Dès sa création, la Région bruxelloise a voulu élaborer des plans encadrant ses compétences : l’urbanisme et l’aménagement du territoire, le logement, l’économie, l’environnement, la mobilité. Le PRDD sera le troisième. Revenons sur les deux précédents : leur genèse, leur ambition et leurs effets.
L’origine
Le premier Plan Régional de Développement (PRD) trouve son origine dans la déclaration du premier Gouvernement bruxellois du 18 octobre 1989. Il s’agit d’établir un plan de législature s’étalant sur cinq ans dont l’objet premier est de protéger les zones d’habitat en empêchant la possibilité de spéculer sur des changements d’affectation. Comme le fait de condamner des logements au profit de nouveaux bureaux. le projet contient un deuxième objectif important : le maintien d’activités industrielles dans la Région.
Le contexte de la naissance de la Région bruxelloise se caractérise par une forte aspiration de la « société civile » à définir son projet propre. l’identité régionale va enfin pouvoir s’affirmer. las, le plan est élaboré dans la discrétion et ce n’est qu’au printemps 1994 qu’il est soumis à l’enquête publique. le projet de plan fait l’objet de près de 10 000 réclamations [1]. Bien qu’il traduise les aspirations progressistes du milieu qui le porte, il est ressenti comme le fruit d’une élaboration « technocratique » et non participative dans la conception. les documents sont longs et rébarbatifs. À cette occasion, les associations demandent que le caractère règlementaire soit pris en charge par un Plan Régional d’Affectation du Sol (PRAS) [2], dont ils réclament l’adoption, ce qui sera fait en 1998.
Quelles sont les évolutions positives depuis 20 ans ? |
Incontestablement la politique de l’environnement et de la gestion de l’eau, des déchets et des espaces verts, à l’exception notable de l’amélioration de la qualité de l’air ; le développement des équipements, à l’exception notable jusqu’ici des équipements scolaires, la construction progressive de l’identité et de l’autonomie politique de la Région,... |
Premier round : les logements face aux bureaux
Alors que la Région souffre déjà d’une vacance importante de bureaux, le PRD permet la construction de près de 2,8 millions de m² de bureaux supplémentaires. Pire, le PRD sera amendé sous la pression des promoteurs en 1997, permettant aux bureaux situés en périmètre d’industrie de doubler leur surface tous les 20 ans ! Le plan dirige les bureaux vers les gares, ce qui paraît à l’époque plutôt une bonne option car tout le monde craint la dissémination des bureaux dans les quartiers et la poursuite du massacre du tissu urbain (le quartier Nord, le quartier Léopold, l’avenue Louise, la rue Royale,... étaient déjà passés à la moulinette). Mais, ce faisant, il sacrifie les îlots mixtes (et leurs habitants) autour des gares, il crée un appel d’air aux promoteurs qui construisent des bureaux neufs pour des entreprises et administrations publiques qui désertent les bureaux périphériques et il confirme la navette comme mode de relation à la ville. Dans ce contexte, les associations demandent la clarification du concept de « charges d’urbanisme » qui vise à compenser les accroissements de superficies de bureaux et qui reste, à ce jour, opaque.
Cependant, la protection de la fonction logement est au centre du plan. la zone de protection accrue du logement couvre toute la première couronne, la zone de protection du logement la deuxième. Des conditions drastiques sont mises au développement des bureaux dans les quartiers centraux et résidentiels. Néanmoins, le plan part du postulat que tous les Bruxellois sont bien logés et qu’il n’y a pas de demande insatisfaite. Les associations réclament davantage d’attention à la lutte contre le logement insalubre et l’accroissement du nombre de logements publics. En 1994, il y a 60 000 chômeurs (40% de plus aujourd’hui) et 27 500 ménages sur les listes d’attente du logement social (30% de plus aujourd’hui)... les hôtels et flat hôtels restent assimilés au logement, erreur d’appréciation qui sera corrigée plus tard. Par contre, les représentations et autres lobbys institutionnels européens disposent aujourd’hui encore d’une sorte d’immunité urbanistique qui leur permet de s’implanter en zone de logement, continuant à miter le quartier Nord-Est de bureaux.
Le volet économique est faible. Certains milieux voient dans le plan une menace sur le maintien des PME à Bruxelles, menace qui ne se confirmera pas. Cependant, les zones industrielles reculent (déjà) dans certains lieux stratégiques comme le centre, le quartier Béco, la gare du Midi, la gare de l’Ouest.
Le volet Environnement paraît peu concret et timide par rapport aux politiques qui ont été mises en œuvre depuis. le plan prévoit une réduction de 5% des émissions de CO2 en 2000, il ne généralise pas les collectes sélectives des déchets, il envisage l’ouverture d’un 4e four à l’incinérateur,... la gestion de l’eau est absente.
Le domaine de la mobilité est sensible et empreint de tabous. le projet ne met pas à l’ordre du jour la révision de la Circulaire dite « De Saeger » qui déterminait généreusement l’attribution des places de parking, il manque d’ambition en matière de transports en commun, il n’accorde pas priorité aux transports en commun de surface, etc. La ligue des Familles demande que le plan aille plus loin : suppression du trafic de transit sur les boulevards du centre, imposition des 30 km/h partout, gestion régionale du stationnement et fiscalité qui fasse porter le coût de la mobilité par ceux qui en bénéficient.
En 1999, le PRD I est évalué par la Région. le rapport [3], réalisé par l’auteur-même du PRD, se révèle une analyse plutôt indulgente des politiques régionales mais pointe déjà la plupart des grands déséquilibres dont Bruxelles souffre encore aujourd’hui.
Le deuxième PrD, à l’ère de la communication
Entamé en 2000, le processus d’élaboration du PRD II fait l’objet d’une enquête publique en décembre 2001, soit deux ans et demi après le début de la 3e législature régionale. la Région se connaît désormais mieux. le projet de plan s’appuie sur une douzaine de cahiers d’analyses sectorielles, dont plusieurs sont confiées à des bureaux d’études mais aussi à des officines immobilières. La première des 12 priorités est de « renforcer l’attractivité et favoriser l’équilibre social en améliorant la qualité de l’environnement urbain ». En ce sens, le PRD II est aussi un programme de rénovation urbaine qui légitimera le renforcement des contrats de quartiers.
Comme son prédécesseur, le PRD II souffre d’une incapacité d’opérationalisation : pas d’échéancier, pas de financement, pas de modalités d’évaluation des politiques menées : « le catalogue de la Redoute sans les prix », dit le PSC. Il apporte de nouveaux concepts territoriaux, à l’instar des « zones levier », qui offrent des perspectives aux promoteurs immobiliers et des « schémas directeurs », dont le premier sera réalisé en 2006 pour la Cité administrative de l’État.
L’aspect dérisoire du volet Mobilité continue de susciter l’ire des associations qui réclament, par exemple, une gestion régionale du stationnement, toujours entravée à ce jour par les Communes. le concept de hiérarchie des voiries suscite un tollé, relève la Commission Régionale de Développement [4]. La part des déplacements en vélo est annoncée à 10% en 2010 (on est aujourd’hui à 4%). Les arbitrages difficiles menés entre les rédacteurs des volets Mobilité et ceux du volet Environnement aboutissent cependant à une résolution spectaculaire et prometteuse : la réduction du volume de la circulation automobile de 20% à l’horizon 2010 ! On attend toujours les « mesures d’accompagnement du RER » et la SNCB refuse en 2001 d’envisager des gares intra-urbaines...
Avec le PRD II, on entre dans l’ère de la communication. le Gouvernement s’adresse directement à la population à l’aide de plaquettes en papier glacé et de spots publicitaires, le Ministre-Président François-Xavier de Donnéa « chatte » avec des élèves du secondaire. C’est aussi le début de la mode du benchmarking, la comparaison avec d’autres villes européennes : à l’aube de l’élargissement de l’Union européenne, la fonction internationale de Bruxelles devient une préoccupation nettement plus visible. la Commission européenne commence à autonomiser sa politique immobilière et la Région s’efforce de quantifier et de planifier les besoins.
Adopté le 12 septembre 2002, le PRD II est l’illustration même d’un outil galvaudé, non mobilisateur, indigeste faute de prioritisation et d’opérationalité, incapable d’introduire les ruptures qui s’imposent devant des constats qui n’ont pour la plupart pas changé en 20 ans : la dualisation sociale continue de s’accroître, l’accès au logement est toujours plus difficile, l’exode urbain des classes moyennes continue malgré la croissance démographique, le chômage et la mal formation des jeunes Bruxellois ne trouvent pas de solution, la pression automobile augmente dans l’impunité la plus totale par rapport aux enjeux environnementaux et de santé publique et les Bruxellois restent au balcon pendant que le troisième PRD s’élabore...
Isabelle Pauthier
et MathIeu Sonck
[1] Contre 356 en 2001 à l’occasion de l’enquête publique sur le 2e PRD.
[2] Le PRAS divise le territoire en zones suivant leur affectation.
[3] Rapport annuel d’évaluation des politiques menées au regard des objectifs du Plan Régional de Développement : Rapport final Vol.1 et 2, COOPARCH, septembre 2000.
[4] La CRD est la commission faitière des conseils d’avis. Elle a pour mission un travail d’analyse, de consultation et de remise d’avis au Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale, sur les avant-projets d’ordonnance, ainsi que sur les projets d’arrêtés relatifs aux matières visées par le Code Bruxellois d’Aménagement du Territoire (CoBAT).