Lorsqu’il est question de pollution électromagnétique, on songe d’emblée aux antennes-relais. Mais les téléphones portables et tous les objets connectés émettent également des ondes et leur impact sur les organismes est tout aussi problématique.
Les effets thermiques de ces appareils sont mesurés au moyen d’un indicateur, le débit d’absorption spécifique (DAS), qui se calcule en watts par kilogramme (W/kg). L’Europe impose depuis 1999 que le DAS des téléphones portables ne dépassent pas 2 W/kg pour la tête et le tronc humain et 4 W/ kg pour les membres. La Belgique n’effectue pas de tests pour vérifier la conformité des téléphones portables avec la réglementation européenne. Elle se réfère pour cela aux contrôles réalisés en France par l’ANFR (l’Agence nationale des fréquences). En 2015, l’ANFR a procédé à des tests de contrôle sur 95 téléphones portables. Elle a constaté que 89 % d’entre eux présentaient un DAS tronc supérieur à 2 W/kg. 25 % dépassaient 4 W/kg et certains atteignant même 7 W/kg ! Pour autant, les industriels ne sont pas hors la loi. En effet, la réglementation en vigueur à ce moment était particulièrement laxiste. Elle autorisait les fabricants de téléphone portable à décider eux-mêmes la distance à laquelle le DAS tronc était mesuré, avec une limite tout de même de 25 mm. L’ANFR a effectué ses mesures à 5 mm. La réglementation était respectée mais elle n’avait aucun sens. Dans les conditions réelles d’utilisation, la plupart des gens conservent leur téléphone portable dans les poches de leur pantalon ou dans leur chemise, en contact presque direct avec la peau.
Après un long bras de fer devant les tribunaux, Marc Aziri, médecin et initiateur de l’association Alerte PhoneGate [1], obtient que l’ANFR divulgue les modèles incriminés, alors que celle-ci souhaite les garder secret. Son combat contraint l’ANFR à créer un site Data qui fournit les résultats de tous ses tests [2]. Elle refuse néanmoins de publier les rapports originaux de laboratoire sur les téléphones à l’origine de l’affaire, entretenant de graves suspicions sur de possibles dissimulations. Depuis la révélation de ce scandale, la Commission européenne a modifié sa législation. Dorénavant, les tests de certification devront être effectués à 5 mm maximum du corps. Les téléphones portables commercialisés avant le changement de la norme européenne ne sont cependant pas retirés du marché. Ils continuent donc à griller dans les poches de leurs utilisateurs. Alerte PhoneGate a introduit une pétition pour demander que 250 modèles, parmi les plus vendus dans le monde, soient retirés du marché. Sans succès.
Depuis l’entrée en vigueur de la nouvelle législation européenne, l’ANFR a constaté que plusieurs smartphones ne respectaient toujours pas les limites légales. Elle a dès lors exigé des fabricants, soit de les rappeler, soit de réduire leur puissance au moyen d’une mise à jour logicielle. L’ANFR ne souhaite pas aller plus loin, malgré la fraude manifeste de l’industrie des télécommunications. L’association Alerte PhoneGate a dès lors décidé de porter plainte en justice pour, notamment, tromperie et mise en danger de la vie d’autrui contre deux d’entre eux, Xiaomi et HMD (qui commercialise les téléphones Nokia). Ces actions en justice ont pour but de pallier l’absence de contrôle systématique des téléphones mis sur le marché par l’ANFR et d’obtenir des sanctions dissuasives à l’encontre des fabricants.
La prochaine génération de smartphones 5G disposera d’une vitesse de connexion et de transmission de données nettement plus puissantes que les précédentes. Le DAS de ces futurs téléphones sera dès lors probablement beaucoup plus élevé. Le chiffre de 20 W/kg est évoqué aux USA [3]. Pour respecter les limites réglementaires européennes, les constructeurs installeront sans doute un blindage sur les appareils. Mais ce blindage pose question. Sera-t-il efficace quelle que soit la position du smartphone 5G dans les poches ou dans les mains de leurs utilisateurs ?
Répondre à de telles questions sera à l’avenir malheureusement extrêmement difficile. La nouvelle directive européenne sur le « secret des affaires » compliquera encore plus le travail d’information d’associations comme Alerte PhoneGate [4]. Cette directive autorise désormais les entreprises à ne plus rendre public toute une série d’informations sur leurs produits en les couvrant simplement par une clause de confidentialité. Cette confidentialité inclut les informations relatives à la protection de la santé. Autrement dit, avec cette nouvelle directive taillée sur mesure pour les industriels, il ne sera pratiquement plus possible de révéler des scandales sanitaires comme ceux du Phonegate. Avec l’explosion de l’offre des technologies connectées, il paraît pourtant essentiel de disposer de la plus large information sur les niveaux réels d’exposition, non seulement des smartphones mais aussi des tablettes, ordinateurs portables et de tous les objets connectés.
Hélas, c’est loin d’être le cas.
[3] Ondes Brussels, Pollution par ondes et par micro-ondes, 4 juin 2018.
[4] J. KARSENTI et M. AZIRI, Le scandale du Phonegate à l’épreuve du secret des affaires, Médiapart, 11 juin 2018.