Inter-Environnement Bruxelles
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Points de vues divergents sur Villo

Deux associations membres d’IEB ont pris des positions opposées dans le dossier Villo. Une discussion autour d’une bière a réuni un membre de chacune de ces associations pour confronter leurs points de vue. 3 questions ont été échangées et leurs réponses vous sont présentées ici.

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Sylvie Varlez [1].– Si les pouvoirs publics vous suivent et que le système de vélos en libre service est arrêté maintenant, quelles sont les alternatives pour continuer à offrir ce service public ? Alors que si le système a le temps de s’installer, les pouvoirs publics auront plus de peine à supprimer le système, même s’il n’est plus payé par la publicité.

Jean-Baptiste Godinot [2].– JC Decaux ne développe pas des services publics mais vend de la publicité commerciale. Villo est un outil de marketing privé. Cela dit il y a effectivement des vélos mais fabriqués dans des conditions sociales inacceptables (les ouvriers sont payés 2 euros de l’heure)
accessibles par carte bancaire et contre de la pub imposée à tous dans l’espace public. Nous pensons que ce système privé qui, en outre, réalise un profilage marketing des utilisateurs n’aurait pas dû voir le jour. Comment en sortir maintenant ? Comme toujours, le piège publicitaire est bien fermé puisque les Villos sont en pratique peu récupérables en dehors du système
d’exploitation privé de JC Decaux. Mais en taxant la publicité (2-3% du PIB) et les moyens de transports polluants, de véritables politiques de mobilité douce et sociales sont bien sûr possibles, et attendues. Malheureusement les pouvoirs publics ont pris l’habitude de suivre les transnationales (voiture, pub, etc.).

JBG.– Le système « villo » est un produit marketing de la transnationale publicitaire JC Decaux et fait intégralement partie de sa stratégie de conquête de nouveaux marchés. Est-il raisonnable d’espérer que ce produit publicitaire privé serve effectivement l’intérêt général, et à quelles conditions ?

SV.– D’un point de vue pratique, pour l’usager, le service rendu par un vélo en libre service, s’il est disponible, en bon état, qu’il ne doit pas parquer dans son entrée... n’est pas dépendant de son mode de financement. Il en est de même pour la part que prennent les vélos dans les déplacements urbains (et 1 000 000 de km ont déjà été parcourus alors qu’il n’y a même pas un tiers du parc première phase en fonctionnement). Ce n’est donc que si le marché de la pub s’effondre complètement et que Decaux trouve la possibilité légale de supprimer le système Villo que ces
conditions spécifiques auront un effet sur la qualité du service.

SV.– Sachant que dans les villes où un système de vélos en libre service a été mis en place, une augmentation du nombre de cyclistes a été observée, l’intérêt public prioritaire n’est-il pas d’avoir plus de cyclistes plutôt qu’une petite diminution du nombre de dispositifs publicitaires ?

JBG.– Il existe des vélos en libre service publics, comme à Montréal (système BIXI) [3]
Choisir l’option publicitaire revient à entretenir la logique qui ne laisse pas de
place réelle au vélo, et revient également à transformer le vélo en arme publicitaire, un comble ! Pour franchement augmenter le nombre de cyclistes en ville, il faut faire de la place au vélo et donc commencer à réduire la place de l’automobile, ce qui nécessite un changement culturel. Ajouter de la pub (par centaines de mètres carrés) n’y aide pas du tout.

JBG.– La mise en place du système « villo » est conditionnée par l’installation de dispositifs publicitaires qui véhiculent des messages commerciaux dont le but est d’inciter à consommer toujours davantage. Parmi les plus gros clients de JC Decaux figurent les constructeurs automobiles : le système « villo » va immanquablement faciliter la diffusion de la propagande pour la voiture individuelle. A quelles conditions peut-on considérer malgré cela que le produit « villo » et la propagande commerciale qui le financent vont servir l’intérêt général ?

SV.– La présence de publicités est déplaisante, mais les voir ne veut pas dire qu’on doive obéir à leurs injonctions. Qui plus est, elles sont déjà présentes à de nombreux autres endroits comme les abris-bus, les flancs des bus et des trams, les gares de la SNCB..., ce qui n’empêche pas les
transports publics de remplir leur office dans l’intérêt général. Enfin, leur présence sur un vélo qui roule sans soucis dans un embouteillage ou une station Villo dont la majorité des vélos sont en balade peut même susciter une réaction ironique, propice à un changement de mentalité.

SV.– L’amélioration de la santé due à une diminution de la pollution (en moyenne en Belgique, campagnes comprises, l’espérance de vie est diminuée de 13 mois à cause de la pollution de l’air) n’est-elle pas une priorité ?

JBG.– Absolument ! Pour améliorer la qualité de l’air, les solutions sont connues et se rejoignent dans la nécessité impérieuse de réduire drastiquement la consommation d’énergies fossiles. Pour la mobilité, ça
veut dire notamment : beaucoup moins de voitures. Quelques vélos publicitaires en plus n’y changeront malheureusement pas grand-chose. La priorité doit selon nous aller à la réduction, la décroissance de ce
qui est nocif sans quoi les solutions valables ne pourront pas être déployées : ce n’est pas en ajoutant une couche de peinture verdâtre à la méga-machine qu’elle deviendra soutenable.

JBG.– Le « développement durable » promettait une évolution douce vers des sociétés soutenables. Après 30 ans de ce développement durable, nous n’avons jamais été aussi loin dans la crise, laquelle continue de s’approfondir au point de menacer sévèrement les conditions mêmes de vie humaine sur la Terre. Quelle stratégie aujourd’hui pour effectivement défendre et promouvoir l’intérêt général ? Jouer le jeu du système
ne revient-il pas in fine à se faire avaler par lui et aliéner à sa logique
sans avenir ?

SV.– S’il y a 30 ans que le développement durable a été défini, cela ne veut pas dire qu’il est mis en application dans les politiques ou les modes de vie de la majorité de la population, encore moins qu’il est atteint. Des actions sont donc nécessaires pour aller dans ce sens, pour aller dans
l’intérêt général. Et pour défendre l’intérêt général, on peut choisir de s’opposer en bloc ou de transiger. Refuser le moindre compromis peut mener à une situation de blocage, tout en gardant bonne conscience peut-être, mais sans faire avancer la situation. Empêcher le développement du système de vélos en libre service pour refuser des publicités qui sont déjà partout
dans la ville aurait pour conséquence de ralentir encore les solutions aux problèmes de mobilité, de santé, de convivialité de la ville que nous défendons.

En guise de conclusion

Nous sommes tous les deux opposés à la publicité, et tous les deux en faveur du vélo. Le GRACQ accepte la pub parce que jusqu’ici c’est le seul moyen qui permette d’obtenir des vélos en libre service à Bruxelles, dont les avantages lui semblent dépasser les inconvénients. Respire dénonce la pub parce qu’elle est à la fois le symbole et un moteur puissant du système
qui nous mène droit dans le mur. Selon Respire, Villo est le cheval de Troie publicitaire de JC Decaux qui accroît l’emprise de cette transnationale sur l’espace public bruxellois, sans offrir d’alternative réelle de mobilité.


[1Sylvie Varlez représente le GRACQ-les cyclistes quotidiens qui défend les usagers du vélo depuis les années 70. Pour obtenir une meilleure prise en compte des cyclistes dans les politiques de mobilité à tous les niveaux de pouvoir, il privilégie les travaux en partenariat avec les autorités publiques, parce que cela donne de meilleurs résultats à long terme.

[2Jean-Baptiste Godinot représente Respire asbl qui prône une consommation raisonnable et responsable et œuvre pour libérer l’espace public de la publicité commerciale, depuis 2005. Respire critique le système publicitaire et en dénonce l’hypertrophie pour sensibiliser aux dangers de la surconsommation en réalisant un travail de sensibilisation et de pression.

[3BIXI est créé et exploité par « Stationnement de Montréal ».
Les stations légères peuvent être enlaidies par une affiche publicitaire (pas de dispositifs supplémentaires), mais le système est géré par les pouvoirs publics. Voir la revue Urbanité, automne 2009, pp. 46-47.