat). En plaçant la valeur d’usage au centre de leur action, ces « défenseurs sensibles » de zones malmenées par la promotion immobilière invitent à nous interroger sur ce qui fait la réussite d’une action collective.

On attend toujours la détonation du « boom démographique ».
par Damien Delaunois

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