Le gouvernement bruxellois vient d’adopter un projet d’ordonnance visant à accélérer la « déconstruction de l’intérieur du Palais du Midi ». À part les façades, le bâtiment sera entièrement démoli, avec ses dizaines de commerces, ses salles de sport et les locaux utilisés par la Haute école Francisco Ferrer. C’est également une procédure spécifique pour modifier le permis d’urbanisme accordé à la STIB pour la station Toots Thielemans qui est instituée. Pour rappel, ce permis avait été délivré en un temps record, et ce deux jours avant les dernières élections régionales – une précipitation qui a induit les autorités publiques et la STIB à négliger les risques de creuser un tunnel à cet endroit. Après la stratégie du fait accompli menée en 2019 [1] et le fiasco d’un chantier à l’arrêt depuis juin 2021, ne resterait-il au gouvernement actuel que la fuite en avant procédurale pour sauver un projet rétrograde et destructeur ?
Quoi qu’il en soit, la « législation exceptionnelle » que constitue cette ordonnance entend éviter une « prolongation excessive du chantier, […] contraire à l’intérêt général » [2]. Concrètement, il s’agit de réduire les délais d’instruction et d’ajouter, pendant la rédaction de l’étude d’incidences, « une étape nouvelle d’information du public en cours d’étude d’incidences et une décision de l’administration en charge de l’urbanisme » (pp. 7-8).
L’ordonnance ne spécifie pas pour qui et pour quoi le Palais du Midi sera reconstruit. C’est une tâche qui incombe à la Ville de Bruxelles, propriétaire du bâtiment. Assurant que les commerçants actuels seraient intégrés au nouveau projet, l’échevin du commerce a pourtant reconnu que ce nouveau projet … n’existait pas encore [3]. Au vu de l’évolution du Pentagone, notamment à la faveur de sa piétonisation récente, on ne peut exclure que la démolition-reconstruction du Palais du Midi ne soit le prétexte à un programme immobilier plus conforme à la touristification du centre-ville, dont l’un des derniers avatars est la transformation de la Bourse en Beer Temple [4].
« Exceptionnelle », la démarche législative du gouvernement pourrait ne pas le rester longtemps. En Belgique et ailleurs, dans de nombreux domaines du droit, il n’est pas rare que des dispositions présentées comme temporaires, exceptionnelles ou circonscrites à certaines situations soient intégrées par la suite au droit ordinaire. Une possibilité que ne semble pas exclure l’interprétation gouvernementale de la jurisprudence : « des législations à l’essai sont vues comme étant des moyens de modifier ensuite, plus structurellement, la législation de droit commun si les avantages escomptés ont été constatés » (p.8).
S’opposer à cette législation ad hoc, ce n’est donc pas seulement refuser la destruction définitive d’une centralité populaire [5], de ses fonctions, de sa socialité : c’est refuser un énième contournement du droit et une ultérieure fragilisation de la démocratie urbaine. C’est pourquoi le collectif Notre Palais / Ons Paleis, dont fait partie IEB, a contacté les parlementaires bruxellois appelés à se prononcer sur ce projet d’ordonnance, à travers une lettre que vous trouverez ci-dessous.
[1] « J’ai fait en sorte qu’il est là (le projet). À la fin de la législature précédente, on avait décidé de rendre tout irréversible. On a prévu de l’argent, on a signé les contrats, délivré les permis […]. Et pour éviter que celles et ceux qui étaient contre le métro bloquent tout le dossier – parce que c’est typiquement bruxellois : on veut quelque chose et ça prend vingt ans pour le réaliser – j’ai voulu que ça avance […] et on a fait en sorte que c’était irréversible. On a fait tous les plans ; le suivi, négocier avec le quartier, ce qui n’était pas facile parce que les gens étaient hostiles. Il y avait des personnes qui en allumaient d’autres… Mais j’ai quand même rencontré une jeune génération qui habite ici et qui a bien compris l’importance du métro. Il ne faut pas regarder qu’aujourd’hui, il faut regarder dans 10, 20, 30 ans et là le métro est absolument nécessaire. », Propos tenus par Pascal Smet dans le film "Stalingrad avec ou sans nous ?", CVB, 2021.
[2] Un « intérêt général » que l’exposé des motifs spécifie en ces termes : une « mobilité améliorée », l’« attractivité du quartier », un « budget maîtrisé ». Rappelons que le projet de métro a) réduit le maillage des transports publics, génère des correspondances supplémentaires et n’a qu’un effet anecdotique sur la charge automobile b) a déjà détruit un quartier – ou anéanti son « attractivité », c’est selon – et c) a vu son budget au moins triplé depuis son lancement.
[3] Conseil communal du 18 septembre 2023
[4] Lire Inauguration du Belgian Beer World dans la Bourse : attention à la gueule de bois du surtourisme
[5] Collectif Rosa Bonheur, La ville vue d’en bas. Travail et production de l’espace populaire, Éd. Amsterdam, Paris, 2019.