Démolir, reconstruire, spéculer… nous avons voulu évaluer pragmatiquement le véritable bilan environnemental de ces pratiques conjuguées.
Il nous est donc venu à l’idée de munir le tissu associatif bruxellois, mais aussi les administrations publiques territoriales ou tout autre organisation sans but lucratif d’un outil facile d’usage permettant d’estimer le bilan de gaz à effet de serre d’un projet immobilier de démolition et de reconstruction.
Nous avons imaginé que le bâti existant constitue un considérable patrimoine en énergie, celle qui a déjà été chèrement dépensée pour le constituer en béton, en fer et en verre. Combien de temps faudra-t-il véritablement au bâtiment neuf pour amortir non seulement le coût énergétique de sa construction mais aussi le poids énergétique de la construction et de la démolition de ce qui l’a précédé ? [1]
C’est pour confirmer (ou invalider) cette intuition que l’Association du Quartier Léopold (AQL) et Inter-Environnement Bruxelles (IEB) ont demandé au bureau d’étude ECORES de développer en toute indépendance, un calculateur spécifique simple et robuste permettant d’évaluer et de comparer selon plusieurs indicateurs les conséquences d’une démolition/reconstruction par rapport à une rénovation du bâtiment existant. À partir de quelques données généralement disponibles lors des enquêtes publiques, ce calculateur permet :
Pour rendre les conclusions les plus accessibles possibles, notre choix s’est porté sur un nombre très limité d’indicateurs : les émissions de gaz à effet de serre (GES) [2], les consommations énergétiques [3] et le poids de déchets [4].
Le réel à l’épreuve du bilan CO2…
Nous avons décidé de tester l’outil sur quelques projets de construction, récemment mis à l’enquête publique, particulièrement représentatifs, mais suffisamment différents entre eux. Ces projets sont décrits dans les encadrés pages 5 et 6. Le premier concerne la démolition d’un immeuble de bureau au profit d’un nouvel immeuble destiné au même usage, c’est le projet Trebel, qui a obtenu son permis récemment, moyennant quelques modifications mineures. Le deuxième est déjà en cours de construction : il s’agit de la tour de logement « UP-site » ainsi que des bureaux attenants construits en lieu et place des anciens entrepôts Delhaize, patrimoine remarquable que le gouvernement a refusé de classer. Le troisième concerne un projet sous les feux de l’actualité puisqu’il s’agit des trois tours « Victor » principalement destinées à l’usage de bureaux, en lieu et place d’une partie d’îlot jusqu’alors occupée par un mélange de bureaux, d’entrepôts et de logements. Ces trois projets ont deux points communs : ils proposent une densification extrême du bâti en comparaison avec l’existant et sont des opérations du promoteur Atenor qui semble donc se positionner à l’avant garde du phénomène étudié.
Des résultats inquiétants… pas que pour les spéculateurs !
Les bilans de gaz à effet de serre appliqués à ces trois projets démontrent que l’énergie qui a été nécessaire pour construire puis démolir les bâtiments existants ajoutée à celle qu’il faut encore dépenser pour la construction des nouveaux bâtiments est loin d’être négligeable. C’est la balance entre cette énergie qualifiée de grise et l’amélioration des performances énergétiques du nouveau bâtiment qui permet de juger du bilan de gaz à effet de serre global de l’opération.
Ainsi, pour le projet UP-site, le promoteur Atenor, avec la destruction des entrepôts Delhaize, part avec un déficit de près de 10 000 tonnes équivalent CO2, soit l’équivalent de 30 millions de km parcourus en voiture. Si l’on y ajoute la construction du complexe de bureaux et de logements, on arrive à environ 28 000 tonnes équivalent CO2, soit la production annuelle moyenne de 15 000 terriens. À l’échelle du projet (qui est souvent celle de la parcelle), ce bilan est souvent négatif dès lors que le projet vise à densifier le bâti.
Par ailleurs, il est à noter que c’est généralement la décision de densifier la parcelle qui justifie financièrement l’option de la démolition du bâtiment existant dans le chef du promoteur. Pour le projet Trebel, il faudra attendre 48 années d’exploitation pour récupérer la gabegie énergétique que constitue la démolition du bâtiment existant et la construction du nouveau bâtiment. Notons que ce raisonnement ne tient pas compte du fait que les nouveaux occupants auront préalablement quitté un bâtiment de bureau ancien présentant lui-même une quantité importante d’énergie grise dépensée en vain s’il n’est pas occupé à nouveau. Pire, selon nos calculs, le projet UP-site, trop gourmand en énergie pendant son exploitation, ne pourra jamais compenser l’énergie grise perdue lors de l’opération de démolition-reconstruction ! Pour le projet Victor, ce n’est qu’au terme de 88 années d’exploitation que la balance de gaz à effet de serre sera équilibrée alors qu’il est actuellement établit que la durée de vie moyenne (avant rénovation lourde) d’un bâtiment de bureau dépasse rarement les 30 ans. Cette périodicité liée à des retours sur investissements de plus en plus courts tend d’ailleurs à se réduire...
Conclusion provisoire : exit les projets de bureaux…
Quelle que soit la situation des trois projets étudiées dans le contexte urbain spécifique de Bruxelles, il est cependant normal que la performance intrinsèque des nouvelles constructions soit plus élevée. Il convient néanmoins de différencier la performance brute et la performance relative lors de l’augmentation des surfaces. C’est la différence entre le décrochage et le découplage [5].
On pourrait alors penser qu’il est toujours plus intéressant d’un point de vue environnemental de rénover un bâtiment plutôt que de le détruire et de le reconstruire. Il est néanmoins important de nuancer ce principe en rapport des attentes sociales globales portées par un territoire à un moment donné. La destruction d’un bâtiment existant pour densifier la parcelle et répondre de ce fait à une forte demande qui n’est pas remplie par ailleurs peut se justifier. C’est le cas actuellement à Bruxelles quand nous considérons d’une part les immeubles de bureau largement sous occupés, d’autre part la forte demande de logements sociaux et l’inadéquation éventuelle de l’immeuble objet de la réaffectation envisagée. A contrario, dans un marché de bâtiments administratifs saturé, la démolition et la reconstruction d’un immeuble de bureau, quelle que soit sa densité, ne pourra jamais se justifier, que ce soit du point de vue de la demande sociale comme du point de vue du bilan de gaz à effet de serre global. Ce raisonnement est d’autant plus vrai si l’opération se situe dans un quartier où le vide locatif de bureaux est plus important qu’ailleurs. Le nouvel outil que nous proposons n’est donc pas une fin en soi, il nous restera toujours à évaluer les résultats qui en ressortent en regard des dynamiques territoriales spécifiques que nous observons avec toute l’attention amoureuse que méritent leurs économies/écologies particulières.
[1] On considère par exemple que le retour sur investissement d’un immeuble de bureau dans le Quartier Léopold est de 20 ans.
[2] En effet, la Région de Bruxelles-Capitale est engagée dans la Convention des Maires qui vise une réduction des émissions de GES de 30 % d’ici 2025. L’unité pour exprimer les émissions de gaz à effet de serre est l’équivalent CO2 (eq. CO2), cela permet de comptabiliser l’ensemble des gaz à effet de serre émis sous une même unité.
[3] L’unité pour exprimer les consommations énergétiques est le Watt heure (et ses multiples : 1 kWh = 1 000 Wh, 1 MWh = 1 000 000 Wh).
[4] Dans le contexte urbain de la Région de Bruxelles-Capitale, les déchets de démolition sont une véritable contrainte de gestion–traitement mais aussi de déplacement. L’unité pour exprimer les déchets est la tonne.
[5] On parle de décrochage lorsque la consommation d’énergie continue à croître avec la surface, mais moins qu’avant. On parle de découplage quand la consommation d’énergie s’arrête, voire diminue, quelle que soit la surface.