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Les pavés de porphyre

Savoirs oubliés : en 1908 existait une science du pavage, comme en témoignent des extraits de ce traité.

Le porphyre est une roche d’origine volcanique-magmatique, cristallisation de la lave, d’une dureté exceptionnelle, difficile à tailler. Il est extrait des carrières de Lessines et de Quenast, par des ouvriers qui travaillent à la masse, au marteau piqueur et parfois à l’explosif pour obtenir des grands blocs. Les (gros) morceaux sont alors remontés à la surface sur des wagonnets type Decauville (utilisés aussi dans les mines). Ces wagonnets sont tirés à la surface par un treuil à vapeur avant d’être livrés aux rupteurs qui cassent les blocs en plus petits, ceux-ci sont alors mis en forme selon la commande, par des épinceurs qui pierre par pierre leur donnent la forme à coups de marteau. Il s’agit d’un marteau spécial, portant un tranchant sur le côté, l’épinçoir [1]. Ils vérifient la taille du pavé au moyen d’une jauge. Les pavés sont taillés très légèrement coniques (= en pointe).

Une fois taillés et vérifiés, ces pavés sont chargés, à la main toujours, dans un wagonnet pour ensuite être transbordés sur un wagon de chemin de fer qui ira soit à destination, soit au canal pour être versé dans une péniche.
Arrivés à destination par bateau, il faut extraire ces pavés de la cale, les remettre sur des charrettes à chevaux ou à bœufs et les déverser sur chantier. Là, avec une brouette ces pavés sont amenés jusqu’aux paveurs. Des retailleurs accompagnent parfois pour ajuster certains pavés.

Pour établir une chaussée pavée, il faut d’abord araser le sol, bien l’inonder, et le tasser. Un géotextile peut être déroulé sur la forme. Répandre ensuite une couche de 30 cm de ballast (taille 5/8 cm). Le compactage est très important. Ensuite, c’est du sable qu’on répand, couche par couche, toujours très soigneusement damé, en inondant bien, sur une épaisseur de 20 cm. 3 m³ de sable pris sur le tas doivent donner 2 m³ sur la forme (l’épaisseur de 12 cm d’une couche se réduisant ainsi à 8 cm compactés).

Il est important de bien surveiller la qualité du sable : il doit être siliceux, être purgé de terre, il doit être sec, grenu, rude au toucher et crissant à la main, à laquelle il ne doit pas s’attacher. Les plus gros grains ne doivent pas avoir plus de 4 mm de diamètre, et les plus petits pas moins d’un mm, faute de quoi, ils se réduiraient en boue. On établit soigneusement le profil bombé, à raison de 2 cm par mètre [2] pour conduire l’eau de ruissellement vers l’égout.

La forme étant bien préparée, on y répand encore une couche de sable d’environ 5cm, qui servira à la pose. On place les boutisses [3] devant constituer les abouts des rangées ; on tend des cordeaux en travers pour l’exécution de ce travail. Dans tous les cas, il faut, avant leur pose, bien en déterminer le nivellement, les affermir au marteau et les garnir de sable sec dans les joints. Les pavés sont ensuite placés sur la couche de sable par rangées perpendiculaires et droites par rapport à la chaussée ; cette pose se fait à l’aide du marteau, présentant d’un bout la forme d’une houe allongée, et de l’autre une tête. La houe sert à préparer la place du pavé, la tête à l’assurer quand il est placé. Les pavés sont écartés d’environ 7 mm, quasiment ils se touchent par leurs aspérités.

On doit apporter la plus grande attention à croiser les joints d’une rangée sur ceux de la rangée précédente et à tenir les pavés trois centimètres plus haut que la ligne du tracé pour que le battage les ramène à la hauteur exacte. Puis on coule du sable mouillé dans les joints et on le fiche jusqu’au refus. Après ce fichage, le dresseur, armé d’une demoiselle qui pèse 30 kg, en la lançant d’une hauteur de 50 cm, frappe la tête de chaque pavé, de façon à comprimer au maximum le sable des joints et celui placé sous la queue des pavés. Après cette opération, on recouvre le pavage d’une couche de sable de 2 cm.

Les pavés ont l’immense avantage d’être indéfini-ment recyclables, tant ils sont durs.

Il convient de redresser les pavés (= remise à bout) tous les vingt ans. Intervenir rapidement dès qu’un pavé se déchausse.

L’avenue du Port en compte près d’un million et demi. Tous taillés à la main.

Source : M. Bousquet, Traité pratique du maçon, du terrassier et du paveur. Ed. Garnier, Paris 1908.


[1Epinçoir (ou épincette) : outil de percussion utilisé par les carriers, les paveurs et les tailleurs de pierre. C’est une massette parallélipipédique dont les faces frappantes sont légèrement biaises. Ses arrêtes aiguës sont aciérées ou garnies de carbure. Il sert à la finition des pavés et des moellons de pierre dure.

[2On peut forcer un peu la pente à un mètre du caniveau, mais à raison de 3 cm par mètre, alors.

[3La boutisse est un pavé plus long de 50% (1,5 x la normale).