La Campagne de réquisitions solidaires prend fin, la lutte pour le droit au logement et la régularisation des sans-papiers continue ! [1]
Nous sommes le 18 décembre 2020, la Campagne de réquisitions solidaires (CRS) est lancée lors de la journée internationale des migrants : un premier bâtiment est réquisitionné à Saint-Gilles. « L’hospitalière », ancienne clinique Antoine Depage, bâtiment public appartenant au CPAS de 1000 Bruxelles. Cette occupation sera la première d’une série de 6 réquisitions. Quelques mois plus tard, le 28 mars, à l’occasion de la journée d’actions pour le droit au logement, la Campagne annoncera sa dissolution. L’occasion donc de revenir sur les revendications, les objectifs, les luttes et les défis auxquels elle a fait face durant ces 3 mois d’activités.
Réquisitionner des bâtiments privés ou publics vides et inexploités, pour permettre le relogement de collectifs et de personnes sans papiers et/ou sans logement.
La Campagne de Réquisitions Solidaires appelle à la prise de conscience et à la mobilisation de tous·tes, la solidarité est indispensable, aujourd’hui plus que jamais. Ni le gouvernement fédéral, avec sa politique migratoire inhumaine, ni la Région bruxelloise, avec son nouveau Plan d’Urgence pour le Logement, ne fournissent des réponses à la hauteur des besoins. Face à cette inaction, nous répondons « régularisation et toujours plus de réquisitions » ! (page facebook de la CRS – « à propos », avril 2021)
La campagne, ce sont des collectifs et associations de personnes avec et sans-papiers, d’acteur·ices du droit au logement, mais également des citoyen·nes et habitant·es de Bruxelles qui désirent se mobiliser pour faire valoir deux droits fondamentaux face à l’inaction des pouvoirs publics : le droit au logement et la régularisation des sans-papiers. Le mode d’action : réquisitionner des bâtiments privés ou publics vides et inexploités, pour permettre le relogement de collectifs et de personnes sans papiers et/ou sans logement. Derrière ces actions concrètes, les revendications sont claires : « Un toit et des papiers pour tous ».
Notre campagne était une réponse solidaire et autoorganisée face à la crise sociale et sanitaire. Nous nous organisons avec nos moyens pour faire respecter le droit au logement, en occupant des bâtiments vides avec celles et ceux qui en ont besoin. (idem)
Malheureusement, « celles et ceux qui en ont besoin » représentent un nombre important et croissant de personnes. Avant la crise sanitaire déjà, le nombre de personnes en situation précaire et/ou en attente d’une régularisation de leur situation était élevée. Mais ce chiffre n’a fait que grandir depuis la crise sanitaire et la mise en œuvre des mesures que nous avons vécues (fermeture de guichets, perte d’emplois, etc.). Ce que dénoncent aussi les membres des CRS c’est « l’absurdité » de la situation bruxelloise : des milliers de personnes dorment en rue (augmentation de 30 % par rapport au recensement de 2018, selon Bruss’help [2]), tandis que des milliers de logements et de bâtiments sont vides.
La campagne a visé également à dénoncer la criminalisation des occupations et des squats, l’inhumanité des expulsions et a prôné pour une politique publique qui encadre les loyers, qui construit des logements sociaux et fait du logement un réel droit fondamental. Mais elle dénonce également la politique migratoire et la situation complexe dans laquelle se retrouvent de nombreuses personnes migrantes et sans-papiers :
En plus de la crise Covid, ces personnes doivent endurer des délais d’attente de plusieurs années dus au traitement des dossiers, le règlement Dublin qui déporte des personnes du jour au lendemain de leur pays d’accueil, l’accès aux soins médicaux entravés : ce sont quelques-unes des conséquences catastrophiques d’une politique migratoire inhumaine qui sévit sur la vie de plus de 2 millions de personnes en Europe. Le respect de leurs droits fondamentaux demande un changement de politique, via la régularisation des personnes sans-papiers, l’ouverture des frontières, la libre circulation, la fermeture des centres fermés et la création de voies migratoires sûres et légales. (page facebook de la CRS – « à propos », avril 2021)
Si vous avez manqué les temps forts de la campagne, en voici une sélection.
Le vendredi 29 janvier, un nouveau bâtiment « est ouvert ». Il s’agit d’un bâtiment propriété de CityDev et situé à Molenbeek. CityDev c’est l’ancienne SDRB (la société de développement régional de Bruxelles créée en 1974). Cet organisme d’intérêt public qui avait pour mission principale « l’expansion économique », s’est vu confier depuis une trentaine d’années la mission de créer du logement acquisitif « abordable pour les classes moyennes ».
Dans ce cadre, CityDev acquiert des terrains et bâtiments sur lesquels sont construits des logements qui seront vendus à des propriétaires occupants issus de la classe moyenne, avec un subside de 30 % du prix réel. L’objectif ? Maintenir les « classes moyennes » à Bruxelles. Le bâtiment de l’ancien American Tobacco était ainsi dans le portefeuille immobilier de Citydev, et demeurait vide.
La campagne avait comme objectif d’y reloger les 200 personnes migrantes sur le point de se faire expulser de l’occupation temporaire de Jette (dans un bâtiment dont le propriétaire est Action Damien).
Les pouvoirs publics (et ici spécifiquement la Région bruxelloise) n’ont pas « su » trouver de solution de relogement pour ces personnes… jusqu’à ce que la Campagne ne leur en impose une. Coup de théâtre, quelques jours après le relogement des 200 personnes dans le bâtiment réquisitionné, ces mêmes pouvoirs publics se sont vantés et félicités d’être arrivés à une solution « par eux-mêmes ». Ainsi, la commune de Jette déclarera par communiqué de presse que : « Au terme de nombreuses réunions avec les ministres compétents […] une solution définitive a été trouvée pour que toutes ces personnes soient relogées dans des conditions sécurisées et décentes. Les derniers occupants ont quitté l’endroit ce lundi matin. La majorité des occupants ont été relogés dans un bâtiment situé à Molenbeek avec une convention d’occupation signée avec CityDev. » (« Jette : les occupants du squat de la rue Longtin relogés », www.bx1.be, 22.02.2021)
Cela alors que, comme l’explique la Campagne, les pouvoirs publics se sont réunis pendant plusieurs mois, sans arriver à aucune proposition de relogement pour ces personnes. La solution forcée par la campagne aurait quant à elle pu être envisagée d’emblée puisque la Région était en possession d’une solution toute prête avec le bâtiment de Citydev, mais elle n’a été envisagée que lorsqu’elle a été mise face au fait accompli, à travers l’occupation du batiment. Cette récupération médiatique est problématique à plus d’un égard. La CRS y répondait en ces termes : « Rappelons que nos actions de réquisitions solidaires sont des actions directes, qui nous font courir des risques juridiques et répressifs. Si – face à leur inaction – nous sommes obligé·es de faire leur boulot, les pouvoirs publics pourraient au moins avoir la décence de se taire ! » (Page FB, publication du 23.02.2021)
Vendredi 26 février, la Campagne de Réquisitions Solidaires frappe à nouveau, mais cette fois-ci, ce ne sera pas si simple. Elle s’attaque en effet à un mastodonte, l’ancien hospice Pacheco, propriété (à nouveau) du CPAS de 1000 Bxl. Un bâtiment vide depuis 4 ans.
Comme lors de précédentes ouvertures, il s’agissait de mettre le lieu à disposition de personnes sans-abri et de collectifs précarisés, dont la Voix des sans-papiers. Contrairement aux cas précédents, les autorités de Bruxelles-Ville ont refusé le dialogue en vue d’établir une convention d’occupation et ont répondu par l’expulsion et l’arrestation des militant·es pour le droit au logement présent·es. (Lettre ouverte aux autorités communales et responsables du CPAS de Bruxelles-Ville, 06.03.21)
LA justification avancée par Philippe Close (Bourgmestre) et Khalid Zian (président du CPAS de Bruxelles 1000) était qu’un projet d’occupation temporaire était sur le point d’être lancé par le CPAS, et que pour occuper le bâtiment, il « suffirait d’y répondre ». Pointant par ailleurs l’illégalité de l’action de la Campagne, criminalisant ses participants et clamant leur non-volonté de traiter avec des personnes/collectifs qui agissent « de la sorte ». Et la Campagne de répondre ;
L’appel à projets pour l’occupation du Pacheco spécifie bien que le logement n’y est pas autorisé.
Il est temps d’inverser la logique : si nous ouvrons des bâtiments vides sans discussion au préalable, c’est bien parce que c’est notre dernier recours . C’est uniquement en occupant sans concertation préalable des bâtiments publics vides que nous parvenons à négocier des contrats d’occupation temporaire pour des personnes précarisées ou sans-abri. Nous aimerions pouvoir faire autrement, nous aimerions que les autorités publiques prennent leurs responsabilités et assurent à tou·tes les citoyen·nes vivant sur leur territoire le respect de ce droit fondamental qu’est le droit au logement, garanti par l’article 23 de la Constitution. (idem)
Mais l’occupation temporaire prévue par les pouvoirs publics dans le bâtiment Pacheco soulève un autre problème crucial pointé dans l’interpellation de la Campagne au Conseil communal : en effet, l’appel à projets pour l’occupation du Pacheco spécifie bien que le logement n’y est pas autorisé. Ce qui rendait une demande par voie légale impossible et ce qui pose en toile de fond la question des ambitions politiques derrière le recours actuel aux « occupations temporaires ».
Les pouvoirs publics n’ont pas « su » trouver de solutions de relogement pour ces personnes… jusqu’à ce que la Campagne ne leur en impose une.
De manière plus globale, nous invitons les autorités publiques à questionner la tendance actuelle de gentrification des occupations temporaires : ce type d’appels à projets, tel que celui publié pour le Pacheco, se multiplient ces derniers temps : See U, Tri Postal, StudioCityGate, etc. Or, ces projets participent, par les activités qu’ils mettent en place et le type de publics qu’ils attirent, à une gentrification de l’espace public, pendant que les personnes les plus précaires demeurent exclues. Quand un bâtiment vide peut convenir pour du logement, nous pensons qu’il est de votre responsabilité d’en faire une priorité. (idem)
En effet, nous sommes nombreux·ses à constater que la plupart des bâtiments vides appartenant aux pouvoirs publics sont confiés sur appel d’offres à des collectifs et des entreprises qui agissent dans des tas de domaines, mais qui, pour la plupart, excluent le logement. Pour certains bâtiments cela se justifie sans doute. Mais pour de nombreux autres bâtiments, comme c’est le cas du Pachéco, ce recours aux occupations « artistiques » ou aux « micro-entreprises » – et la publicité qui en est faite ensuite par les pouvoirs publics –, nous semble plus tenir d’une volonté de revaloriser l’image d’un quartier, de le rendre « attractif » et « branché ». Cette revalorisation symbolique n’est pas sans conséquence puisqu’elle s’accompagne doucement mais sûrement d’un renchérissement des prix des loyers et du foncier.
28 mars 2021. À l’occasion de la journée d’action pour le droit au logement [3], la Campagne n’a pas démenti sa réputation. Elle a fait d’une pierre deux coups : annonçant sa dissolution et réalisant une sortie magistrale.
Un immeuble situé avenue Louise et rue de Livourne vient d’être occupé pour assurer un logement stable à des personnes avec et sans-papiers en quête de tranquillité et d’équilibre, dont de nombreuses familles avec enfants. Il s’agit de la 6e occupation de la Campagne de Réquisitions Solidaires, qui annonce aussi la fin de la campagne. (Page FB, publication du 28.03.2021)
La campagne a tapé fort pour cette réquisition. Si, à l’heure ou nous écrivons ces lignes, l’issue des négociations est encore incertaine, elle touche directement au capitalisme à qui elle donne un visage… Les propriétaires de la Rue de Livourne sont, en effet, La Famille de Spoelberch.
Il s’agit de l’une des 3 familles les plus riches de Belgique, qui a racheté ce bâtiment en 2016 pour la modique somme de 18 millions d’euros. Le bâtiment demeure depuis lors inoccupé et vide.
La Campagne de réquisition, c’est aussi la possibilité de mettre la focale sur les inégalités au cœur de notre société. Si la famille Spoelberch possède de nombreux domaines (Wespelaar à Haecht – 90 hectares –, le château de Flawinne et le château de Drietoren à Londerzeel), ce n’est pas parce qu’ils et elles « travaillent beaucoup », c’est préciement une histoire de famille. Actionnaires majoritaires de AB Inbev, cette famille est à la tête d’une fortune estimée à 14 milliards de dollars. Une fortune qu’ils ont de tout temps tenté de préserver via l’optimisation et la fraude fiscale, leur nom étant apparu dans les Panama Papers.
La famille Spoelberch nous l’explique clairement : la lutte pour le logement est aussi une lutte pour la répartition des richesses. Tant que certain·es dormiront dans un château différent chaque jour, d’autres dormiront à la rue. (Page FB, publication du 28.03.2021)
Après un peu plus de trois mois, et le soutien de plus de 50 organisations de la société civile qui ont affirmé que ses actions, bien qu’illégales, sont justes et nécessaires, la campagne se renomme « Réquisitions Solidaires » : « Nous avons maintenant pris la décision de clôturer notre campagne de réquisitions solidaires… ou plutôt de la transformer. Ceci afin d’éviter la répression, la récupération ou l’instrumentalisation de notre action par des pouvoirs publics dont nous pallions l’inaction.
Désormais, nous voulons sortir des radars et favoriser la décentralisation et la multiplication des actions. Il est plus que jamais nécessaire de continuer à soutenir des ouvertures, à occuper les bâtiments vides, à se battre contre la spéculation immobilière et contre les expulsions, pour l’expropriation des multi-propriétaires, pour la baisse des loyers, pour que chacun et chacune puisse se loger, à se mobiliser pour la régularisation de toutes et tous. Ces revendications ne sont pas nées avec la campagne et elles ne cesseront pas d’exister : appelons chaque personne à s’organiser afin de se faire entendre.
Face au risque de répression et de récupération, sachons nous rendre insaisissables. Soyons nombreux et nombreuses à nous saisir du pied de biche ! Rassemblé·es ou dispersé·es, il n’y a aucune raison pour que notre motivation se fane : nos combats continuent.
Régularisation et toujours plus de réquisitions ! » (Page FB de la CRS, communiqué du 29.03.2021)
[1] Cet article se base sur le suivi de la campagne de réquisition solidaire au travers de ses communiqués de presse et de sa page Facebook, récemment renommée « Réquisitions solidaires Bxl-Solidaire Opvorderingen Brussel »
[2] https://www.rtbf.be, 17 mars 2021.