La Cour constitutionnelle a tranché : tous les projets conséquents doivent faire l’objet d’une même évaluation de leurs incidences environnementales.
Dans un arrêt préjudiciel du 15 mars 2012 [1], la Cour constitutionnelle a jugé, au nom du principe d’égalité et de non discrimination, qu’il n’est pas admissible que des projets d’urbanisme susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement (définies par la directive européenne 85/337/CEE du 27 juin 1985 concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement [2]), soient soumis tantôt à rapport d’incidences (moins exigeant), tantôt à étude d’incidences. D’autres griefs peuvent également être formulés à l’encontre du système d’évaluation des incidences des projets soumis à autorisation d’urbanisme, ainsi qu’à permis d’environnement à Bruxelles.
Les deux outils d’évaluation
A Bruxelles, seules les demandes de permis d’urbanisme, de lotir ou d’environnement qui sont énumérées par les annexes A et B du Code bruxellois de l’aménagement du territoire (COBAT), ou qui relèvent des classes 1A et 1B des installations soumises à permis d’environnement, doivent faire l’objet d’une évaluation des incidences sur l’environnement. Deux systèmes d’évaluation des incidences de ces projets existent :
1) le rapport d’incidences pour les projets figurant à l’annexe B du COBAT ou relevant de la classe 1B des installations soumises à permis d’environnement.
2) l’étude d’incidences pour les projets figurant à l’annexe A du COBAT ou relevant de la classe 1A des installations soumises à permis d’environnement.
Le rapport d’incidences, conçu a priori pour des projets aux incidences moins importantes ou plus « locales », est un outil nettement moins exigeant que l’étude d’incidences. On peut notamment relever que l’étude d’incidences est rédigée par un bureau agréé tandis que le rapport d’incidences peut être rédigé par le demandeur. De plus, contrairement au rapport d’incidences, l’étude d’incidences fait l’objet d’un cahier des charges sur mesure soumis à enquête publique et à l’avis de la commission de concertation. La réalisation de l’étude d’incidences fait l’objet d’un suivi par un comité d’accompagnement, alors qu’aucun suivi n’est prévu pour le rapport d’incidences.
Une géométrie variable non justifiée
La Cour constitutionnelle a jugé qu’il ne pouvait être justifié que des projets susceptibles d’incidences notables sur l’environnement ne soient soumis qu’à un rapport d’incidences alors que d’autres projets également susceptibles d’influences notables doivent faire l’objet d’une étude d’incidences présentant des garanties de consultation et d’impartialité plus importantes. Elle a aussi considéré que les « circonstances exceptionnelles », autorisant la commission de concertation, dans un avis spécialement motivé et pour un projet particulier, à demander au gouvernement de faire réaliser une étude d’incidences, ne sont pas de nature à palier les manquements relevés, dès lors que le COBAT ne précise pas ce qu’il y a lieu d’entendre par « circonstances exceptionnelles ». A ce grief, on peut rajouter que la commission de concertation est libre de faire – ou de ne pas faire – cette demande, et que le gouvernement peut refuser d’y faire droit.
Il faut noter que la Cour constitutionnelle s’est prononcée sur la compatibilité du COBAT avec les dispositions constitutionnelles et européennes, avant sa modification en 2010. Malgré cette modification du COBAT, visant à intégrer les critères que la directive impose aux États en vue de déterminer les projets à soumettre à évaluation des incidences (pour les projets que la directive ne soumet pas d’office à évaluation des incidences), la critique du système reste valable. En effet, la réforme du COBAT n’a pas eu pour effet, ni même pour objet, de faire en sorte que tous les projets visés par la directive soient soumis à un même système d’évaluation des incidences et les « circonstances exceptionnelles » autorisant la commission de concertation à demander au gouvernement de réaliser une étude d’incidences n’ont pas été précisées.
Autres reproches formulés à l’égard du système bruxellois
Comme dit plus haut, le COBAT mais aussi l’ordonnance du 5 juin 1997 relative au permis d’environnement intègrent maintenant les critères de sélection imposés par la directive permettant de déterminer quels projets doivent faire l’objet d’une évaluation des incidences sur l’environnement. Ces critères portent sur les caractéristiques du projet (en ce compris son cumul avec d’autres projets), sa localisation (en accordant une attention particulière à certaines zones telles que les zones à forte densité de population, les zones protégées par le droit européen ou national,…) et son impact présumé. Toutefois, les listes des projets soumis à évaluation des incidences n’ont pas été modifiées et tiennent actuellement presque exclusivement compte de la nature et de la taille des projets et pas de leur localisation ni de l’effet cumulé des projets.
Il est également souvent relevé que le système des listes fermées établies en fonction de « seuils » choisi à Bruxelles entraîne la pratique du saucissonnage des projets pour éviter une étude d’incidences. Pour les installations classées soumises à permis d’environnement, le saucissonnage est plus difficile dès lors que l’ordonnance du 5 juin 1997 impose une seule demande d’autorisation lorsque les installations constituent une « unité technique et géographique d’exploitation » [3]. A défaut de pouvoir considérer que la demande porte sur une partie d’un projet de plus grande ampleur, l’administration devra tenir compte des autres demandes de permis pour une évaluation croisée des projets. En plus du saucissonnage, le système des seuils conduit évidemment les demandeurs à faire des projets se trouvant juste en dessous des seuils [4].
Le fait que l’étude d’incidences soit réalisée par un bureau d’étude spécialisé et agréé est un point positif et il serait souhaitable que les rapports d’incidences soient également rédigés par une personne tierce au demandeur. Il faudrait toutefois faire en sorte que n’existe pas de rapport financier entre le demandeur et le chargé d’études, de manière à ce que ce dernier jouisse d’une réelle indépendance et impartialité. Ceci pourrait être réalisé par la création d’un fonds indépendant, chargé de distribuer les évaluations des incidences et alimenté financièrement par les demandeurs.
A souligner aussi que la prolongation d’un permis d’environnement ne fait pas l’objet d’une évaluation des incidences sur l’environnement. S’il s’agit de prolonger le permis d’environnement d’une installation de classe 1A ou 1B (considérée comme susceptible d’influence notable sur l’environnement), cette prolongation devrait pourtant faire l’objet d’une évaluation des incidences. Dès lors que les permis d’environnement sont généralement délivrés pour 15 ans, la première évaluation des incidences est en effet dépassée au moment de la demande de renouvellement.
En conclusion, le système bruxellois d’évaluation des incidences doit être revu, de manière à garantir que tous les projets et demandes de renouvellement, susceptibles d’influences notables sur l’environnement fassent l’objet d’une évaluation appropriée et réellement indépendante. Les annexes A et B du COBAT et l’énumération des installations de classe 1A et 1B doivent aussi être modifiées pour tenir compte des critères imposés par la directive.
Pour aller plus loin
[1] Au sujet de la portée de la décision préjudicielle : La juridiction qui a posé la question préjudicielle, ainsi que toute autre juridiction appelée à statuer dans la même affaire, sont tenues, pour la solution du litige, de se conformer à l’arrêt rendu par la Cour constitutionnelle.
[2] La directive 2011/92/UE du 13 décembre 2011 a codifié et abrogé la directive 85/337/CEE.
[3] Il faut signaler que la Cour de Justice a jugé que le mécanisme de l’unité technique et géographique d’exploitation n’est pas suffisant pour garantir qu’il soit toujours tenu compte des effets cumulés des installations dans la mesure où le mécanisme ne s’applique que s’il existe une interconnexion technique suffisante entre les composantes de l’unité d’exploitation. CJUE, arrêt du 24 mars 2011, « Commission c/Belgique », C-435/09.
[4] Un exemple : un parc de stationnement à l’air libre de plus de 200 emplacements impose une étude d’incidences, tandis qu’un rapport d’incidences suffit pour 50 à 200 emplacements.