Jadis les quelque 7 kilomètres de la vallée du Maelbeek constituaient une longue zone humide. Au fil des siècles, elle fut dominée par l’activité industrieuse des humains. Une dizaine de moulins à eau y furent construits, et une cinquantaine d’étangs aménagés...
Qu’en reste-t-il aujourd’hui ? Quelques jolies pièces d’eau théâtralisées dans le goût du XIXe siècle et, çà et là, une friche ou un jardin plus ou moins humide en intérieur d’îlot — et souvent menacé par des projets immobiliers.
On peut dire qu’à Bruxelles la tension entre préservation de telles zones vertes et pression immobilière est devenue plus que jamais un phénomène urbanistique important. Il dépasse de loin, de Neerpede au plateau Avijl (à Uccle), les limites du bassin versant du Maelbeek, et concerne des espaces plus vastes et d’une qualité paysagère plus conséquente que les petites friches que nous évoquerons dans cet article.
Dans une ville où la population augmente, on ne peut légitimement nier la nécessité de construire de nouveaux logements — surtout s’ils sont destinés à des ménages aux revenus modestes — et de nouvelles infrastructures de services (crèches, écoles, etc.). Faut-il pour autant sacrifier systématiquement ces micro-zones vertes insérées dans un tissu urbain souvent fort dense ?
Partons à la découverte de quelques-unes d’entre elles, qui s’égrènent le long du parcours de la rivière disparue.
Rue Kercks, en contre-bas du pont de l’avenue de la Couronne, un terrain arboré, en forte pente apporte une « respiration » dans un quartier très bâti. Il est bordé par une petite construction de style cottage qui y apporte une touche de poésie. Or, le terrain a été racheté par un promoteur afin d’y bâtir un immeuble de rapport. Un comité d’habitants s’est constitué pour s’opposer à ce projet. IEB s’est d’ailleurs positionné à leur côté pour dénoncer les incohérences de ce projet.
Rue Gray aux confins d’Etterbeek et d’Ixelles, on découvre le jardin collectif créé par le Début des Haricots sur un ancien « terrain vague ». Les habitants des alentours ont l’occasion d’y pratiquer — et d’y apprendre — l’agriculture urbaine et le compostage collectif. Tout à côté, à l’arrière d’une maison de maître se cache un grand jardin où se dressent quelques beaux arbres fruitiers. Il est situé à l’emplacement de l’ancien grand étang d’Etterbeek, — comblé en 1844. C’est un des rares témoins du paysage agreste de ce secteur de la vallée juste avant son urbanisation définitive. Les occupants de l’immeuble y expérimentent divers moyens de réconcilier l’humain et la nature en ville. Ils y ont notamment implanté quelques ruches. L’avenir de ce jardin est des plus incertains. Les activités économiques, en particulier les grandes surfaces tendent à manger l’espace disponible dans cette zone dite de forte mixité.
Un peu en aval, à proximité de la place Jourdan, une friche récemment déblayée s’étend à la limite du Parc Léopold. Elle offre depuis l’avenue du Maelbeek, une belle vue sur un émouvant témoignage du passé local, le pavillon Eggevoord, tourelle du XVIe siècle vestige d’une villégiature appartenant à la châtelainie de Bruxelles ; son passé est lié à celui des pêcheries, jadis une des importantes activités économiques de la vallée.
Les habitants du quartier et des acteurs culturels qui y interviennent imaginent pour ce terrain une zone de biodiversité, une zone humide, un jardin des simples, la reconstitution d’un étang, etc. Ces idées ont émergé lors d’un après-midi de réflexion organisé récemment par City Min(e)d sur les alentours du Parc Léopold, avec pour objectifs d’en améliorer la convivialité, en faire un authentique espace de mixité sociale en faisant participer, pourquoi pas, les travailleurs des institutions européennes. Cependant, ici aussi, il est question de construire des logements...
Béton, asphalte : une conquête inéluctable ?
La densification, avec pour corollaire la disparition d’espaces non bâtis est-elle une fatalité ? L’une et les autres sont-ils définitivement incompatibles ? Cela ne doit pas toujours être le cas, si nous poursuivons notre pérégrination vers les secteurs tennodois et scharbeekois de la vallée.
A Saint-Josse, le nouveau contrat de quartier durable Liedekerke s’est choisi comme thème central biotope et eau, et entend lui redonner une place dans l’espace public. Ici, on travaille à... la désimperméabilisation du sol. Outre un projet de verdurisation des rues reliant la place Saint-Josse et la place Houwaert et évoquant le tracé du Maelbeek, on y découvre, à la place d’un bâtiment industriel rasé, le projet d’un parc en intérieur d’îlot (dans le bloc compris entre les rues du Moulin, de la Limite, Potagère et Philomène), qui comprendra notamment un verger et une zone où l’on tentera de reconstituer l’éco-système qui devait être jadis celui de la vallée. Tout ceci est né de l’interaction entre les acteurs locaux : habitants, associations, institutions... Une des missions des contrats de quartier étant de faire la part belle à la participation citoyenne — et de veiller à ce qu’elle porte des fruits, qu’elle aboutisse à des résultats tangibles.
Enfin, plus en aval encore, on découvrira rue Kessels un jardin en intérieur d’îlot. Comme l’atteste l’inscription sur la façade du bâtiment par lequel on y accède, ce jardin se situe à l’emplacement la première piscine communale de Schaerbeek. Plus anciennement encore, il y avait ici aussi un étang, le Molenvijver.
Les bains de la rue Kessels furent démolis après la seconde guerre mondiale, et la nature reprit ses droits sur le terrain laissé à l’abandon. Lorsqu’en 1993 la commune, propriétaire des lieux, projeta d’y construire un nouveau commissariat de police, elle fut confrontée à une forte opposition dans le quartier. Ici, la voix des habitants parvint à se faire entendre. L’espace vert « spontané » sera sauvé, aménagé en jardin, et le bâtiment à front de rue, rénové, accueillera logements et espace communautaire.
Densifier l’habitat à Bruxelles a sans aucun doute du sens. Mieux vaut favoriser des agglomérations relativement compactes et peuplées plutôt qu’un habitat « désurbanisé », s’étalant à l’infini en zone rurale, tel qu’on le connaît trop bien en Wallonie ou en Flandre. Néanmoins, pour garantir une qualité de vie en ville, n’est-il pas opportun de se soucier de préserver des zones qui peuvent paraître insignifiantes, mais qui offrent en réalité de nombreuses possibilités, activités récréatives, pratiques écocitoyennes. Ces petits espaces urbains de verdure permettent de prendre conscience du lien entre le passé d’un territoire et son présent et de cette manière nous ouvrent de nouvelles perspectives pour l’avenir.
Michel Bastin