Inter-Environnement Bruxelles
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Métro Nord : Face à un monde qui change, Beliris force le pas pour tenter de sauver le projet

Métro dessin © Manu Scordia - 2020

La pandémie actuelle accélère la nécessité de repenser nos habitudes de mobilité et d’investir dans les réaménagements de l’espace public. Les pouvoirs publics lancent pourtant une procédure de marché public pour les chantiers du tronçon Nord-Bordet du métro 3 alors que l’étude des incidences environnementales du projet et de ses alternatives est toujours en cours et que les procédures d’enquête publique et de concertation n’ont donc de facto pas encore eu lieu. À l’aube d’une nouvelle crise économique, qui imposera de peser le pour et le contre de chaque euro investi par la Région, est-il judicieux de persévérer dans la construction d’une infrastructure qui coûtera au minimum deux milliards d’euros au contribuable ?

Dès la semaine du 20 avril, l’ensemble des chantiers du métro 3 disposant des permis ont repris sur l’axe Albert-Nord. C’est notamment le cas pour la station Toots Thielemans située avenue de Stalingrad, dans un quartier commerçant et d’Horeca qui, contrairement à d’autres, aura beaucoup de mal à récupérer des pertes liées au confinement à cause de plusieurs années de travaux lourds et invasifs qui entraîneraient la disparition de plus de 1000 emplois directs ou indirects.

En mai 2019, lorsque le permis d’urbanisme a été délivré par le fonctionnaire délégué de la Région, deux jours avant les élections, nous apprenions que le marché public pour la station avait été lancé de nombreux mois auparavant sur un projet déjà ficelé, empêchant tout amendement suite aux très nombreuses remarques soumises par les riverains, commerçants et associations. Rappelons également que la modification du Plan Régional d’Affectation du Sol relative au métro Nord fait toujours l’objet d’un recours au Conseil d’État, de même que le permis d’urbanisme. Malgré cela, la Région et la STIB ont décidé de continuer à avancer coûte que coûte, sans jamais se remettre en question...

Aujourd’hui, ces mêmes pratiques antidémocratiques se répètent. Tandis qu’aucune enquête publique de demande de permis n’a encore eu lieu pour la deuxième section Nord-Bordet du métro 3 et que l’étude d’incidences environnementales n’est pas clôturée, Beliris a lancé le 13 mai dernier le marché public pour les 4,5 km de tunnel à construire ainsi que les 7 nouvelles stations de métro.
Cette politique du « fait accompli » et du « coup parti », omniprésente dans ce dossier depuis ses origines, intervient cependant dans un nouveau contexte lié à la crise sanitaire que nous traversons.

Car en ce début de récession économique, les modalités de financement du projet restent floues. Beliris interviendra à hauteur de 50 millions par an pendant 10 ans, soit un montant total de 500 millions d’euros et pas un centime de plus. Tout le reste du budget ainsi que tous les dépassements, inévitables dans ce genre de projet, seront aux frais de la Région bruxelloise . Elle qui n’avait déjà pas les moyens d’assurer cette charge financière avant la pandémie ne risque pas d’avoir de nouvelles marges de manœuvre au moment où il faudra faire des croix sur certaines promesses de la déclaration gouvernementale.

Selon Éric Corijn, « contrairement à la reconstruction d’après-guerre, il serait peu judicieux de mettre beaucoup d’argent dans les grands travaux d’infrastructure, les routes, les métros ou les usines. Keynes oui, mais nous ne sommes plus dans le système industriel fordiste. Une injection importante est nécessaire, certes, mais dans de nombreuses interventions d’acupuncteurs restaurant et améliorant le tissu urbain et social » [1].

En parallèle de l’inconnue du financement apparaissent certaines certitudes : nos comportements de mobilité seront appelés à changer. Qui peut prédire à quoi ils ressembleront dans 10 ans, date minimum de mise en service du métro 3 ?

Une stratégie qui consiste à améliorer les conditions de circulation pour les piétons, cyclistes et transports en commun de surface est bien plus efficace, nettement moins chère, et beaucoup plus rapide à mettre en œuvre. Libérer de l’espace en voirie au bénéfice des bus et des trams permet d’augmenter les fréquences et de transporter davantage de monde dans de meilleures conditions. Tandis qu’améliorer la « marchabilité » et la « cyclabilité » peut aussi amener plus de personnes vers ces modes, permettant ainsi de libérer de la place dans les trams et les bus pour ceux qui n’ont d’autre choix de déplacement. Le gouvernement britannique ne s’y est pas trompé, lui qui va investir deux milliards de livres sterling dans les infrastructures cyclables.

La Région aura besoin de fonds conséquents pour réaménager l’espace public bruxellois et mettre en œuvre sa stratégie Good Move. Le développement du métro 3 fait peser un risque certain sur la possibilité de réaliser d’autres projets bien plus essentiels. Il revient aussi à renoncer à améliorer l’existant. Or l’utilisation du train pour les déplacements au sein de la région jouit d’une forte marge de progression. Pensons notamment à la ligne 26 qui parcourt la région du nord au sud [2].

Quant à la ligne de tram 55, qui mérite, comme beaucoup d’autres, d’être améliorée, elle pourrait être rendue plus performante via des investissements bien moins coûteux qu’une ligne de métro. Vouée à disparaître à l’horizon 2030, une fois la ligne de métro 3 mise en service, la ligne 55, l’une des plus fréquentées de la STIB, ne devrait toutefois faire l’objet d’aucune considération pour les dix années à venir. C’est tout bonnement inacceptable.

Nous demandons un moratoire sur le projet de métro 3.

La crise que nous vivons actuellement provoque une prise de conscience : la nécessité de rupture avec le « monde d’avant », ainsi que les inévitables restrictions budgétaires qui s’annoncent, doivent nous pousser à opérer des changements. Le projet de métro 3 est un projet du passé, il est temps de le reconnaître et de passer à autre chose. Il existe de nombreuses alternatives au métro 3 qui donneraient de meilleurs résultats en matière de mobilité, d’urbanisme, d’environnement, d’espaces publics et de santé.

Aujourd’hui, plus que jamais, il est temps de décider collectivement de prendre une autre voie.


[1« Reconstruire la ville par le bas », Le Soir, 06/04/2020