Dans cette étude, nous revenons de façon critique et documentée sur le projet "Métro 3". Reprenant la genèse de ce projet, nous exposons les manquements et les risques de ces grands travaux tant du point de vue de la mobilité, que de l’environnement ou du domaine social et économique, notamment en abordant la transformation des quartiers traversés. Au premier chef, le quartier de l’avenue de Stalingrad qui nous est conté par certains des ses commerçants. Finalement, nous abordons plusieurs possibilités d’alternatives en matière d’investissement dans les infrastructures de mobilité publique à Bruxelles.
Dans un contexte de forte demande de mobilité en ville, un réseau de transports en commun moderne et efficace apparaît comme la meilleure solution face aux embouteillages et à la pollution. C’est aussi un moyen d’assurer une égalité d’accès aux différentes zones du territoire, de répondre aux problèmes de santé publique causés par la pollution atmosphérique et à certains besoins économiques de la ville. Bruxelles ne fait pas exception à ces enjeux contemporains, d’autant plus que la région connaît bien des soucis de mobilité avec une forte utilisation de la voiture par ses habitants, qui représente encore 32 % des trajets intra-bruxellois. À laquelle il faut aussi bien sûr ajouter les navetteurs qui viennent y travailler tous les jours. Chaque jour de semaine, ce sont plus de 370 000 voitures qui circulent à Bruxelles uniquement pour les déplacements domicile-travail et dont plus de la moitié appartiennent à des navetteurs.
Les demandes de déplacements ne font qu’augmenter et même si le nombre de Bruxellois possédant une voiture a tendance à diminuer, le nombre de kilomètres parcourus en voiture, lui, suit la tendance inverse [1]. L’objectif phare du précédent Plan de Mobilité Régional Iris 2 était d’atteindre en 2020 une diminution de 20 % des distances parcourues en voiture par rapport à 2001. En 2018, cette ambition plafonnait à une diminution de … 2 %.
Au niveau des déplacements internes à la Région, on observe que la part de la voiture pour les petits déplacements, qui pourraient être effectués à vélo ou à pied, est encore beaucoup trop importante. Si la congestion automobile a de lourdes conséquences économiques et environnementales, elle empêche également le développement des alternatives : c’est l’insécurité liée au trafic qui est le principal frein à l’augmentation de la marche et du vélo.
Parallèlement à cette réalité, la STIB, et l’on peut s’en réjouir, doit répondre à une fréquentation de ses véhicules (en particulier du tram) qui ne fait qu’augmenter d’année en année. Ainsi, pour 2018, ce sont 417,5 millions de voyages qui ont été réalisés. La croissance démographique future, annoncée en 2016 à 10.000 nouvelles personnes par an, demande également que soient prévus des aménagements pour augmenter le nombre de personnes transportées. Il faut toutefois noter que cette augmentation a été nuancée en 2019 par le Bureau fédéral du Plan qui a revu son chiffre à la baisse, soit autour de 3600 personnes par an [2].
La STIB connaît d’ores et déjà des problèmes à répondre à la demande sur certaines lignes et aux heures de pointe. Ces problèmes sont cependant moins liés à la capacité des véhicules qu’à un bouleversement des fréquences de passage et aux retards de ses véhicules de surface. En effet, l’ omniprésence de l’automobile à Bruxelles entraîne des embouteillages dans lesquels se trouvent coincés les véhicules de la STIB. Une partie de la solution réside dans l’isolement en voirie des véhicules via la construction de sites propres pour les lignes qui n’en sont pas encore équipées.
Mais l’espace des rues n’étant pas extensible, leur construction implique d’opérer un arbitrage de la place accordée aux différents modes et en particulier à une réduction de l’emprise de la voiture qui, entre voie de circulation et espace de stationnement, utilise plus de 58 % de la voirie [3]. Cette diminution de l’espace accordé à l’automobile dont a besoin la STIB est historiquement difficile à réaliser en raison de l’opposition occasionnelle de certains riverains et commerçants, mais principalement des communes elles-mêmes.
C’est dans ce contexte que le gouvernement régional a décidé de mettre en chantier une nouvelle ligne de métro. Ce dernier, plus capacitaire que les véhicules de surface et permettant d’assurer des fréquences de passage régulières, dispose à la fois généralement d’une bonne image auprès des utilisateurs du transport en commun et permet à Bruxelles de rayonner à l’international. En effet, dans la concurrence que se mènent les villes européennes, voire les régions belges, pour attirer des investissements et des capitaux, le développement de nouvelles infrastructures prestigieuses fait office d’appel d’air. Le gouvernement bruxellois veut faire de cette ligne emblématique, la colonne vertébrale de son réseau de transport public et le moyen de provoquer un report modal des véhicules particuliers vers le transport en commun.
Cette ligne portant le numéro 3 devra relier la station Albert à Forest à une nouvelle station Bordet à créer à Evere. Elle implique de transformer l’actuel pré-métro bruxellois, initialement conçu comme un aménagement temporaire avant la mise en place d’un métro lourd et parcouru par les trams 3, 4 et en partie par les trams 51 et 32, ainsi que le creusement d’un nouveau tunnel de 5 km entre la Gare du Nord et Bordet. Huit nouvelles stations seront alors construites sur le territoire de la Région. Sept d’entre elles sur la commune de Schaerbeek et d’Evere tandis que la première sera érigée sous l’avenue Stalingrad (anciennement « Constitution », aujourd’hui renommée « Toots Thielemans »), au sein de la Ville de Bruxelles. La nouvelle ligne de métro est destinée à remplacer le tram 55 qui relier Rogier à Bordet et présente des problèmes de saturation entre la Gare du Nord et la Cage aux Ours (Place Verboekhoven).
Le feu vert est donné par le gouvernement régional en 2009, initialement pour un coût de 750 millions d’euros et une mise en service prévue en 2021. Dix ans plus tard, les travaux commencent sur la section Albert-Nord pour une mise en service prévue en 2024 et finalement en 2030 pour l’axe Albert-Bordet. Le coût lui, est désormais estimé à minimum 2 milliards d’euros, soit près de la moitié de l’entièreté du budget annuel de la Région Bruxelles-Capitale. Un montant qui pourra encore augmenter en fonction de la méthode d’exécution des travaux et des imprévus de chantier.
Si le montage de financement n’est pas clair, ce qui est certain c’est que 72 % de ce coût devra être pris en charge par la Région de Bruxelles-Capitale et par l’État fédéral via Beliris, le reste devant échoir à la STIB. On parle de 1,5 milliard d’euros à la charge de la région bruxelloise, de quoi empêcher, comme nous le verrons, d’autres investissements nécessaires dans la mobilité, voire dans d’autres politiques bruxelloises.
La volonté politique à mener ce projet coûte que coûte est-elle totalement étrangère au fait que le futur métro desservira la commune du Ministre-Président Rudi Vervoort (Evere) ou fait qu’il permettra une meilleure desserte de la périphérie flamande et une amélioration des conditions de déplacement des navetteurs venus de Flandre ? La question mérite d’être posée dans la mesure où le Fédéral, via Beliris, tend à favoriser des investissements ayant des retombées positives pour les intérêts flamands.
Au vu de l’importance du coût, il est alors légitime de s’intéresser aux bénéfices et de se demander si cet investissement est raisonnable et utile, tant à court qu’à long terme. La question mérite d’être posée d’autant plus que les visions de mobilité exprimées par la Région dans le Plan Régional de Développement Durable (PRDD) et le nouveau Plan de Mobilité Good Move font la part belle aux lignes de transports en commun « structurantes », surtout utiles pour les longs trajets, et que d’autres projets d’extensions de lignes de métro sont à l’étude sur le long terme.
Cette étude a pour objet d’apporter des éléments de réflexion et de critique à ce projet soutenu par l’ensemble des formations politiques. Elle s’attachera dans un premier temps à détailler ces critiques et à examiner les multiples conséquences globales de la mise en œuvre de ce projet.
Dans un deuxième temps, nous exposerons les implications du projet pour les différents quartiers traversés avec un focus tout particulier sur la première station à être construite dans l’avenue de Stalingrad .Enfin, nous analyserons différentes alternatives à cette ligne de métro telles qu’exposées par différents chercheurs.
Il ne fait nul doute que Bruxelles a besoin de nouvelles lignes de transport, mais celles-ci se doivent d’être conçues avec le service aux usagers en ligne de mire avant toutes considérations politiques, techniques ou budgétaires. Or un rapide tour d’horizon des détails du projet de métro 3 permet de faire apparaître de nombreux problèmes ayant autant trait à sa conception qu’à sa mise en œuvre ou à son exploitation : opacité et conflits d’intérêts dans la conception, nouvelles correspondances pour un certain nombre d’usagers, temps de parcours rallongés par la profondeur des stations, report modal de la voiture vers le métro quasi inexistant, quartiers dévastés par de longs et importants chantiers, incertitudes quant au report du coût du projet sur les usagers de la STIB et la collectivité en général, bilan environnemental désastreux de la construction, participation citoyenne et information au public inexistante, voire manipulation des chiffres ou malhonnêteté intellectuelle sur les données visant à justifier sa nécessité… Face à cette liste non exhaustive, il faut se rendre à l’évidence : un autre transport public est non seulement possible, mais nécessaire !
Pour continuer confortablement la lecture de cette étude en profitant d’une mise en page agréable, agrémentée de quelques illustrations, télécharger le document .pdf ci-dessous
Table des matières | Pagination dans le document |
Introduction : Pourquoi un nouveau métro ? | 3 |
Première partie : Metro 3, tour d’horizon d’un projet très problématique | 5 |
Conflit d’intérêts dans l’étude d’opportunité : le péché originel ? | 5 |
Un financement incertain aux lourdes conséquences pour la Région bruxelloise | 8 |
Un projet sans effet sur la circulation automobile | 12 |
Effets sur le réseau existant : suppression du tram 55 et création de nouvelles correspondances | 14 |
Un bilan environnemental catastrophique | 18 |
Vous avez dit « participation citoyenne » ? Habitants et commerçants systématiquement tenus à l’écart | 19 |
Deuxième partie : N’éventrons pas Bruxelles | 21 |
L’impact des chantiers du métro 3 sur les quartiers : l’exemple de l’avenue de Stalingrad | 23 |
Troisième partie : Quelles alternatives au projet de métro 3 ? | 30 |
Mettre en site propre | 31 |
Enterrer la ligne de 55 | 32 |
Améliorer la coopération métropolitaine | 33 |
Réorganiser les transports en commun | 36 |
Améliorer le système de signalisation dans le pré-métro | 36 |
Renforcer le service public | 37 |
Conclusion | 37 |
[1] Ermans Thomas, « Les ménages bruxellois et la voiture », Focus n°32, IBSA. Juin 2019.
[2] « Perspectives démographiques 2018-2070 Population et ménages », Bureau fédéral du Plan, janvier 2019.
[3] « Pourquoi mieux partager l’espace public, aujourd’hui encore largement occupé par la voiture ? », Diagnostic de mobilité du Plan Good Move, p.15, janvier 2019.