Inter-Environnement Bruxelles
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Les perspectives radieuses du logement social

On se dit que les logements sociaux sont légion à Cureghem mais la réalité est bien plus sombre. Les logements qui poussent ces dernières années sont loin de répondre aux besoins des habitants de ces quartiers. C’est à la réduction de ce fossé entre offre et demande que l’Union des Locataires d’Anderlecht œuvre au quotidien.

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L’Union des Locataires d’Anderlecht Cureghem (ULAC) a été créée en 1991 dans le cadre du Développement social de Quartier, concept importé de France. L’idée était de créer sur le territoire de Cureghem des associations pour répondre aux besoins des habitants. Il s’agissait aussi de créer un lien et une communication entre une population immigrée dénuée de représentation électorale et l’autorité communale. Et ainsi d’œuvrer à la participation des citoyens de tous bord à la gestion de la cité.

Pas de droit de vote, pas de logement !

À l’époque, les gestionnaires du logement social refusaient l’inscription des familles immigrées arguant de l’inexistence de logements adaptés à la taille de ces familles souvent nombreuses. Les attribution de logements se faisaient via les permanences politiques, d’où étaient exclus les non-votants. Le combat initial des Unions des Locataires fut donc l’accès des familles fragilisées aux logements publics mais aussi le combat plus général du droit au logement. Malheureusement ce combat n’a pas pris une ride, le nombre de bruxellois exclus du droit au logement ne cessant de croître. La population de Cureghem, territoire pourtant prisé pour ses logements bons marchés, n’échappe pas à cette situation.

1 logement pour 23 demandes

Entre 1990 et 2009, 2 182 logements sociaux ont été créés sur l’ensemble de la Région bruxelloise [1]. Aujourd’hui 45 000 ménages sont inscrits sur les listes d’attente des sociétés de logements sociaux. Bien que depuis 2009, le rythme de construction s’accélère quelque peu (1 013 logements produits entre 2010 et 2014 [2]), celui-ci est bien trop faible pour rencontrer ne serait-ce que l’accroissement des demandes. A ce rythme, et en supposant que les demandes n’augmentent plus, il faudrait 352 ans pour satisfaire la demande de logement social en Région bruxelloise.

Cureghem ne fait pas exception à ce déficit chronique avec ses 1 000 logements sociaux pour 23 000 habitants alors que la grosse majorité de sa population est dans les conditions d’accès au logement social.

Deux Sociétés immobilières de service public (SIS P) sont actives à Cureghem. Le Foyer Anderlechtois (3 600 logements sur l’ensemble de la Commune) possède les sites du Goujon, 380 unités (tour de 18 étages) et le site du square Albert, 290 unités sur 4 immeubles, grands ensembles de logements sociaux construits dans les années 1970. Ces deux grands ensembles fournissent à eux seuls la majorité des logements sociaux de Cureghem. Les quartiers de Cureghem Rosée et Bara offrent à peine 4% de ce type de logements. Le nombre de logements loués par le Foyer Anderlechtois entre 2004 et 2013 s’est accru de seulement 32 unités (de 3 428 à 3 460 en 2013) alors que, dans le même temps, la population de Cureghem augmentait de 20%.

ASAM , la deuxième SISP, possède 225 logements répartis en trois sites : square Albert, Ruysdael et chaussée de Mons. L’ensemble de 34 logements de la chaussée de Mons est la dernière opération de construction de logements sociaux à Cureghem, remarquable par son intégration – sa discrétion – dans la ville et offrant des logements pour familles nombreuses. Cette opération s’est faite en collaboration avec l’ULAC qui a mené l’accompagnement social des candidats locataires.

La Commune d’Anderlecht possède également 543 logement sociaux sur l’ensemble de son territoire, dont +/- 150 sur Cureghem. Certains d’entre eux ont été réalisés dans le cadre des six contrats de quartier qui se sont succédés et qui visaient à la création de 200 logements. Seulement +/- 50 ont été réalisés entre 1997 et 2013.

Les moyens aux logements moyens

Cette enclave autrefois industrieuse dispose encore aujourd’hui d’une vie économique formelle et informelle importante et constitue un bassin d’emplois à proximité du centre-ville. On y atterrit quand on n’a pas le choix et on en repart quand on va mieux. Le territoire accueille traditionnellement les vagues successives d’immigration et, depuis une dizaine d’années, les laissés-pour-compte de la sélection par la hausse des loyers sur Saint-Gilles, Ixelles et le centre de Bruxelles. Anderlecht accueille également les ménages dotés d’un revenu du travail cherchant à devenir propriétaire mais qui sont dans l’incapacité d’acheter à Schaerbeek, Saint Gilles, Bruxelles, Ixelles et Etterbeek.

Cette nouvelle demande conduit la commune à privilégier le déploiement de logements acquisitifs construits par Citydev (ex-SDRB), laquelle a développé environ 440 logements depuis 2007 [3]. Or ces logements sont en réalité peu accessibles aux ménages à revenus modestes. Comment justifier face à l’insuffisance criante du logement social que les seuls budgets conséquents d’investissement soient mis dans la production de logements moyens et que malgré le nombre élevé de logements vides, la commune n’applique pas le droit de gestion publique ? La pression sur le foncier de Cureghem est complétée depuis plusieurs années par des projets imaginés par des promoteurs en mal de profits et favorisés par les autorités publiques. Ces dernières concentrent leurs efforts à coup de contrats de quartier, plan guide et autre master plan et adaptent leur planification aux désirs du marché privé, ouvrant la voie à des projets « mégalo » qui font abstraction des habitants et de leurs besoins [4].

Des désirs renversants

Selon notre expérience de terrain, la politique du logement en Région bruxelloise marche sur la tête ! Cureghem est pourtant un quartier accueillant, qui peut encore continuer à l’être à condition que les pouvoirs publics arrêtent de dérouler le tapis rouge aux promoteurs (publics ou privés). Il est par exemple renversant de constater que la Région bruxelloise permet la construction de nouvelles tours de bureaux à la gare du Midi alors qu’on ne compte plus les m² de bureaux vides à Bruxelles. Des PPAS limitant cette efflorescence inutile sont même abrogés tandis que les logements sociaux annoncés restent la dernière pièce rapportée des grands maîtres de la planification.

Il faut inverser cette tendance en obligeant ces communes à augmenter significativement leur offre de logements sociaux. Aujourd’hui les charges d’urbanisme des projets privés sont le plus souvent affectées à l’aménagement de l’espace public alors qu’elles devraient l’être prioritairement au logement social. Chaque projet privé de bureaux et de logements devrait se voir imposer la construction d’une part de logement public comme c’est le cas dans de nombreuses villes et en Région flamande et à l’instar de ce que des associations ont négocié fermement dans le cadre du nouveau site commercial de la Toison d’Or, obligeant le promoteur à céder en contrepartie du projet de luxe douze logements neufs à caractère social [5]. Ce qui fut possible sur la prestigieuse avenue de la Toison d’Or est évidemment possible ailleurs, d’autant que face à la crise que nous traversons, il est impératif de multiplier les lieux d’accueil partout sur le territoire bruxellois.

Il faut bien le constater que, pour l’instant, personne ne veut accueillir les indigents chassés par le voisin. Dans le même temps, on ne compte plus les dépenses somptuaires faites par les différents niveaux de pouvoir bruxellois pour attirer les touristes à Bruxelles. La dernière gabegie en date est celle qui concerne le futur « temple de la bière » qui verrait le jour dans l’ancienne Bourse de Bruxelles. Trente-et-un millions d’euros jetés par les fenêtres pour le plaisir d’une élite politique bien plus préoccupée par l’image « fun » de leur ville que par le bien-être de ses habitants les plus fragiles. Avec trente-et-un millions d’euros, les pouvoirs publics pourraient construire 250 nouveaux logements sociaux et poser les premières pierres qui permettraient à autant de familles de sortir de la misère. Force est de constater que si la Région bruxelloise fait beaucoup pour l’accueil des touristes à Bruxelles, elle fait bien peu pour les Bruxellois qui réclament juste le droit de survivre sur leur terre d’élection...


[2Idem.

[3Projets SDRB finalisés ou en cours : Bara – De Lijn (147 logements), rue des Matériaux (119), Clémenceau Jorez (34), rue du Chapeau (40), rue Jorez (27), rue Prévinaire/Goujon (21), place des Goujons (25), square Miesse (40).

[4Voir l’article de Barbara Tomson dans ce dossier : Cureghem : la pression monte sur le logement !