Mathieu Sonck — 5 juillet 2011
Un projet de modification partielle du Plan Régional d’Affectation du Sol (PRAS) a été lancé par Charles Picqué : le PRAS « démographique ». Les associations demandent au gouvernement d’abandonner immédiatement ce projet de révision du PRAS. A ce stade, celui-ci est inutile : il ne répond ni à la hausse attendue de la population bruxelloise et encore moins à la dualisation sociale.
En janvier dernier, Charles Picqué mettait sur la table du gouvernement bruxellois un projet d’arrêté ouvrant la procédure de modification partielle du Plan Régional d’Affectation du Sol (PRAS) [1]. Le nouveau PRAS, dit « démographique », doit répondre au défi démographique auquel la Région fait face. Selon le cabinet de Charles Picqué, « modifier le Pras avant le PRDD [2] permettrait de gagner deux ans. Quand on connaît l’urgence de la crise du logement à Bruxelles, on n’hésite pas longtemps » [3]. Depuis, l’arrêté est approuvé et un rapport d’incidence va être élaboré cet été, tambour battant. Le PRAS démographique devrait être adopté dans le courant du premier trimestre 2012, avant les élections communales.
A l’heure où, dans le cadre de l’élaboration du futur « Plan Régional de Développement Durable », les ateliers participatifs impliquant de nombreux représentants de la société civile battent leur plein, il convient de s’interroger sur le bien-fondé du « court-circuitage » que constitue le PRAS
démographique. Car faut-il rappeler que décider de réviser le PRAS avant le PRD, c’est contraire au bon sens. D’abord, on décide d’une vision stratégique, puis on décide des actions à prendre, pas le contraire !
Les associations signataires demandent au gouvernement d’abandonner immédiatement le projet de révision du PRAS. A ce stade, celui-ci est inutile : il ne répond ni à la hausse attendue de la population bruxelloise et encore moins à la dualisation sociale.
Les associations demandent que les considérations qui précèdent soient discutées dans le cadre de l’élaboration du PRDD, sur base de données objectives sur les besoins en logement sociaux, d’équipement de proximité, de crèches et d’établissements scolaires et de types d’activités productives pourvoyeuses d’emploi faiblement qualifié, objectifs affirmés avec force par tous les participants aux ateliers du PRDD en cours d’élaboration. En particulier, les associations demandent que des logements sociaux et abordables soient construits en masse et que le gouvernement se concentre sur le vrai défi de la Région : la dualisation sociale.
Les associations réclament également que soient discutés les moyens à mettre en œuvre pour augmenter la maîtrise publique du foncier bruxellois et l’élaboration de règles qui contraignent le marché immobilier à répondre aux véritables besoins de notre Ville-Région. En particulier, les associations demandent que 25% des logements construits dans les grands projets privés soient des logements sociaux.
Le lecteur qui désire approfondir sa réflexion sur ces questions est invité à se reporter au dossier en annexe.
L’exposé des motifs du gouvernement est à cet égard éloquent : il s’agit de « faire face à une pénurie de logements en Région bruxelloise, pénurie qui risque de s’aggraver dans les années à venir du fait d’une augmentation démographique importante au sein de la Région ». [4]
Le 15 juin dernier, à l’occasion d’un colloque organisé par le Conseil Economique et Social, Charles Picqué complétait sa pensée en insistant sur le fait que sa priorité n°1 devait être la lutte contre la dualisation sociale et que le PRAS démographique pourrait y contribuer.
Dans l’exposé des motifs de l’arrêté, les éléments à prendre en compte en vue de la modification du PRAS sont les suivants :
Les questions que tout citoyen doté d’un esprit logique se pose à la lecture des éléments qui précèdent sont les suivantes : en quoi le PRAS démographique répondrait-il au boom démographique et comment permettrait-il de réduire la fracture sociale ?
Le besoin en logements dans la Région n’est pas neuf. Rappelons que près de 50% de la population bruxelloise remplit les conditions d’attribution d’un logement social et que 38 000 familles sont inscrites sur les listes d’attente. Cette situation est notamment la conséquence d’un manque
d’opérationalité des pouvoirs publics pour la construction de logements sociaux neufs ces trente dernières années.
Il y a pourtant plus d’un milliard d’euros dans les caisses de la Région destinés à la rénovation et la construction de logements sociaux.
Il est frappant de constater que les deux zones appartenant aux pouvoirs publics qui sont concernées par le PRAS démographique sont destinées à accueillir prioritairement un centre de congrès international, un centre commercial, des bureaux, un hôpital et des activités productives. La
fonction logement est très largement accessoire dans les options d’aménagement de ces zones.
La Région compte donc principalement sur la dynamique des investisseurs privés pour répondre à la croissance démographique. Cette option a été confirmée le 15 juin par le Ministre-Président devant les participants au colloque du Conseil économique et social. Malheureusement, la majorité des
nouveaux habitants attendus dans les dix prochaines années sera due à la natalité propre aux quartiers populaires et aux migrants qui arrivent dans ces quartiers. Il est très peu probable que les investisseurs privés répondent à une demande en logement issue de Bruxellois dont les revenus sont
faibles.
Le PRAS démographique ne vise donc pas à renforcer le droit au logement pour tous.
Avec le PRAS démographique, le gouvernement projette d’introduire une dose de mixité fonctionnelle dans des zones jusqu’alors dévolues aux activités productives et portuaires. Certains des logements qui s’y construiront seront des logements de luxe, principalement destinés à une
clientèle internationale, aux revenus majoritairement défiscalisés.
L’annonce du PRAS démographique a déjà été anticipée par les marchés. Il y a un an déjà, un promoteur interrompait une transaction de la SDRB en doublant l’offre d’achat d’un terrain industriel en bordure du canal. Aujourd’hui, des projets fous se multiplient : une marina sur le quai de Biestebroeck, une « gated community » de 140 mètres de haut au droit du pont de Armateurs. On ne compte plus les projets de logement spéculatifs sur des terrains industriels proches de la zone du canal. La volonté affirmée de la Région d’autoriser l’introduction de logements sur ces zones, sous prétexte de mixité fonctionnelle, y condamne certains types d’activités productives. A moyen terme, ce type de logement, par les exigences de leurs occupants, sera très probablement déclaré incompatible avec des activités industrielles pourvoyeuses d’emplois infra-qualifiés. La mixité fonctionnelle en zone portuaire ou industrielle au bord du canal condamnera à terme l’usage des quais à des fins de transbordement et l’option du transport fluvial qui est pourtant stratégique pour répondre aux futurs chocs pétroliers.
Certains pensent que les hausses foncières ont également des effets collatéraux sur les quartiers environnants, majoritairement populaires : la hausse des prix liés à ces projets se diffuse bien audelà de la parcelle visée, provoquant l’éviction des habitants les plus précaires.
Il est évident que la lutte contre la dualisation sociale ne passe par l’éviction des classes populaires de la Région. Le PRAS démographique ne répond pas dès lors pas à l’objectif visé.
Faire sauter le seul verrou restant aux pouvoirs publics pour contrôler le développement de zones jusqu’alors dévolues aux activités productives et portuaires, ce serait irresponsable. A moins de penser que le rôle des pouvoirs publics est de jouer au promoteur sur les zones dont ils sont propriétaires.
Le cahier des charges du rapport d’incidence du PRAS démographique prévoit d’étudier la possibilité de capter les éventuelles plus-values générées par les changements d’affectations. Cette ambition a peu de chances d’aboutir pour deux raisons. La première, c’est que le marché a déjà anticipé les changements d’affectation : les promoteurs spéculent déjà sur nombre de terrains industriels. La seconde, c’est que la captation des plus-values menaceraient les projets des plus grands bénéficiaires de ces changements d’affectation, c’est-à-dire la Région et la Ville de Bruxelles elles-mêmes. Les projets de la Région sur le site de Delta sont en effet financés par la plus-value générée par la construction de bureaux pour la Commission européenne. De même, le centre de congrès de la Ville de Bruxelles prévu sur le site du Heysel ne pourra être financé que par un mégacentre
commercial.
Les pouvoirs publics ne pourront pas capter les plus-values pour construire des logements sociaux
Au fond, rien n’a changé sous le soleil : évoquer des « chancres », des zones précarisées, déprimées, insécures, insalubres, mal fréquentées, etc. c’est reproduire le scénario du quartier Nord : céder à vil prix des terrains bien situés pour des affectations plus juteuses mais pas forcément sociétalement intéressantes ni urbanistiquement intégrées. Les associations refusent la spéculation sur les terrains industriels situés autour du canal. Le prix des terrains industriels est bas car cette accessibilité doit permettre l’implantation des activités d’industries urbaines créatrices d’emploi. Laisser entrevoir qu’ils pourraient y faire autre chose, en fonction de la demande supposée du marché, c’est encourager la spéculation.
L’étude sur base de laquelle le Cabinet Picqué affirme mener sa réflexion doit être rendue publique.
Il importe de définir PRÉALABLEMENT à toute modification du régime juridique de ces zones quel type d’industries Bruxelles devra se relocaliser en ville. Il faut PRÉALABLEMENT mettre en place des mécanismes de maîtrise foncière, de captation de plus-value, de compatibilité des affectations entre elles et d’imposition de quotas de logements sociaux dans les projets privés, cette dernière proposition ayant rencontré une large adhésion des participants aux ateliers du PRDD.
Pour reprendre la réponse du Président de la SDRB à Charles Picqué lors du colloque précité, « on veut bien faire des choses complexes mais on ne voudrait pas que d’autres puissent faire avant des choses trop simples ».
Pour répondre aux besoins, il faut construire en masse des logements sociaux et des logements publics abordables. Cette nécessité implique que les pouvoirs publics affinent les projections, déterminent exactement les besoins et y consacrent majoritairement les terrains qui s’y prêtent et qui sont en leur possession. Si les pouvoirs locaux persistent à ne pas collaborer à cet objectif, la Région devra élaborer des formes de préemption plus efficace, en particulier en deuxième couronne.
Un apport massif de logements accessibles aura un effet déprimant sur les prix du marché et diminuera la dualisation sociale.
Pour réduire la fracture sociale, il faut éviter la spéculation immobilière qui provoque l’éviction des classes populaires et préserver les terrains susceptibles d’accueillir des activités productives pourvoyeuses d’emplois faiblement qualifiés. Annoncer cette option à l’occasion du présent processus d’élaboration du PRDD devrait calmer la fougue spéculatrice des acteurs les plus « dynamiques » du marché immobilier et réduire les pressions sur celui-ci.
[1] Le PRAS divise le territoire en zones suivant leur affectation. Toute délivrance de permis d’urbanisme doit lui être conforme.
[2] Le Plan Régional de Développement Durable est un document stratégique dans lequel le Gouvernement bruxellois définit ses intentions pour le futur de la Région de Bruxelles-Capitale. Il indique la vision (horizon 2020 et 2040) qu’il souhaite suivre dans les différents domaines de l’action publique qui relèvent de son territoire. (source : www.adt-ato.be)
[3] « En 2012, le Pras démographique », Le Soir, 20 janvier 2011.
[4] Ces différents point sont tirés du projet de cahier des charges du rapport sur les incidences environnementales du projet de modification partielle du PRAS, avril 2011.