Inter-Environnement Bruxelles
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Opération tiroir à Saint-Lazare

La société de logements sociaux HBM [1] a entrepris une vaste opération tiroir dans le cadre de la rénovation et de la démolition-reconstruction de trois immeubles à Saint-Josse. Nous sommes allés à la rencontre des locataires.

© Axel Claes et Elise Debouny - 2021

Au-delà des coûts importants qu’elles engendrent, les opérations tiroirs ne se font évidemment pas sans mal au vu du nombre de personnes à recaser, car tel est bien le principe, les sociétés de logements sociaux ont l’obligation de proposer un autre logement à l’ensemble des locataires concernés lorsqu’ils vident un immeuble pour le rénover ou le reconstruire. Malheureusement, le nombre de logements disponibles est relativement réduit, d’autant que la liste de candidats locataires pour le logement social ne cesse de s’allonger et que les sociétés de logement se doivent de répondre à cette demande là aussi. En plus de ces difficultés pratiques, c’est le vécu des locataires qui interpelle dans ce genre de situation. Dans le cas qui nous occupe, c’est en mai 2014 au terme d’une longue procédure, que les derniers locataires ont quitté les lieux. C’est à ce moment que nous avons pu rencontrer certains d’entre eux.

M. est un ouvrier de 50 ans, marié, quatre enfants. Cette famille de 6 personnes vivait depuis 8 ans dans un appartement 2 chambres au moment où nous les avons rencontrés. M avait, depuis plusieurs années, fait une demande de mutation vers un logement adapté à sa composition de ménage, sans aucune réponse. « Impossible de mettre un lit à mes enfants ». L’exiguïté des pièces obligeait les enfants à s’entasser dans une chambre avec deux fois deux lits superposés et sans armoire. Les problèmes d’insonorisation rendaient tout repos impossible.

« Je n’ai pas été averti, j’ai été trahi. » M. était révolté de la manière dont il a été averti de l’opération de rénovation. Il ne s’attendait pas du tout à la nouvelle. On lui avait annoncé qu’il allait être relogé dans un logement équivalent à celui qu’il occupait jusqu’alors. Il a voulu refuser et espérait obtenir un appartement d’au moins trois chambres, voire quatre.

« J’ai souffert dans cet appartement ! » Pour couronner le tout, après la décision de rénovation, la tour, déjà vétuste, a été laissé à l’abandon, aggravant un peu plus les conditions de vie des locataires. La famille tombait régulièrement malade à cause de l’humidité et des courants d’air. Elle a tenté de pallier les manquements du logement de diverses manières, notamment en chauffant plus. « Comment je vais payer ? » M. avait reçu le décompte de charges individuelles et des communs qui, en une année, avait explosé.

« Je travaille et je paie (donc) plus que les autres... Avec l’humidité, comme j’ai des enfants donc en hiver, je chauffe non-stop... C’est quoi ces décomptes de charges ? » M. se sent floué. Il a le sentiment de ne pas avoir été entendu dans ses demandes et n’a pas eu la possibilité de refuser le logement qu’on lui proposait. C’était ça ou rien, malgré le fait que la SISP se doit en principe de proposer un logement adapté à la situation familiale.

A. est une femme de 29 ans, sans emploi, mariée, un enfant, qui vit sous le toit de sa mère dans un appartement deux chambres. « On nous a prévenus, il y a deux ans. » Les habitants avaient reçu un courrier les prévenant du début des travaux de rénovation et de leur départ prochain de leur logement. On avait fait bien comprendre à A. qu’il valait mieux pour elle d’accepter l’offre de relogement sous peine de se voir expulsée. « Le bâtiment, c’est comme une grande famille ». A. avait tissé des liens forts avec ses voisins proches comme éloignés. Pour elle, le relogement est vécu comme un déracinement. Des liens sincères s’étaient créés entre habitants. Toute une organisation d’entraide entre locataires s’était construite au fil du temps. Maintenant, ce lien social si difficile à tisser est détricoté en l’espace de quelques mois. Les plus chanceux se retrouvent disséminés aux quatre coins de la commune. Les autres se voient contraints d’aller habiter dans une autre commune où ils n’ont parfois jamais mis les pieds.

« On finit par lâcher. » Cette jeune mère de famille a tout tenté pour résister au déménagement qui lui était imposé. Elle a cherché de l’aide auprès de l’assistante sociale du service logement, elle a entamé une procédure de médiation et de conciliation et a même fini par faire appel à un avocat. Au final elle a décidé de laisser tomber et d’accepter avec résignation le sort de sa famille, car la situation était tendue et poussait tout le monde au bord de la dépression. « On va finir par se lasser. »

V. est une femme de 64 ans, pensionnée qui vit avec sa mère âgée. V. est quasiment née chez HBM. Sa mère est malade et à mobilité réduite. Elles occupent un appartement deux chambres au 3e étage de l’immeuble. « Où on va aller ? À la maison de repos ? » Cela faisait presque deux générations que la mère de V. logeait à la même adresse. Ces deux femmes ont toujours voulu rester le plus autonomes possible. Leur plus grande angoisse était de se retrouver en maison de repos. Le logement social est vu par les personnes âgées comme une solution financière puisque le loyer est calculé sur base de leurs revenus. « Comment on va faire avec nos petites pensions ? »

Et puis il fallait à ces deux femmes un logement accessible pour une personne à mobilité réduite. « Comment je vais faire avec ma mère ?... Il nous faut un rez-de-chaussée. » V. s’occupe presque à temps plein de sa maman. Elles vivaient dans l’angoisse d’être séparées. Vu la situation de santé de sa mère, V. avait demandé à être relogée à un rez-de-chaussée, mais la première offre d’HBM était un appartement au 7e étage. « On va aller en justice. » Elles étaient prêtes à aller jusqu’au bout pour obtenir satisfaction, menaçant même HBM de poursuites judiciaires. Malgré leur âge, leurs faibles moyens financiers et leur état de santé, elles ont introduit une requête auprès du juge de paix. Malheureusement, même dans ce cadre-là, elles n’ont pu obtenir gain de cause.

« On est bloquées... On est attachées aux souvenirs. » Comme tous les autres résidents de la tour, l’attente du relogement a figé leurs vies et a été à la source de nombreuses angoisses. Ces deux femmes étaient les mémoires vivantes d’un quartier qu’elles doivent aujourd’hui quitter. En fin de compte, personne n’aura pris en considération ni leurs demandes, ni leur attachement à cet univers.

Samy Hadji


[1HBM : « Habitations Bon Marché »