Dans le Bruxelles en mouvements sur les luttes urbaines de 2022, nous évoquions la marchandisation massive du logement à Marseille et les forces sociales qui s’organisaient pour y faire face [1]. Cette année, Victor Collet vient de sortir un livre intitulé Du taudis au Airbnb. Petite histoire des luttes urbaines à Marseille : l’occasion de réactualiser ce que nous évoquions il y a deux ans.
Dans son ouvrage, Victor Collet retrace cinq années de lutte depuis les effondrements de maisons à la rue d’Aubagne, le 5 novembre 2018 et la requalification urbaine de sa plus grande place, La Plaine, jusqu’à l’explosion actuelle des meublés de saison, l’invasion touristique et l’accélération de la gentrification. Les effondrements vont constituer un point de bascule dans le développement de la ville populaire, avec son centre vivant, partagé et solidaire malgré les galères. Ils marquent la fin du règne de Gaudin, élu en 1995, qui sera la cheville ouvrière des périmètres de réhabilitation prioritaire dénommés Euromed et destinés à placer Marseille sur la carte des grandes métropoles. Les marches aux cris de « Gaudin Assassin » se succèdent dans une atmosphère quasi émeutière qui se superpose à la révolte nationale des Gilets jaunes. En 2020, le Printemps marseillais (coalition de gauche rassemblant membres des partis de gauche, écologistes, représentants de la société civile et anciens « insoumis », un Front populaire avant l’heure) remporte les élections municipales. Mais comme le démontre Victor Collet, la fin du système Gaudin ne met nullement un terme à l’appétit pour la rente.
Les effondrements et la crainte de leur reproduction vont conduire à l’adoption d’arrêtés de « Péril et insalubrité » permettant de réaliser de façon accélérée ce qu’aucun politique n’était parvenu à faire jusqu’alors : faire sortir par milliers les habitant·es populaires du centre pour récupérer les bâtiments historiques de Noailles. « Certaines évacuations expéditives et sans procédure ressemblent à s’y méprendre à des expulsions déguisées [2]. » Émerge alors l’opportunité d’assurer le changement de destination de ces bâtisses en Airbnb. La période de confinement va doper cette mutation : Marseille voit affluer un tourisme de masse et les transactions immobilières vont exploser en 2020 et 2021. La niche Airbnb devient un eldorado, d’autant que Marseille n’est dotée d’aucune réglementation en la matière ; les spéculateurs s’y engouffrent en nombre. « Renvoyées à leur impuissance, les luttes urbaines regardent de loin le renouvellement politique mais de près le bouleversement social qui s’étend [3]. » Fin 2022, le projet de loi qui oblige les propriétaires à rénover leurs passoires thermiques épargne le secteur Airbnb. « Tant rêvée, souvent anticipée, jamais vraiment advenue, le métropolisation de Marseille se dessine enfin [4]. »
La force de l’ouvrage, au-delà de son analyse critique, est de s’appuyer sur de nombreux témoignages et autres archives vivantes, celles mobilisées par les luttes : affiches, tags, autocollants, chants, flyers… Suite aux événements précités, la lutte pour le logement s’est essoufflée, celle contre la rénovation s’est épuisée. Les forces vont se déplacer sur le terrain de la gentrification avec la touristification en ligne de mire [5]. À l’été 2021, des anciens de la Plaine et d’autres investis dans « Un centre ville pour tous » créent l’Observatoire de la gentrification pour documenter l’évolution des prix des logements, des commerces, l’explosion des terrasses… En parallèle, des actions coup-de-poing largement médiatisées se mettent en place. Les perturbations de boîtiers à clés des Airbnb se multiplient. Le célèbre carnaval de la Plaine de 2023 défilera sous les auspices du tourisme de masse et de son Caramentran : Valisator, un monstre fait de valises à roulettes.
Les monstres à affronter à Marseille sont plus que jamais présents mais les luttes restent bien vivaces !
[1] Lire C. SCOHIER, « Marseille en colère pour le droit au logement ! », in Bruxelles en mouvements, août 2022.
[2] V. COLLET, Du taudis au Airbnb. Petite histoire des luttes urbaines à Marseille, Agone, coll. Contre-feux, 2024, p. 107.
[3] V. COLLET, op. cit., p. 169.
[4] K. VACHER, Fr. VALEGEAS, C. FRANÇOIS, « Marseille : les batailles du centre ville », Métropolitiques, novembre 2021.
[5] Voir le site Vis ma vie de Marseillais·e ! : https://vismaviedemarseillaise.wordpress.com