En juillet dernier, l’administration régionale Bruxelles Environnement déposait une demande de permis d’urbanisme pour le projet d’aménagement du Parc de la Senne, en plein cœur du quartier Masui. Ce parcours urbain en intérieur d’îlot doit venir combler le manque important d’espace vert dans cette zone densément bâtie, mais il n’est en réalité qu’un maillon au sein d’un ensemble de projets de rénovation urbaine le long de la zone Nord du canal.
La Senne et le Canal au cœur de Bruxelles
La Senne, cours d’eau principal de Bruxelles est un élément important de son paysage et de son histoire. Elle a fait l’objet d’un voûtement dans son parcours urbain à la fin du XIXe siècle, prétexte à d’importants changements urbanistiques. En grande partie caché aujourd’hui, le lit de la Senne longe majoritairement le canal et constitue, au Nord de la région, la frontière naturelle entre les communes de Schaerbeek et de Bruxelles-Ville. Les terrains non constructibles de la rivière ont laissé par endroit des friches fermées au public en intérieur d’îlot.
Ces terrains appartiennent à la région bruxelloise et seront transformés en un axe verdurisé dédié à la mobilité douce à haut valeur écologique. C’est l’administration régionale Bruxelles Environnement qui gèrera la réalisation du projet dans le cadre des deux contrats de quartier durable « Masui » (Schaerbeek) et « Reine-Progrès » (Ville de Bruxelles). L’aménagement se fera concrètement sur l’ancien lit d’un affluent de la Senne qui s’étend de l’avenue de l’Héliport (Bruxelles-Ville) à la rue des Palais (Schaerbeek) en passant par trois terrains actuellement clos. En plus de la voie de communication douce pour piétons et cyclistes, des zones de potagers, des aires de jeux, de pique-nique et de sport sont également prévues sur tout le parcours.
Le parc de la Senne permettra en outre de relier les espaces verts à venir le long de la ligne de chemin de fer avec les abords du canal qui seront transformés en espace de promenade. L’objectif est l’aménagement d’un itinéraire régional entre le Pentagone et Laeken via le talus du chemin de fer et une passerelle sur le canal Willebroek.
Non loin de cet itinéraire, de grands projets vont bouleverser à terme toute cette zone du Nord de Bruxelles. Tout comme le projet Manhattan l’avait fait en son temps, la réalisation de ces projets risque bien de conduire à l’éviction des habitants des quartiers populaires au profit du développement économique de la ville. Une répétition de l’histoire lourde de conséquences sur le plan social.
Une histoire « voûtée »
C’est à partir de cette rivière, de ses méandres et de ses bras que s’est développé un réseau de rues étroites accueillant des commerces, des ateliers, des moulins, des tanneries, des brasseries, des blanchisseries et bien d’autres activités industrielles. Peu à peu, le cours d’eau perd son utilité de voie navigable au profit du Canal. La Senne est dès lors réduite à une fonction d’évacuation des déchets ménagers et industriels qui ne cessent d’augmenter en raison du développent économique et démographique de Bruxelles tout au long du XIXe siècle.
Après des périodes d’inondations, de sécheresses et une épidémie de choléra, la décision est prise de voûter la rivière pour tenter de remédier aux problèmes causés par celle-ci. En 1871, le bourgmestre Jules Anspach inaugure la fin des travaux du premier voûtement de la Senne. Le cours d’eau enfoui est réaménagé en boulevard monumental (bd Anspach) et de nouveaux quartiers viennent remplacer les anciennes habitations afin d’attirer une population plus fortunée.
La loi de 1858 sur l’expropriation pour assainissement des quartiers insalubres va permettre de vider les habitants facilement et à bas prix ce qui permettra de transformer le projet en opération spéculative, la plus-value obtenue lors de la revente des terrains devant permettre de financer les travaux. L’avenir de la population évincée n’intéresse pas grand-monde, puisqu’elle ne paye pas d’impôts et ne dispose pas encore du droit de vote à cette époque.
En 1955, la décision est prise d’étendre l’enfouissement de la Senne en amont (Anderlecht) et aval (Laeken). Aujourd’hui, la Senne est souterraine sur 6 kilomètres et coule sous les boulevards de la ceinture. La transformation du centre de Bruxelles opérée lors de ces voûtements a été tellement profonde que le souvenir même de la rivière s’est progressivement effacé chez la plupart des Bruxellois.
Pourtant, des initiatives sont prises pour en rappeler le passé et certains rêvent, même si c’est loin d’être à l’ordre du jour, de revoir la Senne à ciel ouvert à Bruxelles.
Fil rouge urbanistique d’une coulée de ciment vert
Tout comme la Senne l’était en son temps, le canal est aujourd’hui l’épine dorsale de la transformation urbanistique de Bruxelles. Les anciens quartiers industriels qui le bordent sont devenus un territoire socio-économique fragilisé et sont pour ces raisons en grande partie repris dans un périmètre de Zone d’Intervention Prioritaire (ZIP) qui bénéficie du soutien du Fonds Européen de Développement Régional (FEDER).
Les pouvoirs publics et les promoteurs y voient une opportunité pour le développement de la région bruxelloise et la réalisation d’une série de projets lucratifs. Le projet de « marketing urbain » vise d’ailleurs à améliorer l’attractivité et l’image de ces quartiers afin d’attirer davantage d’investisseurs et d’habitants plus aisés.
Le parc du lit de la Senne et les espaces de promenade qui viendront s’y accoler vont permettre de créer une inter-connexion physique entre l’ensemble des projets qui vont bouleverser à terme le Nord de Bruxelles.
Rénovation et exclusion
Le quartier du parc de la Senne et ses environs subissent donc de profondes mutations soutenues essentiellement par le secteur privé avec l’appui des pouvoirs publics. Plusieurs de ces projets reconfigurent fondamentalement leur environnement et entraîneront un changement social important dans ces quartiers et, plus globalement, dans l’ensemble de cette partie de la région bruxelloise. Une réflexion profonde devrait être menée sur le concept même des processus de rénovation urbaine qui amènent une transformation physique des anciens quartiers populaires, mais n’apportent aucune solution aux difficultés sociales de leurs habitants, voire contribuent à leur éviction vers d’autres zones moins favorisées encore.