Inter-Environnement Bruxelles
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Nature en ville et le District du canal

Bruxelles est plus verte que vous ne le pensez. Parcs, bois, Forêt de Soignes, jardins privés, cimetières, terrains de sport… plus de 8 000 hectares d’espaces verts, la moitié de la surface de la Région, qui contribuent à notre qualité de vie, à notre santé et au développement d’une importante biodiversité.

Longtemps, la plupart des autorités ont vu les espaces verts comme un « gaspillage » d’espace, un luxe, la toute dernière affectation qu’on « accorde ».

Nous tous, les 1 150 000 habitants de Bruxelles, bénéficions donc de 70 mètres carrés d’espaces verts par personne. Malheureusement, cette masse d’espaces verts est cruellement mal répartie. Intéressons-nous à ce que nous appellerons cette partie urbaine, le District du canal, délimité entre Simonis, la place Rogier, la gare du Midi, l’Abattoir d’Anderlecht et la gare de l’Ouest – qui compte une superficie analogue à celle du Pentagone et plus de 100 000 habitants. On y « aurait droit » à... 750 hectares d’espaces verts ! Difficile à réaliser dans les 500 hectares disponibles...

Dans le district du canal, il y a 4,5 hectares d’espaces verts ou 0,5 mètre carré par habitant. On n’y trouve aucun vrai « parc ». A peine quelques espaces de jeux qui sont majoritairement minéralisés : le « parc » Bonnevie, le « parc » de la Fonderie, le « parc » de la Rosée, le « parc » E. Pierron, le « parc » Fontainas. Dans la littérature professionnelle, on ne parle d’un « parc » qu’à partir de 4 à 5 hectares. L’espace vert le plus grand dans le District du canal, c’est l’espace Fontainas qui compte 1 hectare ! Pour réaliser ce que signifie un tel manque, on doit y vivre assez longtemps, sans voies de repli : sans voiture pour aller à un vrai parc qui est à 25 à 45 minutes à pied [1] ; sans famille à la campagne en Wallonie ou en Flandre ; sans moyens pour régulièrement aller à la mer,dans les Ardennes ou en vacances.

L’espace vert, un luxe ?

Il est remarquable de constater que plusieurs de ces soi-disant « parcs », des espaces de jeux, sont le fruit des luttes des habitants et leurs comités de quartier ou d’organisations sociales : Bonnevie, Pierron, Fonderie, Rosée, Fontainas… Longtemps, des autorités ont vu les espaces verts comme un « gaspillage » d’espace, un luxe, la toute dernière affectation qu’on « accorde ». Des résidus persistants de cette mentalité se retrouvent dans la politique de plusieurs de nos autorités. Pendant toute l’histoire de notre ville à partir du dix-neuvième siècle, on n’a jamais prévu l’aménagement d’espaces verts convenables dans les quartiers situés dans le bas de la vallée de la Senne. Au contraire, dès que le problème des inondations a été contrôlé avec le voûtement de la Senne en 1871, on a soigneusement rempli et bâti tous les nouveaux terrains constructibles sur les deux rives du nouveau canal vers Charleroi. D’abord on a sacrifié les jardins des couvents et des monastères (les Chartreux ; les Riches Claires) et ensuite, les quelques grands parcs privés : le domaine du Petit Château à Bruxelles-Ville et le Prado ainsi que le domaine de Vandermaelen à Molenbeek. ces terrains ont été affectés aux industries : car les coûts de transport et de construction restent toujours plus bas sur un terrain plat, quelle que soit la force de travail : humaine, des animaux ou des machines (bateaux, chemins de fer, voitures). La vallée de la Senne, cette vieille zone inconstructible par les inondations trop régulières, était devenue The Golden West de l’expansion économique de la ville. Ce n’est qu’à la fin du dix-neuvième siècle, sous le règne de Léopold II, qu’on a planifié et aménagé plusieurs grands parcs dans la nouvelle couronne bourgeoise autour du centre historique de Bruxelles : le Domaine Royal et le parc de Laeken, le jardin Botanique, le parc Josaphat, le parc du Cinquantenaire,...

De l’urbanisme ou de la charité ?

La bourgeoisie bruxelloise a très vite compris la nécessité de créer pour elle-même un environnement vivable dans les villes en expansion. Les espaces verts, publics et privés, furent reconnus comme éléments prioritaires. D’abord comme « embellissement » mais très vite aussi comme des éléments indispensables à la santé publique.

A la fin du dix-neuvième siècle, surtout en Grande-Bretagne, a paru « la maladie anglaise », le rachitisme, qui faisait rage dans les quartiers prolétariens des grands centres et villes industrielles. La cause était le manque de la vitamine D par manque de lumière pour les enfants qui travaillaient jusqu’à 14 heures par jour dans les usines et les mines presque sans lumière ni ventilation et « habitaient » des impasses et des cités dans des circonstances qu’on ne peut plus imaginer. Les autorités ne cherchèrent pas de solutions qui auraient pu s’inscrire dans une réglementation plus stricte de l’aménagement de ces quartiers : plus d’espaces libres dans les îlots ; les rues plus larges et les constructions moins hautes ; la diminution de la densité de construction ; plus d’espaces publics, plus d’espaces verts... Ces solutions étaient par contre demandées et en général bien appliquées dans les quartiers bourgeois. Pour les quartiers industriels, la solution fut cherchée dans la charité ou la philanthropie individuelle. Les enfants bruxellois, pauvres et malades, étaient envoyés à la côte dans des dizaines des cliniques, des sanatoriums, des instituts médicaux, spécialement construits pour les enfants de Bruxelles et financés par des « philanthropes ».

Tout cela, c’est l’histoire. Mais si on examine la situation actuelle, on découvre que l’essentiel n’a pas tellement changé. Jusqu’à nos jours, presque rien n’est fait pour dédensifier et humaniser le District du canal. Certes, on a « vidé » une partie du centre de Molenbeek pour y construire en plein air le métro. Dans l’ouverture créée, il y a maintenant l’espace de jeux Bonnevie de 0,4 hectare mais pas un « parc ». Au cours de la longue période d’abandon de ce district, les autorités n’ont pris aucune initiative pour s’approprier des terrains, à cette époque à des prix très bas, pour créer un ou plusieurs poumons verts de minimum 4 à 5 hectares. Même depuis que la Région de Bruxelles-Capitale est « maître » sur ce point, on n’a rien fait. Dans le PRAS de2001, il n’y a rien de prévu pour créer un vrai parc. Idem pour le nouveau PRAS « démographique » et le PRD « Durable ».

Comment vivre dans le District du canal ?

A la Porte de Ninove, il y a maintenant une zone virtuellement « libre » de 4 à 5 hectares dont 0,8 hectare sous forme d’espaces verts et 3 à 4 hectares« disponibles ». On pourrait y créer un vrai « parc » de 4 à 5 hectares. Un triangle de 0,5 hectare est la propriété de Besix Red, une entreprise privée dans le secteur immo-architecto-constructo. Tout le reste est déjà ou deviendra sous peu propriété publique. La Région veut y construire des logements, comme Besix sur son propre triangle. Le PRAS 2001 impose un « parc » de minimum 1 hectare. On y arrivera à peine en agrandissant un peule total de l’espace vert existant. Construire du logement à cet endroit précis, la Porte de Ninove anno 2012, est une mauvaise idée. Premièrement, on n’a l’occasion de créer un parc de 4 à 5 hectares au centre de la ville qu’une fois par siècle et il reste plusieurs autres possibilités et occasions de construire des logements à Bruxelles, même dans les quartiers limitrophes. Deuxièmement, la densité de population dans le District du canal – 20 000 habitants par kilomètre carré – est telle que chaque ajout d’habitants y diminue disproportionnellement la qualité de vie. Enfin, on ne peut que construire des logements de mauvaise qualité à la Porte de Ninove : on y est enfermé entre 2 à 3 axes de circulation (tram, bus et voitures) et le canal. Le mot « wonen » en néerlandais se traduit par « habiter » ou par « vivre » en français. C’est quand même plus que « être logé ». C’est plus que trouver un logement de passage, comme les « expats » ou ceux qui cherchent un pied-à-terre au centre de Bruxelles. Quid avec ces jeunes qui s’installent à Bruxelles après leurs études... jusqu’au moment où ils constatent combien il est difficile de trouver un espace vert pour leur enfant ou que leur bébé a plus vite qu’ailleurs besoin d’un aérosol-doseur ? Quid avec ces dizaines de milliers de gens qui sont sur une liste d’attente pour un logement social ? Ils ont tous droit à un bon logement : avec un espace vert de qualité de 1 hectare dans leur voisinage (à 150 – 400 mètres) et un vrai parc de qualité de 4 à 5 hectares dans leur quartier (à maximum 800 mètres).

Nature(s) en ville