Ces dix dernières années, le centre historique de Lisbonne s’est vidé de ses habitant·es au profit des résidences touristiques, détruisant au passage la vie de quartier. Le collectif « Movimento Referendo Pela Habitação » se bat pour rendre aux maisons leur raison sociale : être habitées.
Certain·es d’entre nous vivaient dans les quartiers historiques de Lisbonne, dans l’entrelacement de ruelles remplies de vie. Les enfants y jouaient, surveillés par les femmes qui papotaient, assises sur le pas de leur porte. Des voisin·es y grillaient du poisson et invitaient tout le monde à partager une bière pour l’apéro (« pour célébrer la fin de l’aprem’ »). Nous n’étions pas riches, mais nous pouvions compter les un·es sur les autres pour aller faire les courses, prendre soin des plantes de la rue ou réparer une fenêtre coincée. Dans ces quartiers, tout le monde se connaissait et il y avait une forte cohésion communautaire. Puis les temps ont changé : des investisseurs immobiliers à la recherche d’opportunités ont frappé aux portes et des hordes de touristes ont déboulé pour quelques nuits dans des appartements loués via Airbnb ou d’autres plateformes similaires. Des histoires désespérantes se sont répandues dans les rues : « Tu sais, Maria a reçu des pressions pour quitter son logement ». On a commencé à sentir la menace de forces extérieurs dont nous peinions, encore, à percevoir l’étendue.
Il est aujourd’hui indéniable que nous avons expérimenté la « gentrification via le tourisme » à travers le déplacement violent des habitant·es et du commerce local au profit des locations de vacances et à d’autres lieux de consumérisme. Nous avons fini par être déplacé·es à notre tour, non sans nous être battu·es. L’un de nos moyens d’agir fut la création du Mouvement du referendum pour l’habitat (MRH). Cette initiative politiquement indépendante vise à supprimer les locations de vacances et à changer la logique de production urbaine actuelle pour faire primer les besoins de la population sur les intérêts financiers.
Dans ce récit de lutte, nous verrons d’abord comment la gentrification par le tourisme s’est développée et la manière dont les habitant·es ont été déplacé·es hors de leurs quartiers. Ensuite, le processus de résistance sera abordé : l’émergence du mouvement social et le projet de référendum populaire contre l’Airbnbfication. Nous clôturerons par un appel à la solidarité – le tourisme dévore nos espaces et communautés : aidez-nous à l’arrêter !
Des investisseurs immobiliers à la recherche d’opportunités ont frappé aux portes et des hordes de touristes ont déboulé.
Lisbonne fut l’une des dernières capitales d’Europe à expérimenter la gentrification. En effet, jusqu’il y a peu, son centre historique n’attirait ni les promoteurs immobiliers, ni la classe moyenne. Avant 2014, il était surtout peuplé de personnes à petits revenus, âgées ou issues de la classe ouvrière, de l’immigration rurale ou provenant des anciennes colonies portugaises. Plus de deux tiers des contrats de bail étaient signés à long terme, ce qui empêchait les propriétaires de les rompre sans justification, permettant ainsi à plusieurs générations de rester dans le même logement. Malgré le délabrement de certains bâtiments – entraînant des revendications pour de meilleures conditions de vie –, ces petits appartements typiques et leurs rues ont fourni les lieux d’une vie communautaire épanouie. Ces quartiers ouvriers s’organisaient autour de liens et de règles informelles, essentiels pour la survie d’une communauté pauvre. Lisbonne n’avait rien de la capitale européenne aseptisée.
C’est la crise financière de 2008 qui marque un premier tournant. Le gouvernement portugais obtient un renflouement de l’Union européenne (UE) et du Fonds monétaire international (FMI), en contrepartie de mesures d’austérité strictes et de politiques néolibérales qui vont favoriser le tourisme mondial et les investissements immobiliers venus d’ailleurs. Il s’agissaitt d’attirer des investisseurs étrangers ou des expatriés fortunés par des mesures telles que l’instauration d’un régime fiscal de « résident non habituel » (NHR), des Golden visa ou des visas temporaires pour les télétravailleurs du monde entier. La libéralisation des lois sur le marché locatif, mandatée par le FMI, a facilité le déplacement des locataires et accéléré les processus d’expulsion. En outre, le Portugal a été le premier pays de l’UE à déréguler le marché de la location de vacances, ce qui a permis à des plateformes comme Airbnb d’opérer sans aucune restriction ni contrôle fiscal. La conséquence, c’est la transformation de Lisbonne en point névralgique pour les touristes internationaux et les investisseurs. Désormais, 8 % de ses logements sont dédiés à la location saisonnière, ce qui surcharge les infrastructures de la ville et modifie le tissu urbain. Dans certains quartiers du centre-ville historique, cela concerne 60 % des logements !
Certains quartiers du centre historique de Lisbonne ressemblent à un petit Disneyland : plus de la moitié des maisons sont devenues des locations saisonnières.
Le schéma est toujours similaire : une société achète un immeuble résidentiel, rompt le bail des locataires, retape le bâtiment en utilisant des bonus à la rénovation, et le revend ensuite à la découpe à des titulaires de Golden Visa ou autres investisseurs immobiliers. L’acheteur final est absent la majeure partie de l’année et rentabilise son investissement par la mise en location de vacances, parfois gérées par des compagnies privées. Nous, les habitant·es, n’existons pas dans cette équation.
Certains quartiers du centre historique de Lisbonne ressemblent à un petit Disneyland : plus de la moitié des maisons sont devenues des locations saisonnières. Les investisseurs et les propriétaires n’ont pas eu de difficultés à déplacer les locataires à bas revenus ; ils ont rompu les contrats de bail ou rendu les loyers inabordables. Une ancienne locataire d’Alfama raconte : « Nous avons été envahis ! Envahis ! Les propriétaires veulent juste se faire de l’argent. Ils se fichent des droits humains. Ils n’hésitent pas à expulser des vieilles dames de 80 ans. Un jour, on reviendra se balader dans le quartier et on dira : “regarde cet hôtel, c’était ma maison ! Ce sera ça notre histoire”. »
La plupart de ses ancien·nes voisin·es, y compris des résident·es de longue date, ont été chassé·es. Le déplacement est d’autant plus dur pour les personnes âgées et les plus précaires, qui dépendent du soutien de la communauté.
Au cours de la dernière décennie, la population de Lisbonne a diminué de 1,2 %, et plus encore dans les zones soumises à une forte pression touristique où la baisse avoisine les 20 %.
Le processus habituel de gentrification dissimule souvent le déplacement de personnes plus pauvres par une augmentation globale de la population. Ici, les habitant·es ont été remplacé·es par des touristes, des consommateur·ices temporaires et des investisseurs absents comme l’illustre le témoignage d’une résidente du quartier Alfama : « Je vis seule dans ma rue ! Tous mes voisins ont été expulsés. Il n’y a plus que des locations à court terme et des touristes à Alfama. Quel genre de ville est-ce là ? Il n’y a pas de bureau de poste, pas de banque, pas de voisins à qui demander de l’aide, rien ». À Lisbonne, les logements sont rares et leurs loyers exorbitants. Les locations à court terme ont remplacé les baux à long terme, nous obligeant à quitter nos quartiers, et parfois même la ville. Celles et ceux qui sont resté·es parce qu’il·es sont propriétaires ou locataires chanceux, ont été confronté·es à une autre forme de déplacement ; le tourisme a envahi les quartiers, perturbant la vie résidentielle normale.
Bientôt, cette « disneylandisation » diminuera même le potentiel d’attractivité touristique. Les magasins locaux et les boulangeries se sont mués en boutiques de souvenirs remplies d’articles fabriqués en Chine ou en bars à vin de qualité douteuse. Les associations de quartier ont fermé, réduisant presque à néant les espaces communautaires et les activités culturelles locales. Les espaces publics eux, ont été envahis par les touristes. Dans les ruelles désormais mal entretenues et jonchées d’ordures, les communs autrefois utilisés pour griller du poisson entre voisin·es ont été privatisés et convertis en terrasses de bar à touristes.
La gentrification par le tourisme à Lisbonne n’a pas seulement transformé les quartiers en lieux stériles, elle a également éradiqué les manières de vivre qui existaient en dehors des logiques de marché. Au-delà des questions matérielles, ce processus élimine les modes de relation alternatifs – tout est lisse, capitaliste, aliénant et basé sur la consommation. Aujourd’hui, les migrant·es qui occupent cet espace sont des « expats » blancs qui s’assument, tandis que les personnes qui vivaient là avant en sont réduites à nettoyer le désordre créé par le tourisme. C’est un modèle de développement urbain pervers qui déplace les résident·es tout en ne leur offrant que des emplois précaires et serviles.
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Au-delà de nous avoir chassé·es et d’avoir tenté de nous asservir, l’imposition de ce modèle touristique a suscité la colère des habitant·es, nous poussant à riposter et à nous organiser à une échelle sans précédent.
Les luttes pour le logement et le droit à la ville existent depuis de nombreuses années au Portugal, en particulier à la périphérie des grandes villes où les Roms et les personnes d’origine africaine ont longtemps été malmenés par l’État, mais aussi dans les quartiers historiques où les résident·es se mobilisent contre la dégradation des conditions de logement. Il y a cependant quelque chose de nouveau : la sensation qu’il n’y a plus de refuge. Chaque maison et parcelle de terre dans le pays est désormais la cible potentielle de l’État et des investisseurs immobiliers à des fins de « développement » touristique. Cela ne nous laisse d’autre option que de résister, et c’est exactement ce que nous faisons.
En 2014, année charnière où tout a commencé à changer, le collectif Left Hand Rotation a placardé le centre historique de Lisbonne d’affiches proposant des instructions d’urgence pour répondre au Terramotourisme.
Les habitant·es y étaient notamment invité·es à « rester à l’intérieur », à « se rassembler et préserver le tissu social du quartier », ou à « résister collectivement ». Aussi difficile que cela ait pu être et malgré les pertes considérables, ces instructions ont été suivies depuis lors.
Un nombre croissant de collectifs s’organisent aujourd’hui autour des questions de logement et de quartier, exigeant l’arrêt immédiat des pressions sur les locataires et l’assurance de conditions de vie décentes.
Ces dernières années, des manifestations massives organisées par le terrain ont eu lieu à travers le Portugal, réunissant des milliers de personnes pour le droit au logement et à la ville. Cependant, malgré l’indignation généralisée, les gouvernements locaux et nationaux continuent de promouvoir le lien entre le tourisme et l’investissement. Cette réticence à changer de cap explique pourquoi, à Lisbonne, les habitant·es entreprennent une action inédite dans le pays : la mise en œuvre d’un référendum populaire pour éliminer Airbnb et les locations de vacances.
Durant l’été 2022, un groupe de personnes inspiré·es par la campagne de référendum à Berlin (Deutsche Wohnen & Co. enteignen), s’est réuni pour explorer la possibilité d’utiliser un outil de démocratie directe – tel qu’un référendum – comme stratégie pour contrer la crise du logement qui fait rage. Nous étions animé·es d’un fort désir de transformer la ville, de donner du pouvoir à ses habitant·es et de sortir les gens du sentiment d’impuissance politique.
On a nommé cette initiative Movimento Referendo pela Habitação (MRH, Mouvement pour un référendum sur le logement). Dès le début, la proposition élaborée poursuit deux objectifs clairs. Le premier est de tester le pouvoir établi et le système démocratique en proposant un référendum d’initiative populaire aux fins de récupérer tous les logements actuellement utilisés pour le tourisme (et donc de freiner Airbnb). Le second est de construire proactivement un mouvement collectif. En plus de nous prémunir contre les déplacements et les expulsions, nous voulons instaurer un rapport de force qui contraindrait les institutions à prendre notre proposition en compte. Cette initiative ne vise pas seulement à protéger notre communauté, mais aussi à reprendre le pouvoir en veillant à ce que le gouvernement local se conforme à la volonté de la population plutôt qu’aux intérêts des investisseurs immobiliers et touristiques absents. Movimento Referendo pela Habitação est une proposition à la fois législative, mais aussi organisationnelle et idéologique.
Cela ne nous laisse d’autre option que de résister, et c’est exactement ce que nous faisons.
L’objectif est de mettre en œuvre et de gagner un référendum dans lequel les résident·es répondront à deux questions. La première se rapporte au passé, la seconde à l’avenir. D’abord, les Lisboètes feront savoir si il·es sont d’accord avec l’annulation des locations de vacances dans les unités de logement résidentielles. Il·es devront ensuite se positionner sur la modification du Règlement Municipal concernant les locations de vacances afin de les interdire. Si ce référendum fonctionne, 20 000 logements actuellement utilisés à des fins touristiques pourraient être récupérés, ce qui entraînerait une baisse des loyers dans toute la région métropolitaine suite à l’augmentantion rapide de l’offre en logements (davantage que par la réhabilitation ou la nouvelle construction). Cela pourrait également signifier la quasi-fin d’Airbnb et des plateformes similaires opérant dans la ville.
Cependant, le parcours vers la mise en œuvre d’un référendum d’initiative populaire n’est pas sans obstacles. Pour commencer, 5 000 à 7 500 signatures d’electeur·ices inscrit·es à Lisbonne doivent être recueillies, en personne. Bien que nous ayons collecté plus de 9 000 signatures, le référendum n’est pas encore assuré et l’initiative doit encore être approuvée par d’Assemblée municipale. Si l’Assemblée approuve la proposition, elle sera alors transmise à la Cour constitutionnelle pour un contrôle de sa constitutionnalité. Ces étapes impliquent deux possibilités d’opposition aux propositions qui pourraient prendre la forme d’un veto technique par la Cour constitutionnelle ou d’un veto politique par l’Assemblée municipale.
Une mobilisation populaire robuste est donc essentielle, car elle exerce une pression sur les député·es locaux pour qu’il·es approuvent le référendum et en assurent la mise en œuvre.
Le MRH a réussi à rassembler un groupe de personnes aux profils très variés, provenant de divers horizons et de différents quartiers de la ville. Certain·es sont des résident·es de Lisbonne, tandis que d’autres ont dû la quitter en raison de l’augmentation des loyers. Le groupe comprend des universitaires, des travailleur·euses de l’hôtellerie, des avocat·es, des enseignant·es, des couturières, des programmeurs, des employé·es publics, des étudiant·es, des artistes… Certain·es militent dans des mouvements sociaux de longue date alors que pour d’autres, c’est une première expérience.
Cette diversité pourrait s’expliquer par le fait qu’un référendum est un outil concret de démocratie participative qui est à la fois institutionnel et radical. Tout le monde comprend ce qu’implique un référendum : un passage aux urnes, des résultats de vote, et la rédaction d’une loi selon le choix de la majorité. Cette clarté facilite la compréhension de l’objectif et la mobilisation. La radicalité de la démarche réside dans l’impact réel qu’elle aura sur la ville si elle est couronnée de succès, démontrant que le pouvoir du peuple peut provoquer des transformations réelles dans nos vies. En bref, le référendum offre la possibilité d’agir par nous-mêmes au lieu de demander aux institutions gouvernementales de résoudre un problème duquel elles se désintéressent très clairement.
Parallèlement au travail procédural pour initier le processus de référendum, nous avons investi beaucoup d’efforts pour rassembler autour de notre lutte et favoriser les discussions et échanges d’idées, en organisant des évènements, des débats et des fêtes. Souvent, ces moments étaient partagés avec d’autres mouvements sociaux et des collectifs locaux. Nous avons été à l’initiative de trois grandes manifestations pour le logement à Lisbonne entre 2023 et 2024. Nous avons aussi entamé un dialogue avec le pouvoir local et national pour explorer des mesures alternatives et proposer des solutions pour freiner la prolifération des logements touristiques dans la ville.
Il s’agit simplement de faire avancer le principe fondamental selon lequel le logement remplit la fonction sociale de fournir un abri, plutôt que d’être simplement un actif générateur de profit. En d’autres termes, nous prônons sa valeur d’usage plutôt que sa valeur d’échange. Il est évident que ce référendum à Lisbonne ne suffira pas à changer cette mentalité, et nous sommes conscient·es que les locations de vacances ne constituent pas le seul moyen de détourner le logement à des fins spéculatives. D’autres formes existent, telles que les programmes d’achatrevente et le marché locatif conventionnel. Mais l’argument central de MRH est que les maisons sont faites pour que les gens y vivent.
Il faut aussi souligner que le problème dépasse le logement. Pour nous, une ville saine inclut des communautés solidaires, des entreprises locales, des services de proximité qui permettent aux résident·es de vivre.
Nous prônons la valeur d’usage du logement plutôt que sa valeur d’échange.
Alors que le tourisme et les investissements immobiliers se développent de manière vorace au Portugal, un mouvement social qui veut changer les dynamiques de production leur oppose une résistance. La proposition de référendum a déjà fait réagir le puissant lobby d’Airbnb et les consortiums immobiliers qui financent une contre-campagne importante. Tenir tête à ces lobbies sera difficile, mais le jeu en vaut la chandelle. Il pourrait s’agir de la dernière chance d’utiliser les outils institutionnels démocratiques pour empêcher Lisbonne de devenir une enclave à touristes et expats nantis. Un soutien et une solidarité au-delà des frontières sont nécessaires pour rendre cela possible.
Il existe de nombreuses manières de manifester sa solidarité depuis les autres pays. Nous en détaillerons deux, relativement simples. La première, c’est de rejeter catégoriquement l’idéologie néolibérale d’ouverture des marchés au tourisme, à l’investissement et à la rente des loyers, qui n’apportent que destructions environnementales et inégalités sociales. La seconde est la sensibilisation et le soutien aux collectifs organisés pour le changement. Les médias conventionnels, pour la plupart inféodés au néolibéralisme, n’expliquent pas les causes profondes de ces problématiques. Bien que certain·es journalistes publient sur ces questions, il faut compléter les informations et amplifier leur résonance auprès de la population.
En conclusion, évitez de venir à Lisbonne – ou n’importe où ailleurs – en touristes aliéné·es.
Ce tourisme, c’est celui que nous connaissons tou·tes, mais aussi l’expatriation ou le nomadisme digital. Soyez conscient·es de ce que vous pouvez causer ; en louant un appartement sur Airbnb ou d’autres plateformes de location à court terme, vous logez peut-être dans l’ancien logement d’une personne qui a été injustement expulsée. Le tourisme dévore nos lieux et nos communautés – aidez-nous à l’arrêter !
Si ce référendum fonctionne, 20 000 logements actuellement utilisés à des fins touristiques pourraient être récupérés.
À Lisbonne, au moins 68 000 logements ne remplissent pas leur fonction sociale, soit parce qu’ils sont utilisés pour le tourisme, soit parce qu’ils sont vacants. Pendant ce temps, environ 50 000 familles ont besoin d’un logement décent dans la région. Le Portugal est l’un des pays de l’OCDE qui comptent le plus grand nombre de maisons par habitant·es ; le secteur de l’immobilier continue pourtant d’affirmer haut et fort que construire est la réponse à la crise du logement. Nous sommes persuadé·es du contraire et ce pour trois raisons.
La première, c’est qu’il n’existe pas de garantie que ce qui sort de terre soit affecté au logement. Le secteur immobilier est avant tout à la recherche du profit. Les nouvelles constructions peuvent dès lors être adaptées au tourisme, au programme des Golden Visa ou encore au marché du luxe sans proposer de logements abordables aux habitant·es.
La seconde, c’est que le secteur de la construction est l’un des plus polluants au monde : la production de ciment à elle seule représente plus de 7 % des émissions de gaz à effet de serre, et l’acier est l’un des matériaux les plus difficiles à décarboner. Il est aussi consommateur d’espaces, qui pourraient être dédiés à d’autres usages (jardins, zones de loisirs ou de repos…). Par ailleurs, les nouvelles constructions sont souvent situées loin du cœur des villes et du travail des gens, ce qui entraîne une augmentation du temps de trajet, de leurs coûts, des émissions de polluants mais également un nécessaire investissement dans les infrastructures et services de transport. Enfin, cette affirmation n’apporte pas de réponse à ce qui nous importe le plus : notre priorité est de rester dans nos quartiers où des milliers de maisons sont inoccupées.
En outre, les revenus générés par le tourisme et les investissements étrangers dans l’immobilier servent parfois de justification aux effets dévastateurs qu’ils produisent. Nous estimons que ces arguments sont simplistes et trompeurs. Ils négligent les impacts négatifs de ces activités et omettent une question cruciale : à qui profite cet afflux d’argent ? Certainement pas aux travailleur·euses du tourisme et de l’hôtellerie dont les salaires mensuels moyens sont les plus faibles, tous secteurs économiques confondus. Ces professionnel.les, même hautement qualifié·es, gagnent en deçà de 1 000 euros par mois. Le travail d’architecte peut aussi se révéler précaire et, pour près d’un·e professionnel·le sur cinq, offre à peine le salaire minimum (quand ce n’est pas moins). Leurs conditions d’engagement sont peu attractives, et peu d’entre eux bénéficient de contrats appropriés malgré la grande valeur des projets auxquels il·es contribuent.
À Lisbonne, l’itinérance continue d’augmenter. Beaucoup de celles et ceux qui n’ont pas de logement ont un travail mais leur salaire ne permet pas de payer les loyers exorbitants d’un marché immobilier surévalué et spéculatif.
Nous ne vivons pas du tourisme ; il vit de nous.
[1] Le terme Terramotourisme est un jeu de mots entre tourisme et terramoto, qui signifie tremblement de terre en portugais. Il com- pare le tourisme au tremblement de terre qui a dévasté Lisbonne en 1755. Le collectif Left Hand Rotation a publié le documentaire Terramotourism en 2016. Il peut être visionné ici : vimeo.com