Inter-Environnement Bruxelles
© IEB - 2021

Quand les locataires s’organisent

Rassemblés à l’occasion de la Journée des quartiers populaires contre la gentrification, un groupe de locataires de logements sociaux s’organise. Convaincu de la force du logement social comme solution structurelle, ils sont aussi réalistes face au défi de l’existant et à la nécessité de s’organiser pour améliorer leurs conditions de vie.

© Manu Scordia - 2023

En mars 2002, des dizaines d’habitant·es essentiellement des quartiers populaires du Vieux Molenbeek, du quartier Maritime, de Cureghem et Saint-Guidon se sont retrouvés accompagnés par plusieurs associations dans le cadre de la première Journée des quartiers populaires contre la gentrification. Dans la foulée de ce rendez-vous, un groupe de locataires provenant de huit sites différents de logements sociaux de Molenbeek s’est engagé dans une enquête et la mise sur pied de revendications pour améliorer les choses dans leurs logements. Ce groupe, qui s’est autodésigné Union des locataires du logement social (ULLS), est soutenu par La Rue, la Maison de quartier Bonnevie et Periferia. Lors d’une interpellation au conseil communal de Molenbeek en juin 2022, nous avons affirmé que le logement social représentait actuellement le meilleur moyen de lutter contre la gentrification qui sévit le long du canal avec ses nombreux nouveaux projets immobiliers privés excessivement chers.

Pour permettre aux Molenbeekois·es les moins fortuné·es de continuer à vivre dans leurs quartiers, l’accès à un logement à prix modéré constitue la dernière ligne de défense contre l’expulsion due à des loyers trop chers. Cependant, la situation dans de nombreux logements sociaux de Molenbeek est indigne : surpeuplement, insalubrité, humidité, retards dans les rénovations, une communication compliquée avec les propriétaires, etc.

Après l’été 2022, le groupe, composé de personnes rencontrées lors de la première Journée des quartiers populaires (entre autres les habitants membres du groupe SASUDU) et d’un noyau de locataires proches de La Rue, s’est réuni pour définir ses objectifs. Ensemble, nous cherchons à améliorer les conditions de vie des locataires des quelque 3 500 logements sociaux de la commune de Molenbeek. En septembre et octobre, profitant du temps clément, nous avons organisé des rencontres informelles « en bas des blocs » entre travailleurs, locataires de l’ULLS et locataires lambda passant par là. Ces rencontres ont été l’occasion d’échanger sur les différentes réalités de conditions de vie. De nombreuses questions ont émergé, ainsi que des frustrations, et parfois aussi une grande lassitude de voir les mêmes problèmes se reproduire d’un site à l’autre. Cependant, il était difficile pour le groupe de déterminer qui était responsable de cette situation enlisée : le bailleur, la commune ou la région ?

Après une soirée riche en échanges et débats en petits groupes et en plénière, les revendications collectives ont été formulées.

S’organiser collectivement pour faire poids

Lors de ces rencontres dans l’espace public, tout le monde était invité à participer à une grande assemblée pour formuler des revendications collectives. Il est important de noter que les problèmes individuels ne sont pas traités lors de ces réunions. Pour cela, il faut prendre rendez-vous avec les assistant·es sociaux·ales de nos associations respectives. L’assemblée, qui a eu lieu fin novembre 2022, a été un succès avec la présence de plus d’une trentaine de locataires issus d’une douzaine de sites différents. Après une soirée riche en échanges et débats en petits groupes et en plénière, les revendications collectives ont été formulées. Elles ont été résumées en vingt points regroupés sous quatre thèmes : la qualité des logements, la communication, les finances, la transparence et la gouvernance. Prochaine étape : une rencontre avec le bailleur, le Logement molenbeekois, le rendez-vous étant pris pour fin février.

Après quelques réunions de préparation, le groupe était prêt pour la rencontre avec le directeur, la directrice sociale et deux assistantes sociales communautaires du Logement molenbeekois. Du côté des locataires, tout s’est bien passé, avec des questions collectives posées fermement mais poliment. Du côté du Logement, ils étaient bien préparés et ont expliqué leur point de vue. Tout semblait compliqué, des budgets à la direction précédente, en passant par le nombre de logements et d’interventions, sans oublier les locataires. À la fin de la réunion, tout le monde s’est félicité de son bon déroulement, mais qu’avait-on réellement obtenu ? Rien. Certains diront que cela ne sert de toute façon jamais à rien, que les locataires n’ont pas d’influence sur les décisions des dirigeants, tandis que d’autres estimeront que c’est une étape nécessaire pour établir un dialogue à long terme. Nous avons proposé au Logement de nous revoir et de créer ensemble un espace d’échange entre le bailleur et les locataires afin d’améliorer leurs conditions de vie. Ils nous ont répondu que de tels espaces existent déjà, appelés « cocolos » (conseils consultatifs des locataires, avec des représentants élus). Malheureusement, les locataires de notre groupe ont depuis longtemps perdu confiance en une amélioration des choses grâce au cocolo.

À la fin de la réunion, tout le monde s’est félicité de son bon déroulement, mais qu’avait-on réellement obtenu ? Rien.

Créer des solidarités

Les mois suivants, nous nous sommes préparés pour la deuxième Journée des quartiers populaires. Cette fois-ci, elle s’est déroulée dans le parc Ouest, près de Beekkant. Les organisateurs. trices souhaitaient marquer le risque de gentrification dans le quartier en raison du futur PAD Ouest et de la quantité de projets de logements de classe moyenne prévus. L’ULLS a profité de la visibilité de cette journée pour exprimer sa solidarité envers les locataires des tours Machtens. En effet, le Logement Molenbeekois déménageait progressivement les locataires, commençant par ceux des étages 8 à 16 du bâtiment n°1. L’avenir des tours demeure incertain, car il n’y a pas encore eu de communication officielle à ce sujet, seulement des rumeurs circulant dans la presse. Pendant la journée, l’ULLS en a profité pour rencontrer les locataires des tours, créer des t-shirts « I love Machtens » et envoyer des cartes postales de soutien aux habitants des tours.

Après la journée, nous avons continué à soutenir le collectif des tours Machtens dans une rencontre organisée avec la direction. Ils ont réussi à obtenir un moratoire sur les déménagements pendant l’été, l’annulation des états des lieux de sortie et un remboursement des frais de déménagement pour les personnes en difficulté financière. L’Union continuera à soutenir les collectifs de locataires à Molenbeek dans leurs luttes.

Résister dans la durée

Depuis septembre, nous avons établi un rendez-vous mensuel régulier, chaque premier lundi du mois à 18 heures, rue de la Colonne 1. Lors de ces réunions, nous abordons les actualités des différents sites et réfléchissons aux différents points du manifeste sur lesquels nous pouvons avoir une influence. En septembre, nous sommes à nouveau allés à la rencontre des locataires chez eux pour entendre leurs préoccupations et les inviter à rejoindre le collectif. Tant que nous entendrons « c’est ici le pire » partout où nous allons, nous continuerons à nous organiser et à faire bouger les choses pour que la situation s’améliore enfin pour tous les locataires.

En tant que travailleur·euse, les questions persistent : où allons-nous ? Comment obtenir des résultats concrets ? Comment mobiliser davantage ? Nous hésitons entre manifester devant le Logement molenbeekois tous les matins pour exprimer le sentiment de mépris et d’abandon ressenti par les locataires d’un côté et, de l’autre côté, accepter la complexité de la situation, comprendre comment les choses fonctionnent et trouver des améliorations précises. Nous continuons à naviguer dans ces questions. Si nous avons rédigé ces lignes, c’est aussi pour montrer à d’autres qui font peut-être la même chose, qui se posent peut-être les mêmes questions, qu’il est possible de se rencontrer, de se renforcer et de s’entraider.

Tant que nous entendrons « c’est ici le pire » partout où nous allons, nous continuerons à nous organiser et à faire bouger les choses pour que la situation s’améliore enfin pour tous les locataires.