Selon certains experts, nous ne disposons que de 700 gigatonnes de CO2 à émettre si l’on veut rester sous les 2°C de réchauffement climatique. Précisons qu’une gigatonne (Gt), c’est 1 milliard de tonnes. Précisons encore que les émissions de ce gaz à effet de serre ont grimpé de 41,5 Gt par an en 2015 à 43,1 en 2019, alors qu’elles auraient dû baisser de 10%. Comme aucun pays industriel significatif ne suit la trajectoire à laquelle il s’est engagé, la catastrophe est là [1].
Mettons cela en perspective à l’échelle belge : la Belgique produit annuellement 110 millions de tonnes d’équivalent CO2, soit 10 t/Belge. Si les 7 milliards de terriens faisaient pareil, on en serait à 70 Gt/an pour la planète. Et dans 10 ans nous aurions fini de jouer, tous.
Cependant, ces moyennes par habitant masquent les profondes inégalités qui existent entre les humains. Ne perdons pas de vue que les 10 % des plus riches (dont beaucoup de Belges font partie) sont responsables de la moitié des émissions de CO2 mondiales qui sont directement liées à leurs modes de consommation. Si on considère le 1 % des plus riches, leur empreinte carbone est 175 fois supérieure à celle des 10 % des plus pauvres (chiffres Oxfam, 2015). Les responsabilités face aux crises environnementales et au dérèglement climatique ne sont pas les mêmes !
Bien sûr, individuellement, nous n’avons pas le pouvoir de contrôler toutes ces émissions. Mais pour fixer les idées : s’abstenir de parcourir en voiture (à moteur thermique) 8.000 km/an économise 1 t CO2, alors qu’un vol aller-retour Bruxelles-Barcelone en produit 800 kg et Bruxelles-New York, 2,5 t.
Pris dans leur ensemble, les humains consomment plus de 100 millions de barils de pétrole par jour (1 baril = 159 litres). Pour éviter de le brûler tout en préservant la ressource de l’épuisement, il faudrait le réserver aux usages « nobles ». Mais comment le remplacer ?
La tentation est forte de recourir à l’atome. Formidable, l’énergie atomique en termes d’émissions de CO2 ! C’est oublier que l’uranium est lui aussi en voie d’épuisement. Et c’est sans compter les déchets hautement radioactifs qu’il faut enfouir, très profondément, dans des couches d’argiles étanches, pour très longtemps, et les accidents aux effets destructeurs.
Donc, allons vers les « énergies vertes », produites par le vent, l’eau ou le soleil, tous gratuits... Certes. Sauf qu’en termes de quantité d’énergie à produire... c’est plus qu’un défi. La consommation totale de Bruxelles, toutes énergies confondues, est de 19 000 GWh (19 000 milliards de Wh). Pour produire une telle puissance, il faudrait couvrir une superficie de six fois la Belgique en panneaux photovoltaïques.
Bref, on l ́a compris : il nous faut nécessairement consommer moins. Il faut diminuer les quantités de marchandises, raccourcir les transports, relocaliser les productions. Il faut privilégier le transport de masse par voie fluviale et voie ferrée, beaucoup plus efficaces énergétiquement par tonne transportée que les camions sur les routes. Un chantier immense s’ouvre dans l’isolation des bâtiments. Et il faut être attentif à ceci :
un propriétaire qui rénove une maison de rapport récupérera ses frais sur un loyer plus élevé, et cela a des implications sociales. En fait, il faut construire moins de neuf, et plus petit, et ne plus créer (et pas forcément construire) que du logement social, pour contrer l’explosion des loyers. Pour diminuer l’usage de la voiture individuelle, il faut privilégier l’usage des voitures partagées, petites et légères, supprimer l’avantage fiscal aux voitures de société, plutôt, sans doute, que de créer des bornes électriques.
Sortir de notre ébriété énergétique ne se fera pas sans peine. Nous ne pourrons y arriver que si cette sortie est préparée et socialement accompagnée.
Les taxes ne suffiront pas à faire baisser notablement la consommation d’énergie pas plus que l’augmentation du prix de l’énergie qui n’a pas d’effet dissuasif suffisant pour diviser par 4 ou 5 la consommation. Faudrait-il attribuer une sorte de quota énergétique individuel ? Pour éviter le marché noir, il faudrait alors que ce quota ne soit pas transmissible. Pour être juste, il faudrait prendre en compte les situations individuelles. On pourrait imaginer que chacun puisse dépenser son quota à sa guise. Il y aura des résistances au changement, il y aura des renoncements, des choix à faire (illumination du sapin de Noël ou fête de famille ? Changer de Smartphone ou revenir à la 2G ?) [2] . Mais macro sociologiquement, ce sont les plus riches qui devront radicalement changer leur mode de vie, leur empreinte carbone étant notablement plus grande.
Si on s ́y prend mal, cela promet des manifestations houleuses de libertariens, à côté desquelles les manifestations contre les restrictions liées à la Covid-19 ne sont que des plaisanteries. Le système doit être robuste et élaboré démocratiquement, en évitant l’écueil du flicage numérique reproché au Covid Safe Ticket. La Covid-19 nous a pris par surprise. Ici, nous sommes prévenus.
Nous pouvons déjà commencer à créer une culture commune, où passer un week-end à New-York ou rouler en SUV serait regardé avec commisération.
Bonnes fêtes, d’autant plus chaleureuses qu’elles seront (énergétiquement) sobres, ce n’est pas incompatible.
Nous mettons la question en débat. Pour réagir : miseendebat_at_ieb.be
Bruxelles Fabrique, Action Patrimoine Pavés Platanes (APPP), membre de l’Organe d’administration d’IEB.
[1] Thierry LEBEL, « Science et politique, un dialogue impossible ? », Monde Diplomatique, Manière de voir, Vérités et mensonges au nom de la science, oct-nov 2021
[2] L’hypothèse d’un « permis énergétique individuel » est inspirée des travaux de M. SZUBA, auteure de Gouverner dans un monde fini : des limites globales au rationnement individuel, sociologie environnementale du projet britannique de politique de Carte carbone (1996-2010), thèse de doctorat, Université Panthéon-Sorbonne – Paris I, 2014.