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Les nouvelles rivières urbaines, repenser la ville aux fils de l’eau ?

Naissance d’un concept : un nouveau type de maillage.

A travers le concept du maillage bleu, le Plan Pluie vise à restaurer le réseau des eaux de surface (ruisseaux, zones humides et zones de débordement naturel des ruisseaux). Malheureusement, seules les rivières dont les terrains sont en gestion par l’administration de l’environnement et présentent suffisamment de place peuvent profiter de cette revalorisation. C’est ainsi que les anciennes rivières en milieu urbain dense, souvent transformées irrémédiablement en égout, telles le Maelbeek, le Broebelaer, le Broekbeek, le Dambeek… ne font pas partie de ce programme de revalorisation.

Or, le contact recherché avec l’eau, la volonté de réintégrer une naturalité et des cycles naturels peuvent et doivent également se faire en ville dense, là où les rivières ont disparu, d’une part parce que la problématique des volumes d’eau générés par les orages y est élevée et qu’il est urgent de s’en préoccuper, et, d’autre part parce que la ville dense raréfie ses possibilités d’espaces « naturels » offerts à ses nombreux habitants. Or ces quartiers ont un réel besoin d’espaces collectifs de qualité et variés pour agrémenter la vie urbaine en ville dense.

Notre proposition est de renverser la problématique et de valoriser ce qui paraît être un problème — l’imperméabilisation prononcée de ces quartiers denses — comme une réelle opportunité urbaine, la source potentielle d’une eau qui irriguerait la ville de ses bienfaits.

Le maillage des nouvelles rivières urbaines, un concept ouvert et contemporain

Si les anciennes rivières ne peuvent plus être retrouvées, imaginons de nouvelles rivières ! Libérons-nous de la nostalgie d’une rivière idyllique : que ces nouvelles rivières soient résolument contemporaines !

Réinterprétation des cycles naturels : le concept de nouvelles rivières est une invitation à repenser l’hydraulique de la vallée, à réinventer, profondément et de manière créative, le concept de rivière en zone urbaine. Les nouvelles rivières urbaines ambitionnent de redéfinir le sol de la ville et à le qualifier pour réinstaller un cycle naturel en réinterprétant les cycles d’origine. Loin d’une vision passéiste, les nouvelles rivières doivent répondre à un impératif hydrologique tout en traduisant les nouveaux enjeux urbains en termes d’usage et d’appropriation de l’espace public.

Les nouvelles sources : trouvant leur source sur chaque toit de maison, les nouvelles rivières se gorgent des eaux de ruissellement. Elles coulent des espaces privatifs — où elles peuvent être mises à profit dans des citernes, des toitures végétales ou des jardins d’orage privés — vers l’espace public. Les voiries et trottoirs imperméabilisés sont également autant de nouvelles sources d’eau de ruissellement qui vont gonfler les eaux des nouvelles rivières par temps d’orage. Les eaux parasites provenant des anciennes sources ou du pompage de la nappe pour garder le métro au sec pourront également être déconnectées du réseau d’égouts et retrouver une place en surface.

Une rivière au cours tranquille : vu la topographie des versants de la vallée, ces nouvelles rivières devront nécessairement ralentir leurs eaux dans des espaces prévus à cet effet à l’image des anciens chapelets d’étangs : parcs ou jardins d’orage, places submersibles, ronds-points de stockage d’eau, terre-pleins transformés en noues... Malgré le taux d’imperméabilisation élevé en ville, de nombreux espaces publics présentent des surfaces disponibles [1] pour être transformées en jardins d’orage. Si le sol le permet, les eaux pourront y être infiltrées pour autant que leur qualité le permette ou qu’un dispositif dépolluant soit prévu. La peau de la ville peut être redéfinie de manière douce (quelques jeux de pentes et de matériaux) et se « capillariser » de minces filets d’eau et d’accumulation qui, en fonction de la place laissée par l’eau en fonction des pluies, serviraient d’espaces publics de qualité profitables à tout un chacun.

Un nouveau réseau hydraulique : la mise en réseau des divers jardins d’orage, rigoles, déversoirs, bassins, citernes, noues… et tout dispositif alternatif au rejet à l’égout constitueraient un maillage en surface qui suivra nécessairement la topographie et le tracé des rues, des places et des parcs. Ces nouvelles rivières s’écouleraient de jardin d’orage en jardin d’orage, publics ou privés, lentement vers la Senne. Elles seront souvent à sec, temporairement inondées lors d’épisodes plu-vieux, ou avec une lame d’eau permanente si une source les alimente continuellement. L’emprise de l’eau dépend donc de la météo, mettant en valeur cet aléa naturel dans la ville, avec des jeux de niveaux et de vase communicant...

De nouveaux usages : ces divers ouvrages qui ponctuent le cours des nouvelles rivières redonnent de la valeur à cette eau qui reprend une place en surface : elle donne vie aux végétaux et à toute une biodiversité, convivialise les espaces qu’elle traverse, infiltre le sol vers la nappe, réalimente les sources taries… La présence d’eau accumulée pourrait également créer de nouveaux usages publics collectifs : promenade, plaine de jeux, circulation pour la mobilité douce, car-wash, bike-wash, nettoyage des rues, arrosage potager, jeux de fontaines…

Un réseau séparatif hors tuyau : grâce à une déconnexion progressive des descentes d’eau, les eaux de ruissellement et les eaux parasites se retrouvent donc dans l’espace public et devraient être gérées en surface sans être redirigées vers le réseau d’assainissement souterrain. Ce principe constituerait une manière originale de réaliser un réseau appelé séparatif où les égouts existants conserveraient leur fonction d’évacuation des eaux sales et où les nouvelles rivières gèreraient les eaux de pluie et de sources en surface, en évitant le tuyau. Un réseau séparatif présente les avantages de ne pas grossir le volume d’eaux usées à traiter dans les stations d’épuration, améliorant les rendements épuratoires ; d’éviter les rejets d’eau non traitées vers la Senne qui sont inévitables en cas de gros orages ; et de limiter
l’engorgement local du réseau d’assainissement par temps de gros orage et les inondations tant préjudiciables.

Une question de temps : ce réseau séparatif proposé par les nouvelles rivières pourrait être réalisé par phases lors des réaménagements progressifs des voiries et des espaces publics. La déconnection des eaux de pluie et de sources par rapport à l’égout pourra donc se faire sur le temps long du demi-siècle, voire du siècle, selon une vision globale à définir en fonction des caractéristiques de chaque quartier.

Un concept ambitieux : un projet pour la ville

Les nouvelles rivières urbaines présentent un potentiel à qualifier chaque point du bassin versant en fonction de ses particularités topographiques, climatiques, pédologiques, géologiques et hydrographiques. La pente des rues, les crêtes, les fonds de vallée, l’allure des versants, le séquençage de la vallée, les anciennes sources, les traces laissées par les anciens ruisseaux, le patrimoine hydrique, la qualité du sous-sol, ses nuances et particularités… donnent l’occasion de qualifier, d’un point de vue hydrique, chaque point de la ville, aujourd’hui trop souvent sans repère avec un tissu urbain devenu continu au fil du temps. La bonne compréhension de ces dimensions naturel-les et historiques du paysage urbain permettrait d’envisager des aménagements respectueux des lieux et encouragerait les habitants à renouer un contact avec une naturalité inhérente à la vallée et son patrimoine hydrique.

Au-delà de l’aspect paysager, la démarche participative et sociale fait également partie du programme de réflexion des nouvelles rivières urbaines. Si l’eau de pluie refait surface, elle ne manquera pas de susciter des débats, des tensions, des intérêts et des questions de la part des usagers et acteurs des vallées. Le projet de nouvelles rivières urbaines est donc un projet en cours d’imagination et de discussion permanentes. Il se présente sous de nombreuses facettes qui laissent penser qu’il pourrait répondre aux exigences d’un véritable projet de ville. C’est donc par la concertation large que ce projet pourra se concrétiser.

Si l’on s’en donne les moyens, le concept des nouvelles rivières est un levier pour rendre la ville plus agréable à vivre, certainement au niveau de la protection contre les inondations mais aussi au niveau de son inscription culturelle, patrimoniale et naturelle. Il est une formidable occasion de saisir un fil — ou plutôt des fils d’eau — pour transformer la ville sur le moyen et long terme.

Valérie Mahaut


[1Voir le début de ce repérage d’espaces disponibles lors de l’exposition Open Source, 6-15 juin 2008.

Voix d’eau