Inter-Environnement Bruxelles
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Quartier Brunfaut bientôt en chantier ?

Ça bouge dans le quartier Brunfaut ! Après de longues années d’attente, la rénovation de la tour de logements sociaux devient plus concrète et les alentours font l’objet de différents projets discutables qui méritent que l’on s’y arrête. Jetons un œil à ces évolutions récentes.

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Dans les années soixante, non loin du canal, la tour « Brunfaut » sort de terre dans le Vieux Molenbeek. Dotée d’une architecture économique et fonctionnelle typique de l’époque, elle offre 97 logements sociaux répartis sur 16 étages qui ont permis à environ 250 locataires de profiter d’un logement de 1968 à 2011 [1]. Mais le poids des années se fait sentir et la vétusté a remplacé l’opportunité pour de nombreuses personnes d’être logées dans de bonnes conditions. En effet, la tour compte divers déficits, d’abord de sécurité (mauvaise résistance au feu), ensuite de salubrité (taille des logements, présence d’amiante, installations techniques non conformes, ascenseurs régulièrement en panne) et aussi en matière de performance énergétique et acoustique. Au travers de son travail de proximité réalisé depuis 2004 avec les locataires de la tour, l’asbl La Rue témoignait du défi humain que cela représente de vivre au 65 Brunfaut dans un précédent Bruxelles en mouvements [2]. Notons par exemple que 42% des logements de la tour étaient sur-occupés en 2013, un problème qui touche malheureusement de nombreux logements dans le croissant pauvre. « C’est parmi les populations à faibles revenus que la tendance à la densification des logements est sans doute la plus prononcée. […] Les ménages à faibles revenus ont connu ces dernières années les plus fortes croissances, alors même que le rythme de création de nouveaux logements sociaux est resté très lent et que la presque totalité des logements sur le marché libre construits depuis les années 2000 leur sont financièrement inaccessibles » [3].

Initié par la SISP « Le Logement Molenbeekois », bailleur des logements et maître d’ouvrage du projet, le marché public pour la rénovation de la tour « Brunfaut » en site occupé a été remporté en février 2014 par les bureaux Atelier 229 et Dethier Architecture pour l’architecture, Ney & Partners pour la stabilité et Arcadis Belgium pour les techniques spéciales. On apprenait ensuite lors de la conférence de presse du 19 septembre 2014 que l’inhabitabilité de la tour et l’inopportunité financière avait rapidement pris le pas sur l’option idéalisée d’une opération en site occupé qui fut donc avortée. Le Logement Molenbeekois s’est alors chargé du relogement des locataires restants et la tour a été vidée de ses locataires fin 2015. Même si un avenant au contrat de bail offre la possibilité à certains anciens locataires de revenir au 65 Brunfaut, la question du montant du loyer après rénovation pourrait représenter un frein à leur retour puisque son évaluation à la hausse, suite aux travaux, serait a priori compensée par la diminution de la facture énergétique qui est à ce jour difficilement estimable. L’avenir précisera les contours de cette compensation et la capacité des anciens habitants à revenir se loger dans la tour. Néanmoins, un certain soulagement dans le chef des habitants relogés s’est fait ressentir à l’annonce d’une rénovation en site inoccupé. Un nombre important de nuisances supplémentaires ont ainsi été évitées par cette réorientation.

Le 65 Brunfaut prend de la hauteur

En 2016, la rénovation de la tour « Brunfaut » a pris une dimension plus concrète lorsque le projet a été soumis à l’enquête publique entre le 1er et le 15 novembre 2016. On a alors redécouvert les lignes directrices du projet, présenté en conférence de presse en 2014, qui est financé à hauteur de 18 100 000 euros (frais et honoraires inclus) par la SLRB. La rénovation consistera à conserver le nombre de logements existants (97) [4] et à augmenter leurs tailles et leurs typologies (nombre de chambres par appartement). Pour ce faire, le travail de l’équipe multidisciplinaire a débouché sur la proposition suivante : un élargissement de la tour de 3 mètres (augmentation de 130 m²/ étage), une rehausse de l’immeuble de 5 niveaux (avec la création d’un étage pont qui deviendra un espace communautaire) faisant passer la tour de 49 mètres de haut (16 étages) à 62 mètres (21 étages), une isolation offrant à l’immeuble une conformité au standard passif et aussi une intervention au niveau des abords.

L’augmentation de la hauteur de la tour demande une dérogation au RRU [5] qui est justifiée au travers d’une comparaison avec la Tour « Up Site ». Or, cette très haute tour bordant le canal nous apparaît comme un exemple à ne pas reproduire. Dans le quartier, la tour « Brunfaut » déroge aux gabarits moyens du quartier. La prise de hauteur de la tour permettra une mise en conformité du bâtiment en sauvegardant le même nombre de logements, c’est là que se trouve l’argument fort et la prouesse de conception de cette rénovation à nos yeux.

Prévu initialement dans le Contrat de Quartier Durable « Petite Senne » (2014-2018), le réaménagement des abords de la tour et la réfection de la rue Évariste Pierron ont été incorporés à la demande de permis pour le projet de rénovation de la tour « Brunfaut ». La rue Évariste Pierron constitue une zone importante de liaison entre la tour et l’Espace Pierron. IEB rejoint l’avis de la Commission de concertation [6] qui plaide pour le maintien des deux accès à la tour offrant ainsi la possibilité aux habitants d’accéder directement au parc de l’Espace Pierron. On peut par contre regretter que la rue Évariste Pierron ne fasse pas l’objet d’un réaménagement approfondi, l’assiette de la voirie ne sera en effet pas modifiée, suite à l’opposition de la Région de réaménager une voirie qui a été récemment rénovée. Les travaux des abords seront financés par la Commune et sortent du programme du Contrat de Quartier. Le permis a été délivré par la Région et ne précise pas l’option qui sera choisie concernant le double accès à la tour.

Globalement, dans le contexte de vide locatif important, et face au manque de réponse grandissant en termes d’offre de logements sociaux, IEB est favorable au projet de rénovation. Il répond doublement à la situation critique du secteur du logement social, en sauvegardant d’une part le nombre de logements existants initialement, et d’autre part augmente la capacité d’accueil avec des typologies de logements adaptées aux réalités de la population précarisée (familles nombreuses).

Mais si le projet a bonne presse pour le souci donné à la dimension durable et passive du projet, on pourra regretter le manque de concertation avec les habitants. Bien que certaines réunions ont permis aux différents acteurs et aux habitants de s’exprimer, la participation s’est encore une fois réduite à de l’information en lieu et place d’une mise en débat des intentions de réaménagement.

Juste à côté, l’imprimerie Hayez

En parallèle de la rénovation du 65 Brunfaut, un autre projet a été soumis à l’enquête publique. Durant la même période, l’imprimerie Hayez doit également être rénovée, située également dans la rue Brunfaut, à l’angle de la rue Fin, à deux pas de la tour. Sur cette zone mixte, la société Home Invest Belgium souhaite démolir les bâtiments existants pour y construire un immeuble de 93 appartements ainsi que 4 maisons unifamiliales en intérieur d’îlot. Seules 5 entités de services et bureaux sont prévues sur une surface d’environ 1 400 m². Ces logements privés pourraient accueillir environ 230 habitants, selon l’estimation du porteur de projet. Les aménagements souhaités imposent une forte densité et semblent être une opération spéculative de plus dans la zone du canal.

La Commission de concertation a estimé que le projet de transformation de l’ancienne imprimerie est, entre autres choses, trop dense et manque d’équipements adaptés au quartier. Elle a émis un avis favorable sous condition d’introduire des plans modificatifs. Le permis d’urbanisme a été délivré sur base des modifications demandées. Le projet a ainsi été dédensifié par la suppression des 4 maisons unifamiliales prévues en intérieur d’îlot en faveur d’espaces communs aux futurs habitants. Aussi, la typologie des 93 appartements prévus a été modifiée pour répondre aux besoins du quartier et aux attentes de la commune en logements à chambres nombreuses. Il y aura 20% de logement comprenant 3 ou 4 chambres.

De plus, le rez-de-chaussée du bâtiment va accueillir différentes structures au service des habitants tels qu’un planning familial, un centre médical et une association para-médicale. Néanmoins, IEB regrette que le départ des imprimeries Hayez ne laisse aucune place à l’activité productive, alors qu’elles sont importantes à sauvegarder en regard de la situation bruxelloise. En effet, elles ont l’atout de pourvoir de l’emploi peu qualifié et de participer à l’économie endogène de la ville. Bien que le projet se soit orienté vers des équipements qui répondent aux besoins du quartier, on pourra regretter l’absence d’activités productives dans une zone qui manque cruellement d’emplois.

Par ailleurs, les projets de construction de plus de 1 000 m², comme c’est le cas ici, sont concernés par l’arrêté de 2013 relatif aux charges d’urbanisme, qui rend obligatoire la perception de ces charges. Dans ce cas, deux solutions s’offrent au demandeur : soit verser 50 euros/m² de surface bâtie à la Région, montant qui sera réaffecté à des projets d’intérêt public, soit dédier 15% de la surface bâtie en logements devant être proposés préférentiellement à un opérateur immobilier public, qui doit les acheter au prix du logement conventionné. Dans le cas du projet sur l’ancien site de l’imprimerie Hayez, les charges d’urbanisme ont été exigées en nature. Soit 447 250 euros, qui seront investis par le demandeur dans le réaménagement de la place du Cheval Noir. Les travaux devront commencer avant l’achèvement de la construction des logements par Home Invest Belgium.

IEB se réjouit de l’affectation des charges, étant donné le manque important en équipements dans ce quartier particulièrement dense et la vétusté des espaces publics existants, tel que la place du Cheval Noir. On espère qu’une concertation élargie des habitants sera entreprise par les autorités communales en vue de réfléchir le réaménagement de cet espace public en regard des besoins du quartier.

Quel avenir pour le quartier ?

La rénovation de la tour coïncide avec la transformation de l’imprimerie Hayez, ce qui soulève des questionnements par rapport à l’avenir de telles zones densément peuplées, où de nombreux logements sociaux se côtoient. Les travaux des deux projets devraient démarrer début 2018 et durer deux ans. En ce qui concerne la densification, on peut se demander s’il est pertinent d’augmenter la densité du bâti là où la ville est la plus dense, et avec quels types de fonctions, sachant que les équipements y font souvent défaut.

L’accueil de nouveaux logements pour classes moyennes voire supérieures questionne également au vu des critiques des personnes habitants actuellement les rares logements moyens du quartier Brunfaut. Ceux-ci témoignent de départs de plus en plus fréquents par cette frange de la population. Ceci démontre un inconfort imputable à différents facteurs. Quelles qu’en soient les raisons (que nous ne pouvons développer de façon synthétique ici au risque d’être caricatural), l’exemple du quartier Brunfaut montre que la mixité sociale n’est pas un objectif à portée de main en injectant simplement du logement moyen dans une zone de forte concentration en logements sociaux.

Par ailleurs, notons aussi qu’au moment de réfléchir à l’avenir d’une tour cumulant autant de déficits, il arrive que le projet débouche sur une démolition. Or, tout comme le recours à la recette de la mixité sociale, la démolition de tours ne permet pas non plus de résoudre les problèmes sociaux présents en leur sein avant leur disparition, tels que la surpopulation, un taux de chômage élevé ou les échecs scolaires importants. Les questions touchant à la qualité de vie en ville ne se résolvent ni à coups de pelleteuses revitalisantes ou destructrices, ni à coups de mixité sociale. L’avenir des quartiers populaires, tels que le quartier Brunfaut, mérite d’être mis en débat et leurs habitants pris en considération en amont des projets.

Sophie Deboucq
Inter-Environnement Bruxelles


[1« Présentation du processus d’accompagnement social des locataires dans le cadre de la rénovation de la Tour Brunfaut à Molenbeek-Saint-Jean », septembre 2013, La Rue asbl.

[2Bruxelles en mouvements n°271, « Libre comme un pigeon », juillet-août 2014. La Rue asbl, en partenariat avec le CVB, a réalisé un film sorti en 2015 sur la dure réalité des locataires de la tour Brunfaut : « 65 rue Brunfaut, ça ira mieux demain… ».

[3Dessouroux Christian, Bensliman Rachida, Bernard Nicolas, De Laet Sarah, Demonty François, Marissal Pierre & Surkyn Johan, 2016. Note de synthèse BSI. Le logement à Bruxelles : diagnostic et enjeux. Brussels Studies, Numéro 99, 6 juin, www.brusselsstudies.be. Sur ces constats, il apparaît donc indispensable de penser à sa rénovation depuis plusieurs années. C’est fin 2009, dans le cadre du Contrat de Quartier « Cinéma Belle-Vue », que débute la réflexion sur l’avenir de la tour. Une étude de définition est prévue dans le programme de base du Contrat de Quartier, étude qui sera confiée au bureau « Lacaton et Vassal » qui la réalisera entre 2010 et 2011 en vue de réhabiliter la tour. L’étude a permis d’identifier l’état de dégradation du bâtiment et les possibilités de rénovation, à la suite de quoi la réalisation d’une rénovation lourde en site partiellement occupé a été choisie. Cette perspective laissait planer de nombreuses inquiétudes sur les conditions des personnes habitant encore dans la tour (Le Logement Molenbeekois n’a pas reloué les logements depuis 2010, ce qui eut pour conséquence un taux d’occupation d’environ 70% en 2013, soit environ 165 habitants).

[4Le projet déposé permet la création d’un appartement supplémentaire, la tour sera donc composée de 98 appartements.

[5Règlement Régional d’Urbanisme.

[6L’avis de la Commission de concertation qui s’est réunie le 17/11/2016 est unanimement favorable à la demande introduite par Le Logement Molenbeekois en vue de réhabiliter la tour.