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Non à la ville tout en béton

Isabelle Hochart – 24 juin 2016

Conserver des espaces verts en ville est devenu pour de nombreux Bruxellois un enjeu majeur, non seulement pour le bien-être des citadins, mais aussi et surtout pour lutter contre la dégradation générale de l’environnement et l’urbanisation sauvage de la ville. À Koekelberg, un projet immobilier n’a pas résisté à la pression des habitants qui se sont farouchement mobilisés pour la sauvegarde d’un petit morceau de nature menacé par un projet immobilier.

Peu à peu les derniers espaces verts et sauvages de la région de Bruxelles-Capitale disparaissent sous le béton et de plus en plus d’habitants s’insurgent contre cet asphaltage intensif de la ville et se mobilisent pour préserver friches, parcs et autres potagers. À titre d’exemple, le comité Koekeliek a Koekelberg a habilement mené le combat contre un projet immobilier qui devait s’implanter sur le dernier petit espace de verdure du quartier.

Le lieu est en plus symboliquement important pour les habitants qui s’y retrouvent régulièrement pour y cultiver quelques légumes, entretenir le compost et surtout papoter entre voisins dans un écrin de verdure où les oiseaux gazouillent encore en liberté. La perspective de le voir remplacé par 158 logements et leur lot de parkings a offusqué les riverains qui ont rapidement organisé des réunions d’informations, fait circuler une pétition et ont astucieusement joué avec les réseaux sociaux pour se faire entendre, en premier lieu par les autorités communales.

En dehors de la disparition du jardin, les riverains ont également dénoncé un projet de logements considéré comme inadapté au contexte du quartier et un rapport d’incidences lacunaire notamment sur des problèmes liés à la mobilité, mais aussi à l’imperméabilisation des sols.

L’arrivée de nouveaux habitants dans un quartier devrait être anticipée en examinant bien sûr les critères urbanistiques comme les gabarits et le respects des normes en général, sans oublier les aspects environnementaux et sociaux. La présence d’espaces de détente, parcs, friches ou jardins sont essentiels et pour la qualité de vie d’un quartier et pour la préservation de la biodiversité. Ce qui n’était vraisemblablement pas la préoccupation première du promoteur immobilier.

Laissez-nous des jardins

À la lecture du rapport d’incidence lié à la demande permis, l’espace vert qui relie l’avenue de l’Hôpital Français à l’avenue de la Basilique est présenté en page 5 comme « un petit parc (pelouse et quelques arbres) » quelconque et peu digne d’intérêt. Les habitants et jardiniers du quartier ont un tout autre regard sur cet un îlot de verdure qui est actuellement une zone refuge pour de nombreux oiseaux et autres espèces de la petite faune des villes. C’est aussi une surface de pleine terre à préserver d’autant plus que ces espaces contribuent au maintien de couloirs écologiques essentiels pour la sauvegarde de la biodiversité. En l’état, il fait surtout le bonheur des riverains qui y cultivent quelques parcelles et des enfants qui peuvent y jouer en toute sécurité tout en découvrant les richesses multiples de la nature.

Le rapport d’incidences est tout aussi lacunaire concernant l’eau. La présence du Paruck (affluent du Molenbeek) est évoqué comme insignifiante et le rapport considère en page 27 « que le site lui même n’est pas sujet aux inondations ». Si le site est aujourd’hui épargné par la montée des eaux en cas de fortes pluies, c’est certainement parce qu’il n’est pas bétonné et que l’eau peut donc percoler dans la surface de pleine terre encore existante. Le dossier mentionne en page 19 la présence de 4 saules, ces arbres signalent la présence d’eau qu’ils absorbent d’ailleurs en quantité importante. Deux de ces arbres auraient déjà été abattus. Les effets cumulés de leur disparition, de l’imperméabilisation des sols et de la suppression d’une surface de pleine terre auront des conséquences certaines en terme de gestion de l’eau. Les inondations risquent de se multiplier et d’impacter les habitations en contrebas du site. Ces différents aspects ne semblent pas avoir été suffisamment pris en considération.

D’autre part, ce projet de logements va supprimer un espace vert indispensable à la qualité de vie des habitants actuels et futurs. Des jardiniers y ont installé des potagers et c’est un lieux de quiétude qui favorise la rencontre et la convivialité indispensable à la qualité de vie d’un quartier aussi densément peuplé et pauvre en espaces de détente. Si le parc de la Basilique de Koekelberg est relativement proche, il est cependant indispensable pour l’atteindre de franchir un axe important où circulent voitures et trams, il est de plus déjà très fréquenté. Par contre, le petit espace de verdure de l’avenue de la Basilique à l’avantage d’être à proximité immédiate des habitations, son accès est donc relativement aisé pour les riverains et il serait pertinent d’y aménager des structures de détente pour petits et grands et de renforcer par la même occasion les liens sociaux entre les habitants.

Le permis devrait autoriser les constructions en front de rue uniquement et préserver un maximum l’espace vert présent. Le projet se verrait en plus doté d’une plus-value intéressante, puisque les futurs occupants pourraient bénéficier de jardins pour les rez de chaussée, d’une vue dégagée et plus agréable tant pour les aspects visuels que sonores. En effet, les bruits des installations techniques et des activités de la vie humaine, en intérieur d’îlot fermé et densément peuplé et qui plus est bétonné, se répercutent intensément. C’est également un aspect qui n’a pas été examiné, mais qui mériterait cependant d’être pris également en considération.

Assez de voitures !

Le projet proposé offre une trop grande densité de logements, lesquels accompagnés de leur lot de parkings participeront à l’engorgement des voitures aux heures de pointe dans une ville qui étouffe déjà sous l’effet toxique des particules fines produites par la densité du trafic automobile. Il est temps de stopper cette logique qui incite à l’emploi trop facile des voitures individuelles. Est-il absolument nécessaire de prévoir une voiture par logement dans une ville comme Bruxelles ou métro, trams et bus offrent des possibilités de déplacements relativement confortables et rapides ? Des alternatives existent : les transports en commun, des systèmes de co-voiturage ou de voiture partagée via Cambio, les stations Villo, etc. Le rapport d’incidences n’est pas très crédible sur cette question, en effet concernant le taux d’occupation de stationnement, les chiffres annoncés font référence en page 48 aux données du monitoring des quartiers datant de... 2006 ! La circulation et le taux de population ont considérablement changés en 10 ans. Ce qui a également évolué, ce sont les enjeux liés aux changements climatiques et leurs conséquences dans un avenir proche : les récentes inondations à Bruxelles risquent de se reproduire et les impacts de la pollution générée par le trop grand nombre de véhicules ont également des effets nocifs sur notre santé. Il est temps d’être pro-actif pour autant que faire se peut et réduire ces risques par une urbanisation raisonnée et responsable qui invite à la pratique d’une mobilité douce.

Stop au tout spéculatif

Si le projet se réalise, les logements seront destinés à la vente ou à la location. IEB rappelle que Bruxelles manque cruellement de logements accessibles aux ménages les plus modestes. Or, la commune de Koekelberg possède un parc de logements sociaux évalué à 6,44%, ce qui est très en dessous du quota exigé par l’objectif fixé par la région bruxelloise qui est de 15% (source : cadastre du SPF finances et observatoire du logement 2013).

Des charges d’urbanisme pourraient être demandées à l’occasion du permis d’urbanisme pour la prise en charge d’ un quota de logements sociaux sur le site à la place de résidence pour personnes âgées, comme proposé dans le projet, déjà présentes en très grand nombre dans la commune.

Les projets immobiliers s’invitent et parfois s’imposent dans nos villes et les quartiers avec des motivations purement spéculatives ; jamais ou très rarement avec une approche globale qui prendrait en considération les besoins essentiels des habitants – de tous les habitants et surtout des plus fragiles – et encore moins avec une préoccupation environnementale. Une urbanisation raisonnée et responsable devrait prendre en considération ces enjeux. Il faut intégrer d’urgence les questions récurrentes en matière de mobilité et de préservation des espaces verts afin de privilégier la qualité de vie de l’ensemble de la population. Les projets doivent également examiner la gestion de l’eau dans son ensemble avec plus de précaution et lui accorder une attention particulière en phase avec les recommandations du Plan de Gestion de l’Eau et les enjeux futurs liés aux changements climatiques.

Les instances communales sont en première ligne pour être les garants de l’avenir des quartiers surtout quand ceux-ci disposent encore de réserves foncières. Leurs meilleurs alliés sont sans aucun doute les habitants qui devraient être plus souvent associés à la réflexion concernant les questions délicates de l’aménagement du territoire et des espaces publics.

par Isabelle Hochart

Chargée de mission urbanisme de 2010 à 2016.