Les activités industrielles ont décliné au fil des dernières décennies sur le territoire de la Région de Bruxelles-Capitale au profit du développement des activités liées au secteur tertiaire. Pourtant, ces dernières années, ce sont ces activités tertiaires qui ont favorisé le développement de cette activité de recyclage des déchets informatiques, signant le retour de la petite industrie sur le territoire régional.
Le retour des activités manufacturières en Région bruxelloise, qui est encore d’une ampleur modeste, pourrait se développer au cours des prochaines années sous l’effet du dynamisme des acteurs du secteur du recyclage. Il convient d’aborder les conditions de développement de cette activité en examinant les opportunités spatiales et laborieuses et les contraintes économiques.
Les opportunités du recyclage des déchets informatiques
À Bruxelles, comme dans d’autres métropoles à travers le globe, l’extraordinaire développement des activités tertiaires s’est appuyé sur l’usage des outils informatiques qui ont permis d’accélérer le traitement des tâches et des données. Lorsque les ordinateurs, les serveurs ou les imprimantes sont remplacés, les anciens sont jetés. Ainsi, les activités administratives et de services génèrent des déchets informatiques. Progressivement, ces déchets ont suscité l’intérêt car tous ces déchets n’étaient pas forcément hors d’usage et qu’ils étaient donc susceptibles d’être réutilisés. Les déchets informatiques commençaient donc à prendre de la valeur et ont alimenté le secteur de la vente d’occasion en raison de leur valeur d’usage et d’échange. Dans la foulée de cette revalorisation, les appareils informatiques non réutilisables ou réparables ont également pris de la valeur, une valeur d’échange. En effet, les composants (cartes mères, dalles, ventilateurs, écrans…) de ces appareils électriques sont susceptibles d’être réutilisés pour la réparation d’autres appareils ou d’être revendus pour les matériaux (cuivre, acier, aluminium…) qu’ils contiennent permettant ainsi de limiter la demande de ces matières premières, leur extraction et préserver ces ressources naturelles.
Pour une ville-région telle que Bruxelles dont le territoire administratif est amputé de son hinterland économique, l’exploitation de ces déchets informatiques représente une opportunité importante de développer une industrie « légère » et, par là, de diversifier ses activités. En effet, avec l’usage des technologies informatiques toujours plus important dans le quotidien des professionnels autant que des particuliers, le gisement de déchets informatiques ne risque pas de se tarir dans les années à venir. Cette valorisation du potentiel de réutilisation et de recyclage des déchets électroniques au sein des grandes villes est décrite par le terme d’urban mining qui met en lumière la richesse des déchets urbains et cette fonction productrice de ressources de la ville. En outre, les activités de traitement de déchets sont compatibles avec une localisation urbaine et la valorisation de la mixité fonctionnelle. Effectivement, certaines formes de traitement nécessitent peu d’espace et génèrent peu de pollutions industrielles, chimiques ou sonores. Elles sont donc compatibles avec un environnement urbain mélangeant des fonctions résidentielles, administratives ou commerciales.
Les appareils informatiques non réutilisables ou réparables ont également pris de la valeur, une valeur d’échange.
Avec le renforcement des préoccupations environnementales et l’essor du concept d’économie circulaire, ces activités ont été promues en tant que formes de production et de consommation alternatives par un réseau d’acteurs bruxellois comprenant autant des acteurs publics, qu’entrepreneuriaux ou de l’économie sociale. Concrètement, elles permettent d’allonger la vie des objets et de diminuer la demande des matériaux contenus dans les déchets d’éléments électriques et électroniques (DEEE). Pour développer le recyclage des DEEE informatiques, il convient d’agir sur plusieurs fronts : celui des producteurs et celui des consommateurs.
Concernant les producteurs, les actions consistent non seulement à les inciter par le coût moindre des composants d’occasion par rapport à des neufs, mais aussi par des actions d’information et de sensibilisation à l’image des campagnes de prévention sanitaire à utiliser des composants d’occasion issus du marché local. Ce qui permettait à la fois de diminuer la demande de ces matériaux, donc de limiter leur extraction et leur transport, mais aussi de transformer leur mode de production afin de favoriser l’allongement de la durée de vie des objets et donc de lutter contre l’obsolescence programmée. Du côté des consommateurs, les projets d’action existant ciblent au moins deux directions. D’une part, il y a lieu de les informer des possibilités de recyclage des DEEE qu’ils stockent chez eux. En Région de Bruxelles-Capitale, les ménages stockeraient ainsi annuellement jusqu’à 24 kg de DEEE dont ils n’ont plus d’usage. D’autre part, il convient de les informer sur le coût moindre de l’achat d’équipements électriques et électroniques d’occasion. En modifiant le comportement des consommateurs, on vise ainsi à orienter les procédés de fabrication des producteurs. [1]
De plus, le développement de ce secteur du recyclage des déchets présente des opportunités en termes de création d’emplois, principalement à destination de travailleurs infraqualifiés. Si ces travailleurs trouvent actuellement peu de débouchés sur le marché de l’emploi bruxellois, la valorisation des déchets informatiques pourrait devenir une voie professionnelle possible. D’ailleurs, quelques formations de valoristes ont déjà vu le jour en région bruxelloise. Ces formations ne sont pas spécifiquement centrées sur les DEEE ICT mais les incluent.
Les contraintes économiques du recyclage des déchets informatiques
Si les procédés de recyclage suscitent l’adhésion et l’engouement d’un nombre grandissant d’acteurs tant publics que privés ou associatifs et présentent un intérêt environnemental et social important, ils ne constituent pas encore les principales formes de traitement des DEEE ICT (déchet d’équipements électriques et électroniques).
Bien que les prévisions de développement et de création d’emplois dans ce secteur sont optimistes [2], les emplois disponibles ne semblent pas être nombreux. Deux éléments complémentaires semblent faire obstacle au développement de pratiques de recyclage et de valorisation des déchets informatiques générant des emplois stables sur le territoire bruxellois. Le premier a trait au coût du recyclage. N’ayant plus de valeur pour les usagers, ces déchets sont généralement collectés sans contrepartie monétaire par les collecteurs pour leur valeur d’usage. Néanmoins, le traitement de ces déchets réclame la mise en œuvre de procédures qui elles ont un coût. En effet, la collecte, le tri, la réparation et le démantèlement requièrent des moyens humains dont le coût n’est pas couvert par le prix de revente des appareils réparés et des matériaux revendus ne permettent pas à tous les acteurs de couvrir les coûts de la main-d’œuvre. Ainsi, on se trouve face à des activités productives et ayant une forte utilité sociale et environnementale, mais qui sont peu rémunératrices ou rentables aux conditions actuelles du marché. Mais la question du coût des emplois du recyclage ne représente pas en soi une contrainte. Elle ne l’est que dans un contexte particulier qui nous amène à cette deuxième contrainte.
Ce deuxième élément est plutôt à lier au mode de financement de la fonction collective de recyclage des déchets informatiques. Actuellement, le recyclage de la plus grande partie des DEEE récoltés est financé en Belgique par la cotisation Recupel, dont le consommateur s’acquitte de façon obligatoire lors de l’achat d’un appareil électrique pour financer le recyclage, sur le mode du consommateur-payeur. Cette cotisation a été instaurée dans le cadre de la responsabilité élargie des producteurs établie par la directive européenne 2002/96/CE, modifiée en 2008, sur le traitement des DEEE qui impose aux producteurs de ces appareils électriques et électroniques de les collecter en les séparant en catégories. Cette directive impose, en outre, aux producteurs de déchets la responsabilité du traitement des déchets produits. En Belgique, cette cotisation payée par le consommateur est gérée par le réseau Recupel réunissant uniquement les producteurs de ces appareils et non les collecteurs et recycleurs. Grâce aux montants récoltés, Recupel sous-traite ensuite le recyclage à des opérateurs, surtout privés. Mais tous les acteurs du recyclage des déchets informatiques n’adhèrent pas à ce système et ne reçoivent dès lors pas, par le biais de contrat, de revenus issus de la cotisation Recupel.
Ce système Recupel suscite des critiques. D’abord, il rapporte des sommes considérables à l’ASBL Recupel. [3] De plus, comme évoqué ci-dessus, il génère peu d’emplois dans les activités de recyclage à Bruxelles. La majorité de ces opérations sont maintenant effectuées en dehors du territoire régional bruxellois et, le plus souvent, en recourant à des techniques mécaniques telles que le broyage, suivi de séparations densimétriques [4] ou électrostatiques [5]. Si ces procédés permettent de considérablement réduire le coût de la main-d’œuvre et donc de limiter la production d’emplois, ils sont aussi moins efficaces pour valoriser les composants des DEEE que le démantèlement manuel effectué par les acteurs d’économie sociale. [6] Enfin, il confie la charge du recyclage des DEEE aux producteurs de ceux-ci et donne un quasimonopole à ce réseau sur le secteur du recyclage des DEEE. Ce conflit d’intérêts a conduit un acteur de la collecte et du recyclage de ces déchets en Région bruxelloise à ne pas devenir contractant de ce réseau. En outre, ces acteurs ne bénéficient pas d’une part de la cotisation pour effectuer ces activités.
Les acteurs du recyclage œuvrent à l’insertion professionnelle de publics précarisés bruxellois, mais ne produisent pas encore des emplois durables.
Sans financement direct de cette fonction collective, les emplois existants actuellement dans le recyclage des déchets informatiques en Région bruxelloise sont plutôt générés par des acteurs d’économie sociale avec des emplois de transition qui sont temporaires. En effet, pour compenser le manque de revenus issus de la revente des ordinateurs réparés et des composants de ces ordinateurs (valeur d’échange) nécessaires au paiement de la main d’œuvre, les structures de l’économie sociale recourent aux programmes de remises à l’emploi des travailleurs éloignés du marché de l’emploi dont les articles 60§7 et le Programme de Transition Professionnelle (PTP) pour les jeunes. Respectivement, lorsque les travailleurs acquièrent les jours nécessaires pour redevenir demandeurs d’emploi ou lorsqu’ils atteignent l’âge maximal pour bénéficier des aides, les contrats de travail prennent fin. Ainsi, les acteurs du recyclage œuvrent à l’insertion professionnelle de publics précarisés bruxellois, mais ne produisent pas encore des emplois durables. Pour tenter de stabiliser des travailleurs, ces acteurs tentent de trouver des gisements de déchets et de nouvelles formes de réutilisation des composants de ces déchets. Pourtant ces emplois financés par des aides publiques sont productifs. Comme le souligne Ramaux [7] pour les services publics, ces emplois sont productifs en termes de valeur d’usage et donc d’utilité, mais aussi en termes de richesses monétaires en contribuant au PIB.
[1] S. Dubuisson-Quellier, Introduction, in Gouverner les conduites, Paris, Les Presses de Sciences Po, 2016.
[2] PWC, 2012, Analyse des emplois existants et potentiels dans le secteur des déchets en Région de Bruxelles-Capitale, Région de Bruxelles-Capitale, Rapport commandité par Bruxelles-Environnement (ex-IBGE).
[3] En 2015, en réponse à la question posée par le sénateur Jean-Jacques De Gucht (VLD), la Cour des comptes répondait que « Recupel, une « association sans but lucratif » a réalisé un bénéfice de 6,4 millions d’euros en 2012 et de 5,9 millions d’euros en 2013. Selon le bilan 2013, les disponibilités se montent à 254,6 millions d’euros. Recupel a créé un fonds d’investissement à concurrence de 171,4 millions d’euros ». Consulté le 17 août 2018 à l’adresse suivante : www.senate.be.
[4] Triage d’éléments solides de tailles similaires, mais de natures et donc de densités différentes.
[5] Recyclage des métaux critiques. Quelles techniques améliorer, Recyclage et Valorisation, n°56, mars 2017, pp. 40-45.
[6] L. Gonda & M. Degrez, End-of-life management of computers in Brussels : environmental comparison of two treatment chains, 25th CIRO Life Cycle Engineering (LCE) Conference, 30 April-2 May 2018, Copenhagen, Denmark, 2018, pp. 968-973.
[7] C. Ramaux, L’État social. Pour sortir du chaos néolibéral, Paris, 2012, Éditions Mille et une nuits, p. 34.