Salut à toi Zeus, ô roi de tous les Dieux, toi qui dirige la pluie et le beau temps, toi qui nous emporte dans tes minutieux calculs, toi qui nous abreuve de tes astucieuses opérations, n’avons-nous oncques vu telle merveille, qu’en 1580, nous habitions déjà la vallée du Maelbeek et que Jean-Baptiste Houwaert (1533–1599) nous adressait alors un récit élégiaque et élogieux d’un paysage qui était peut être encore le nôtre.
« C’était dans la plus belle région de l’Europe, aussi agréable que le val d’Ascrée où résident les Muses… Ici l’on voit les oiseaux s’élever dans les airs en chantant, louant et remerciant Jupiter… Ici l’on voit les poissons nager dans les eaux et s’élancer à la surface comme des dauphins… Cette plaine et ces beaux lieux, Saturne les plaça au premier siècle entre deux petites mais utiles rivières… Ces beaux lieux sont rafraichîs par le jet de nombreuses fontaines, plus belles que l’Hippocrène de Béotie… Sur la droite on voit des étangs d’une eau limpide, de belles et vertes prairies… Cette ravissante vallée et ces sites riants se trou-vent entre la forêt de Soignes et le ruisseau de la Schaere ; en un mot, nul homme ne vit une contrée plus belle, aussi y ai-je choisi ma demeure. Il est bon d’être né dans un beau pays. »
De votre iridescente Olympe, portée par votre étincelante vision pour un avenir radieux, que sont nos claires fontaines devenues où nous allions nous promener, le cœur gai au chant du rossignol et du merle moqueur ? Où avez-vous emporté nos charmants ruisseaux, nos petits jardins et les abeilles qui en faisaient leur miel ? Qu’avez-vous fait de cette terre d’abondance, désormais recouverte de bitume où des égouts emportent indistinctement ce qui pourrait nous abreuver et ce que nous devrions rejeter autrement ?
Technologie, ingénieurs, investissement, traitement, rentabilité, délocalisation, privatisation, économie planétaire, sécurité alimentaire, gestion des marchés, hygiène quand elle devient hygiénisme, cours d‘eau quand il devient cours d’un marché, que ne nous avez-vous pas raconté pour nous faire oublier que l’eau est une ressource que nous possédons tous ensemble et que nous devons partager bien au-delà de notre toute petite vallée.
Il ne s’agit pas de nous plaindre de la disparition d’un paysage qui n’a pas pu survivre là où nous sommes devenus trop nombreux, il suffit peut-être juste de nous l’entendre raconter pour que nous ne nous sentions pas dépossédés d’un territoire que nous habitons encore, que nous aimons, mais que nous ne comprenons plus toujours.
Est-t-il possible de nous réapproprier ces paysages urbains denses, affaiblis par une marchandisation croissante de la ville y compris en ce qui concerne leurs ressources naturelles ? Nos vallées bruxelloises s’inscrivent dans une histoire qui nous raconte aussi la douceur de vivre ensemble. Nous en souvenir nous aidera peut-être à mieux nous aimer et à mieux résister à la débâcle des avenirs radieux imaginés par d’autres.
Plus mon Loire gaulois que le Tibre latin,
Plus mon petit Liré que le mont Palatin,
Et plus que l’air marin la douceur angevineJoachim du Bellay (1522-1560)
Pour conclure, il faudrait imaginer une formule de politesse admirative et même un peu obséquieuse, mais nous n’avons sans doute pas assez d’imagination pour la formuler comme il faudrait.
Nous soussignés les toujours
habitants de la vallée